29.03.2002 - TPIR/MILITAIRES - LE PROCES DES MILITAIRES S'OUVRE MARDI PROCHAIN AU TPIR

Arusha 29 mars 2002 (FH) - Le procès de quatre hauts gradés de l'ancienne armée rwandaise débute mardi prochain devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ce procès concerne l'ancien chef de cabinet au ministère de la défense, le colonel Théoneste Bagosora, l'ancien commandant des opérations militaires en province de Gisenyi (ouest du Rwanda), le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, l'ancien commandant du bataillon para-commando de Kigali, le major Aloys Ntabakuze, ainsi que l'ex-commandant des opérations militaires à l'Etat-major, le général de brigade Gratien Kabiligi.

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Le colonel Théoneste Bagosora, 61 ans, a été arrêté au Cameroun le 9 mars 1996 et transféré à Arusha le 23 janvier 1997. Il répond de douze chefs D'accusation D'entente en vue de commettre le génocide, de génocide, de complicité de génocide, D'incitation directe et publique à commettre le génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

Le parquet affirme qu'après l'attentat contre l'avion de l'ancien président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, Bagosora a "de facto" pris le contrôle des affaires politiques et militaires du Rwanda.

Le colonel Bagosora "s'est imposé comme l'homme de la situation à même de gérer la crise", selon le parquet.

"Dans la nuit du 6 au 7 avril, une première réunion rassemblant principalement des officiers des deux Etat-majors [armée et gendarmerie] s'est tenue à l'Etat-major de l'armée rwandaise au camp Kigali. Cette réunion était présidée par le colonel Théoneste Bagosora. Au cours de cette rencontre, le colonel Théoneste Bagosora et D'autres officiers, parmi lesquels le major Kayumba, ont manifesté leur volonté de prendre le pouvoir. Malgré les recommandations de certaines personnes D'associer le premier ministre, Agathe Uwilingiyimana, à la gestion de cette crise, le colonel Bagosora s'est opposé à toute consultation de cette dernière, ne lui reconnaissant plus aucun pouvoir", indique l'acte D'accusation.

Agathe Uwilingiyimana a été assasinée le 7 avril 1994 au matin par des membres de l'armée rwandaise, après avoir été agressée sexuellement. Dix soldats belges membres de son escorte ont également étét assassinés. Bagosora avait été informé qu'ils étaient en danger de mort, mais n'a rien fait pour les secourir, affirme le parquet.

Le parquet allègue que depuis la fin de 1990 jusqu'à juillet 1994, Théoneste Bagosora et D'autres se sont entendus pour élaborer un plan "machiavélique" dans l'intention D'éliminer la population civile tutsie et des membres de l'opposition, et se maintenir ainsi au pouvoir.

"Les éléments de ce plan comportaient, entres autres, le recours à la haine et à la violence ethnique, l'entraînement et la distribution D'armes aux miliciens ainsi que la confectionn de listes de personnes à éliminer. Dans l'exécution de ce plan, ils ont organisé, ordonné et participé aux masacres perpétrés à l'encontre de la population tutsie et des Hutus modérés", explique l'accusation.

Préparer l'apocalypse

Le parquet affirme que "dès 1993, le colonel Théoneste Bagosora et Aloys Ntabakuze ont tenu des propos identifiant l'ennemi aux Tutsis et ses sympathisants aux Hutus de l'opposition".

Selon l'acte D'accusation, "le colonel Théoneste Bagosora a participé aux négociations D'Arusha [entre l'ancien gouvernement hutu et la rébellion tutsie] et a manifesté ostensiblement son opposition aux concessions faites par le représentant du gouvernement, Boniface Ngulinzira, ministre des Affaires étrangères, au point de quitter la table des négociations. Le colonel Bagosora a quitté Arusha en déclarant qu'il rentrait au Rwanda "pour préparer l'apocalypse. Le 11 avril 1994, Boniface Ngulizira était assassiné par les militaires".

l'acte D'accusation ajoute que "plusieurs officiers supérieurs de l'armée rwandaise, parmi lesquels, Théoneste Bagosora, Gratien Kabiligi et Aloys Ntabakuze, ont publiquement déclaré que l'extermination des Tutsis serait la conséquence inévitable de toute reprise des hostilités par le FPR ou de la mise en place des accords D'Arusha. Le colonel Bagosora, en outre, a déclaré, à différentes occasions, que la solution à la guerre était de faire sombrer le pays dans l'apocalypse pour éliminer tous les Tutsis et ainsi assurer une paix durable. Ces propos étaient souvent tenus en présence D'officiers supérieurs, parmi lesquels, Anatole Nsengiyumva. Ce dernier a, par ailleurs, déclaré que la mise en place des accords D'Arusha déclencherait la guerre".

La poursuite signale que "trois jours avant le déclenchement du génocide, le 4 avril 1994, le colonel Bagosora a réaffirmé que la seule solution à l'impasse politique était D'éliminer tous les Tutsis".

"A partir du 7 avril 1994, des massacres de la population tutsie et l'assassinat de nombreux opposants politiques ont été commis sur tout le territoire du Rwanda. Ces crimes planifiés et préparés de longue date par des personnalités civiles et militaires partageant l'idéologie hutue extrémiste ont été perpétrés par des miliciens, des militaires et des gendarmes suivant les ordres et les directives de certaines autorités, dont le colonel Théoneste Bagosora".

"D'avril à juillet 1994, de par ses fonctions, ses propos, les ordres qu'il a donnés et ses actes, le colonel Théoneste Bagosora a exercé une autorité sur les membres des Forces armées rwandaises, leurs officiers et des miliciens. Ces militaires et miliciens ont commis dès le 6 avril [1994] des massacres contre la population tutsie et des Hutus modérés qui se sont étendus sur l'ensemble du territoire rwandais à la connaissance du colonel Théoneste Bagosora", selon le parquet.

Théoneste Bagosora plaide non coupable. Il est défendu par l'avocat français Me Raphaël Constant et un confrère canadien, Me Jacques Larochelle.

Ordre de commencer les massacres à GisenyI Anatole Nsengiyumva, 52 ans, répond, quant à lui, de onze chefs D'accusation D'entente en vue de commettre le génocide, de génocide, de complicité de génocide, D'incitation directe et publique à commettre le génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

"En sa qualité de commandant des opérations militaires pour le secteur de Gisenyi, Anatole Nsengiyumva exerçait une autorité sur les militaires du secteur Gisenyi", D'après le parquet.

"Son grade, ses fonctions antérieures ainsi que ses relations personnelles qu'il avait avec les autorités militaires et civiles, le fait D'être natif de la même région qu'eux et de partager les mêmes convictions politiques, lui conféraient, dans le contexte régionaliste de l'exercice du pouvoir au Rwanda, une autorité sur les miliciens du MRND [ex-parti présidentiel], les Interahamwe, et les miliciens de la CDR [parti radical anti-tutsi], les Impuzamugambi".

Nsengiyumva a été responsable des renseignements militaires avant D'être nommé commandant à Gisenyi.

Au cours de la réunion des officiers de l'état major dans la nuit du 6 au du 7 avril 1994, Bagosora se serait entretenu au téléphone avec Nsengiyumva, et ce dernier aurait donné l'ordre de commencer les massacres à Gisenyi.

La poursuite indique qu'au cours D'un rassemblement des militaires et des autorités politiques à Gisenyi, "Nsengiyumva a donné l'ordre aux participants de tuer tous les complices du FPR et tous les Tutsis". A la fin de ce rassemblement, Anatole Nsengiyumva aurait ordonné à ses subordonnés de distribuer des armes et des grenades aux miliciens présents.

De plus, le 7 avril 1994, Anatole Nsengiyumva aurait désigné un endroit où s'était réfugiée une famille tutsie, qui a été ensuite massacrée par des miliciens, en sa présence. Il aurait, à la même date, ordonné l'exécution, à coups de machette, D'une personne qui avait refusé de monter dans un camion dans lequel il circulait.
"Entre mai et juin 1994, Omar Serushago [condamné par le TPIR à quinze ans de prison après avoir plaidé coupable de génocide] et son groupe de miliciens ont enlevé une femme tutsie et l'ont conduite, sur ordre de Nsengiyumva, à la Commune Rouge pour l'exécuter", indique encore la poursuite.

Anatole Nsengiyumva est en outre accusé D'avoir, entre avril et juin 1994, présidé des réunions au stade Umuganda de Gisenyi, auxquelles ont assisté plusieurs centaines de miliciens. "Il a, à ces occasions, incité et encouragé les participants à continuer les massacres de la population civile tutsie."

Nsengiyumva a été arrêté au Cameroun le 27 mars 1996 et transféré à Arusha le 23 janvier 1997. Il est représenté par des avocats kenyans Me Kennedy Ogetto et Otachi Bw'Omanwa. Il plaide non coupable.

Aloys Ntabakuze, 48 ans, répond pour sa part de dix chefs D'accusation D'entente en vue de commettre le génocide, de génocide, de complicité de génocide, D'incitation publique et directe à commettre le génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

Venger la mort de Habyarimana

"Le 8 avril 1994, lors D'un rassemblement général, le comandant du bataillon paracommando, Aloys Ntabakuze, a donné l'ordre à ses militaires de "venger la mort du président Habyarimana, en tuant les Tutsis". Il les a par ailleurs encouragé en leur confirmant la mort de certains Tutsis et de leurs "complices politiciens". De fait plusieurs leaders de l'opposition avaient été assassinés la veille".

Aloys Ntabakuze plaide non coupable. Il a été arrêté au Kenya en juillet 1997. Il est défendu par les avocats canadiens Me Clemente Monterosso et André Tremblay.

Gratien Kabiligi, 51 ans, répond des mêmes charges que Ntabakuze. Il plaide également non coupable. Il est défendu par Me Jean Yaovi Degli des barreaux du Togo et de Paris, et Me Sylvia Olympia exerçant en France. Kabiligi a été arrêté au Kenya en juillet 1997 et transféré à Arusha.

Le parquet allègue notamment que "pendant les massacres, le brigadier général Gratien Kabiligi a encouragé et soutenu les miliciens qui assassinaient les civils tutsis et a ordonné à ses hommes D'utiliser les Interahamwe aux barrages. En outre, à la mi-avril 1994, Kabiligi a ordonné le meurtre D'un soldat des Forces armées rwandaises D'origine tutsie et de certains membres de la famille de ce dernier".

Des militaires relevant du brigadier Kabiligi auraient en outre , de mai à juillet 1994, "contrôlé l'identité et relevé les noms de personnes reconnues comme Tutsis qui s'étaient réfugiées dans une maison située en face du collège Saint-André à Kigali. Le 8 juin 1994, ces militaires ont entouré ladite maison, fait sortir les personnes qui s'y trouvaient et les ont fusillées".

Le parquet allègue que "en sa qualité de commandant des opérations militaires (G-3) de l'Etat-major de l'armée rwandaise, Gratien Kabiligi avait sous son commandement les unités des secteurs de Byumba[nord], Ruhengeri [nord-ouest], Mutara [est], Kigali ainsi que les unités D'élite telles que la garde présidentielle, le bataillon paracommando et le bataillon de reconnaissance sur lesquelles il exerçait une autorité."

Le parquet ajoute que vers la fin du mois de mars 1994, Kabiligi et le chef D'Etat-major de l'armée rwandaise, le général Déogratias Nsabimana, "ont évoqué devant des officiers de l'armée belge, la possibilité D'éliminer le FPR (Front patriotique rwandais) et les Tutsis dans un court laps de temps."

"D'ailleurs, durant le génocide, Gratien Kabiligi a exprimé sa satisfaction quant aux crimes perpétrés par les miliciens Interahamwe contre la population civile tutsie", conclut le parquet.

Le parquet est représenté dans cette affaire par le Canadien D'origine nigériane Chile Eboe-Osuji, le Canadien Drew White, le Nigérian Segun Jegede et la Suédoise Christine Graham.

Le procès se déroulera devant la troisième chambre de première instance du TPIR présidée par le juge George Llyod Williams de Saint Kitts et Nevis et comprenant en outre les juges, russe Yakov Ostrovsky et slovène Pavel Dolenc.
AT/GF/FH(ML-0329A)