13.07.2001 - TPIR/BUTARE - ENQUÊTE POUR OUTRAGE REJETEE, LE PARQUET RECOIT UN AVERTISSEMENT

Arusha 13 juillet, 2001 (FH) - La chambre du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) jugeant les six personnes accusées de crimes commis en préfecture de Butare (sud du Rwanda) a rejeté la requête du parquet aux fins D'une enquête en outrage au Tribunal, et elle a donné un avertissement au représentant du procureur pour mauvaise conduite. La chambre a toutefois fait droit à la requête de l'accusation aux fins D'harmonisation des mesures de protection des témoins dans ce procès.

5 min 2Temps de lecture approximatif

Le parquet avait demandé une enquête pour outrage au Tribunal, alléguant que des enquêteurs de la défense auraient intimidé des témoins du parquet au Rwanda. Selon cette requête, entre le 1er et le 6 juin 2001, quatre membres de l'équipe de la défense ont abordé quatre témoins à charge, dont deux au moins sont des témoins à charge dans le procès de Butare, et ils ont essayé de leur parler, dans le but de leur faire changer D'avis pour que ces personnes ne témoignent pas pour le procureur. La requête du parquet visait des membres des équipes de défense de l'ancien maire de Ngoma, Joseph Kanyabashi et de l'ex-préfet Sylvain Nsabimana.

Sont concernés par ce procès, outre Joseph Kanyabashi et Sylvain Nsabimana, l'ex-ministre de la famille et de la promotion féminine, Pauline Nyiramasuhuko, première femme à être inculpée par une juridiction internationale; son fils Arsène Shalom Ntahobali; l'ex-préfet Alphonse Nteziryayo ainsi que l'ex-maire de Muganza, Elie Ndayambaje. Ils sont tous poursuivis pour génocide et crimes contre l'humanité, et plaident non coupables.

La deuxième chambre de première instance du TPIR a jugé que le règlement lui permettait D'ordonner une enquête, mais a relevé que vu la gravité des allégations, le parquet aurait dû D'abord convaincre les juges qu'il y avait " des bases raisonnables pour croire que la conduite D'outrage avait effectivement eu lieu". La chambre a conclu que l'accusation n'a pas réussi à le faire.

Ouï-dire

Dans sa décision datée du 10 juillet, la chambre a estimé que les allégations du procureur manquaient de précision et que les documents produits pour soutenir ces allégations se fondaient seulement sur l'ouï-dire et " la preuve par double-ouï-dire".

La chambre a relevé que le procureur a lancé une très sérieuse allégation contre un membre de l'équipe de défense, qu'il a par après retirée "sans donner des détails sur la nature de l'erreur ni sur sa portée". "Cela", relève la Cour, "lance un doute substantiel sur la véracité des allégations avancées".

Le procureur avait D'abord soutenu que "un témoin a charge a identifié un interprète de l'équipe de la défense comme étant un ressortissant rwandais et un ancien membre des Interahamwe [milice hutue de l'ex-parti présidentiel,le MRND], répondant au nom de Joseph Biroto Nzabirinda". Nzabirinda est enquêteur de la défense de l'accusé Sylvain Nsabimana.

Mais après que la défense de Nsabimana eut déposé sa réponse, le procureur a déclaré qu'il retirait les références à cet enquêteur." Depuis que nous avons déposé la requête en extrême urgence, nous avons eu de nouvelles informations qu'il y avait eu erreur en ce qui concerne Nzabirinda" avait indiqué le parquet sans donner plus de détails.

l'avocat camerounais de Sylvain Nsabimana, Me Charles Tchakounte Patie, avait indiqué pour sa part que cela ne suffisait pas, arguant que le dommage avait déjà était causé et que Nzabirinda avait peur pour sa vie. Il avait alors demandé à la chambre de prendre des sanctions à l'encontre du parquet.

Imprudence du PARQUET, La Chambre a déclaré avoir pris note du retrait des allégations contre Nzabirinda, mais également du fait "qu'elles ont depuis été répercutées dans la presse rwandaise et internationale, comme soulevé par l'avocat de Nsabimana, et probablement qu'elles avaient compromis la sécurité sinon la vie de l'enquêteur de la défense concerné et qu'elles avaient sapé les enquêtes de la défense".

Avertissement au procureur pour imprudence

La chambre a en outre "noté à ce propos que, même en agissant de bonne foi en voulant soulever rapidement les éventuelles menaces de sécurité pesant sur ses témoins, le procureur aurait dû agir de manière diligente en évitant de divulguer largement au public l'identité des membres des équipes de défense, évitant ainsi une situation importune telle que celle imposée à l'enquêteur de Nsabimana".
"La chambre trouve par conséquent que l'attitude du procureur en l'espèce équivaut à une inconduite du conseil," ont poursuivi les juges.

"La chambre, ayant trouvé que les conseils du parquet se sont conduits de façon impropre et imprudente concernant la divulgation de l'identité du personnel de la défense en alléguant l'outrage au Tribunal, leur donne un avertissement au terme de l'article 46(A) du règlement, afin qu'ils cessent une telle conduite, qui est contraire aux intérêts de la justice", conclut la décision des juges.

La chambre n'a pas été D'accord avec l'argument de la défense selon lequel tous les accusés dans cette affaire ou leurs avocats ont subi un préjudice en termes D'une éventuelle violation du principe de présomption D'innocence ou D'atteinte à leur réputation professionnelle.

La chambre a encore relevé que la requête mentionnait seulement les membres des équipes de défense de Kanyabashi et de Nsabimana, et que " seuls ces conseils et leurs accusés respectifs pourraient avoir subi un préjudice, s'il y en a un, de ces allégations suivant la manière dont elles ont été soulevées"

Cependant, la chambre estime que ce n'est pas le cas, surtout parce que les dites allégations ont été retirées." En effet, les juges du Tribunal sont des juristes professionnels, capables de faire la part des choses entre les enjeux du procès et les questions connexes,", selon la décision.

Faisant droit partiellement à la requête du procureur aux fins D'harmonisation des mesures de protection des témoins pour les six accusés de Butare, la chambre a ordonné que "le contact ou communication avec les victimes et témoins protégés, que ce soient ceux de la défense ou de l'accusation, ou leurs membres de familles [..] doivent être sujets à une demande écrite à la chambre ou à un juge désigné à cet effet, avec notification dans un délai raisonnable au procureur ou à la défense concernée.

Si la permission est accordée, et avec le consentement de la personne protégée concernée, ses parents ou ses garants si la personne est âgée de moins de 18 ans, la partie pour laquelle la victime ou le témoin déposera au procès devra prendre en charge tous les arrangements nécessaires pour faciliter un tel contact".

La défense satisfaite

"C'est une excellente décision", a déclaré à l'agence Hirondelle, par téléphone depuis le Canada l'avocat de Kanyabashi, Me Michel Marchand. "La chambre a rejeté toutes les allégations, parce qu'elles étaient non fondées" a-t-il poursuivi. Il a ajouté que la chambre a pris en compte tous les arguments lui présentés, et qu'il était content de la décision.

"La décision inclut également l'ordonnance sur la protection des témoins" a déclaré Me Marchand, "mais nous en sommes confortables. Notre objectif n'est pas de contacter les témoins de l'accusation, mais de mener des enquêtes".

La procès se déroule devant la deuxième chambre de première instance du TPIR, présidée par le juge tanzanien William Hussein Sekule, et composée en outré des juges malgache Arlette Ramaroson, et Winston Churchill Matanzima Maqutu du Lesotho.

JC/BN/AT/PHD/FH (BT_0713A)