16.11.2001 - TPIR/BUTARE - LE PARQUET DEMANDE UN CONSTAT JUDICIAIRE DE GENOCIDE AU RWANDA

Arusha, le 16 novembre, 2001 (FH) - Le parquet a demandé un constat judiciaire de certains "faits"de l'histoire du Rwanda, dont le génocide anti-tutsi de 1994, ainsi que leurs conclusions juridiques, vendredi, dans le procès de six personnes poursuivies pour des crimes commis à Butare (sud du Rwanda) en cours devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Le parquet soutient qu'un constat judiciaire profiterait aux accusés, en accélérant le procès.

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"Ce serait un gaspillage de temps si on présentait les preuves sur des faits déjà jugés," a déclaré la représentante italienne du parquet, Silvana Arbia.

La défense a pour sa part demandé que la requête du parquet soit déclarée irrecevable.

Faire un constat judiciaire des faits qui sont encore contestés serait "contraire à la jurisprudence du TPIR et du TPIY (Tribunal de l'ONU pour l'ex-Yougoslavie), porterait préjudice aux accusés et priverait ce tribunal de la possibilité de faire la lumière sur les évènements (de 1994 au Rwanda)," a plaidé l'avocate canadienne Me Nicole Bergevin, qui défend l'ancienne ministre de la famille et de la promotion de la femme, Pauline Nyiramasuhuko.

"Les accusés ont déjà plaidé non coupables et rejeté les faits pour lesquels le procureur veut que soit établi un constat judiciaire," a pour sa part plaidé l'avocat canadien Me Michel Boyer, co-conseil de l'ancien maire de Ngoma, Joseph Kanyabashi.

"Il serait très dangereux de dresser un constat judiciaire dans ce procès où il y a six accusés qui occupaient des positions différentes, dans des endroits différents," a poursuivi Me Bergevin.

Le procès de Butare concerne, outre Joseph Kanyabashi et Pauline Nyiramasuhuko, Arsène Shalom Ntahobali, le fils de l'ancienne ministre, présumé chef milicien, l'ex-maire de Muganza, Elie Ndayambaje, ainsi que deux anciens préfets de Butare, Sylvain Nsabimana et Alphonse Nteziryayo.

Economie de temps?

Le procureur soutient que le règlement du TPIR permet à une chambre de faire un constat judiciaire sur des faits qui sont de "notoriété publique". "En outre", selon la requête, "la jurisprudence antérieure du TPIR et du TPIY explique que la définition du concept de 'notoriété publique' s'étend sur des conclusions légales basées sur des faits juridiquement établis".

"La théorie du constat judiciaire est consacrée dans les statuts des tribunaux militaires internationaux qui ont statué sur les crimes commis pendant la seconde guerre mondiale," explique le parquet. l'accusation cite en guise D'exemple, la charte du Tribunal de Nuremberg (mis sur pied pour juger les crimes de guerre commis par les Nazis), qui dit que: "Le Tribunal n'exigera pas que soit rapportée la preuve de faits de notoriété publique, mais les tiendra pour acquis. Il considérera également comme preuves authentiques les documents et rapports officiels des gouvernements [des pays membres] des Nations Unies. "

Dans sa requête, le parquet donne une liste de textes qui, selon lui, donnent le background des événements de 1994 au Rwanda ainsi que leurs "conclusions juridiques".

Les conclusions juridiques comportent le fait que "certains citoyens ont commis le génocide". Elles comportent également une déclaration selon laquelle entre le 1er janvier et le 17 juillet 1994, il y a eu un conflit armé au Rwanda, et que "ce conflit armé était non international dans sa nature".

Me Bergevin a de son côté fait remarquer que l'Uganda a livré "des hommes et des armes" au mouvement pro-tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), et que par conséquent ce conflit était international.

Les juges vont délibérer

Alors que les Nations Unies ont reconnu qu'il y a eu génocide au Rwanda entre le 6 avril 1994 (après l'attentat contre l'avion de l'ancien président Juvénal Habyarimana) et mi-juillet de la même année (prise de pouvoir par le FPR), le TPIR a pour mandat de juger "la responsabilité criminelle individuelle" et doit respecter scrupuleusement les droits des accusés.

Il y a un seul cas notable au TPIR où le parquet avait soumis une requête similaire aux fins D'un constat judiciaire des faits historiques et des conclusions juridiques qui en résulteraient. La requête avait été plaidée dans le procès de l'ancien maire Laurent Semanza, en cours devant le TPIR.

Dans sa décision du 3 novembre 2000, la troisième chambre de première instance avait fait droit au procureur sur les faits et documents mais avait rejeté sa demande "D'établir, à titre de preuves, des présomptions induites des faits" et de "faire dresser le constat judiciaire des déductions qui peuvent être faites à partir des faits dont le constat judiciaire a été dressé".

Les juges dans le procès de Butare vont délibérer avant de rendre une décision. Le procès se déroule devant la deuxième chambre de première instance du TPIR présidée par le juge tanzanien William Hussein Sekule, et comprenant en outre les juges malgache Arlette Ramaroson et lesothan Winston Churchill Matanzima Maqutu.

JC/GA/AT/PHD/FH (BT_1116A)