10.03.2001 - TPIR/KAJELIJELI - l'ACTE D'ACCUSATION CONTRE l'ANCIEN MAIRE DE MUKINGO

Arusha, le 10 mars 2001 (FH)- l'ancien maire de Mukingo (préfecture Ruhengeri, ouest du Rwanda), dont le procès s'ouvre lundi après-midi, est poursuivi sur base D'un acte D'accusation amendé selon une décision du 25 janvier dernier. Le parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) l'accuse de génocide, ou subsidiairement de complicité dans le génocide, D'entente en vue de commettre le génocide, D'incitation publique et directe à commettre le génocide, de crimes contre l'humanité, et de violations de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II.

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Juvénal Kajelijeli est né le 26 décembre 1951 dans la cellule de Rwinzovu, secteur de Rwinzovu, commune de Mukingo. Il avait dans un premier temps été coaccusé avec D'autres anciens politiciens mais le Tribunal lui a par la suite accordé un procès séparé.

Les crimes qui lui sont reprochés ont été commis dans la commune de Mukingo et dans la région avoisinante, située dans la préfecture de Ruhengeri. Les victimes visées dans l'acte D'accusation étaient des civils tutsis vivant dans la commune de Mukingo et D'autres personnes D'origine tutsie qui s'étaient réfugiées dans cette commune et dans la région avoisinante. Ces victimes étaient des personnes protégées, au sens de l'article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 et du protocole additionnel II et qui n'ont pas participé activement au conflit, selon le parquet.

Allégations spécifiques

"D’avril à juillet 1994, plusieurs hommes, femmes et enfants tutsis ont été attaqués, enlevés, violés et massacrés dans leurs résidences ou sur les lieux où ils s’étaient réfugiés dans la commune de Mukingo ou alors arrêtés, détenus et par la suite tués. L’accusé a ordonné, organisé et supervisé ces attaques et pris part à leur perpétration", note le parquet.

"Au nombre des assaillants figuraient des membres de la police communale, de la gendarmerie nationale et de l’Interahamwe [milice apparentée à l'ex-parti présidentiel] qui étaient sous le contrôle de l’accusé et qui ont fait usage d’armes à feu, de grenades, de machettes, de lances, de pangas, de gourdins et d’autres armes pour tuer les Tutsis", poursuit l'accusation.

Juvénal Kajelijeli a exercé la fonction de bourgmestre [maire] de la commune de Mukingo de 1988 à 1993 et a été reconduit à ce poste en juin 1994. Il a occupé cette fonction jusqu'à la mi-juillet 1994, selon le parquet.

"En sa qualité de bourgmestre, l'accusé exerçait son autorité sur ses subordonnés, y compris les agents de l'administration publique, les agents de la police communale, les gendarmes de la gendarmerie nationale, la population civile de la commune de Mukingo et les Interahamwe-MRND", selon l'acte D'accusation.

"l'accusé a ordonné des viols et des attentats à la pudeur accompagnés de violences commis en sa présence sur des femmes tutsies. Au cours de la période visée dans le présent acte d’accusation, l’accusé, malgré l’autorité qu’il avait sur les assaillants, n’a pris aucune mesure pour mettre fin à ces actes abominables perpétrés à l’encontre des femmes tutsies."

Le procureur ajoute qu'au cours des événements visés dans le présent acte d’accusation, Juvénal Kajelijeli "avait le pouvoir de délivrer des laissez-passer aux habitants de la commune avant leur évacuation subséquente de ce lieu, mais il s’est refusé à l’exercer pour prévenir ou faire cesser les massacres des Tutsis dans sa commune. Au contraire, il a mis en oeuvre divers moyens, dont l’érection de barrages routiers, pour les empêcher de se déplacer librement à l’intérieur et à l’extérieur de la commune".

Le parquet en déduit que "l'accusé avait l’intention de détruire les Tutsis en tant que groupe racial ou ethnique, attendu qu’ils avaient été identifiés par le MRND [ex-parti présidentiel] comme l’ennemi [ … pour servir la politique gouvernementale visant à combattre le FPR [ex-rébellion à dominante tutsie], à éliminer les Tutsis et se maintenir au pouvoir".

"L’accusé était animé de l’intention de commettre les actes d’incitation et les massacres, décrits dans l’acte d’accusation comme faisant partie d’un conflit armé à caractère non international contre le FPR. Par ses actes commis au cours de la période visée dans le présent acte d’accusation, l’accusé cherchait à annihiler les appuis potentiels dont le FPR pouvait bénéficier dans la préfecture de Ruhengeri et en particulier dans la commune de Mukingo en éliminant les Tutsis.", toujours selon le parquet.

Des liens étroits avec Joseph NZIRORERA Juvénal Kajelijeli, à travers la position d’autorité qu’il occupait et agissant de concert avec d’autres personnes, a pris part à la planification, à la préparation ou à l’exécution d’un projet, d’une stratégie ou d’un plan commun, visant à commettre le génocide anti-tutsi et les massacres D'opposants , indique en outre le procureur.

" l'accusé entretenait avec le secrétaire général national du MRND, Joseph Nzirorera, ancien ministre dans les gouvernements MRND de 1987, 1989, 1990 et 1991 et également ressortissant de la commune de Mukingo, des liens étroits qui lui ont valu autorité et prestige." Joseph Nzirorera est également détenu à Arusha.

"Les relations de l’accusé avec une personnalité aussi influente que Joseph Nzirorera lui ont permis de faire fi de la présence des autorités locales et de commettre des atrocités contre les populations tutsies sans jamais faire l’objet de la moindre sanction pénale."

L’accusé avait fondé et dirigeait un groupe d’Interahamwe dans la commune de Mukingo de 1991 à juillet 1994, note par ailleurs la poursuite. "Entre 1991 et juillet 1994, les Interahamwe dans la commune de Mukingo avaient, sous la direction de l’accusé, reçu un entraînement militaire organisé par l’accusé; reçu de l’accusé des armes et uniformes fournis par Joseph Nzirorera; et reçu des listes de Tutsis à éliminer."

Juvénal Kajelijeli plaide non coupable. Il est défendu par deux avocats américains, Me Lennox Hinds et Me Richard Harvey. Son procès pourrait être suspendu quelques jours seulement après son ouverture sur le fond pour reprendre intensément au mois de juin, en raison de l'indisponibilité des avocats de la défense.

Juvénal Kajelijeli a été arrêté au Bénin le 5 juin 1998, dans la même maison que Joseph Nzirorera.

AT/PHD/FH(KJ_0310A)