22.02.2000 - TPIR/BARAYAGWIZA/RWANDA - LE PROCUREUR GENERAL DU RWANDA DEMANDE A LA CHAMBRE D'APPEL D

Arusha 23 février 2000 (FH) - Les autorités rwandaises ont demandé mardi à la chambre D'appel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), D'envoyer au Rwanda Jean-Bosco Barayagwiza, accusé de génocide, au cas où serait maintenue la décision de le libérer. "C'est le devoir de ce tribunal, soit de juger l'appelant, soit de s'assurer que l'appelant soit traduit en justice dans un pays ayant la capacité et la volonté de le juger", a dit à la chambre le procureur général du Rwanda, Gérard Gahima.

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"Nous demandons que le pays où l'appelant devrait être transféré soit le Rwanda".

Gahima comparaissait devant la chambre D'appel du TPIR en tant qu' amicus curiae (ami de la cour), pour le compte du gouvernement rwandais. Ses arguments sont intervenus à la fin de toute une journée D'audience, au cours de laquelle le procureur du TPIR, Carla Del Ponte, a demandé à la chambre D'appel de réviser sa décision controversée ordonnant la libération de Barayagwiza pour vices de procédure.

Le 3 novembre dernier, la chambre D'appel du TPIR a ordonné sa libération en faisant valoir que le procureur avait à maintes reprises violé les droits de l'accusé pendant sa détention initiale au Cameroun et après son transfert à la prison du TPIR à Arusha. La chambre avait dit que Barayagwiza devrait être renvoyé au Cameroun où il avait été arrêté, et que la libération devrait être assortie de "préjudice au procureur". Ceci signifie, si la décision est maintenue, que le TPIR ne peut plus arrêter Barayagwiza, même s'il n'a pas encore été jugé.

Barayagwiza était membre-fondateur de la radio de la haine, Radio Télévision Libre des Mille Collines, qui a incité les Hutus à tuer les Tutsis, et du parti extrémiste hutu, la CDR. Il était conseiller politique au ministère des affaires étrangères du gouvernement intérimaire en place pendant le génocide en 1994. Le TPIR a établi à son encontre un acte D'accusation comprenant notamment le génocide et des crimes contre l'humanité.

Gahima a fait valoir qu'il serait inopportun de renvoyer Barayagwiza au Cameroun. "Avant tout, et c'est le plus important, la cour D'appel de Yaoundé [...] a dit que l'appelant ne pouvait être jugé au Cameroun parce que ce pays n'est pas encore doté D'une législation compétente pour juger les crimes dont il est accusé", a dit Gahima aux juges de la chambre D'appel. "Maintenant vous ne pouvez pas adhérer à une décision qui va lui garantir D'échapper à la justice pour toujours".

Le procureur général du Rwanda a dit que Barayagwiza pourrait peut-être, être libéré en Tanzanie, mais que l'accord passé entre le TPIR et son pays hôte, la Tanzanie, lui laisse aussi une possibilité de s'échapper. "l'accord prévoit que si le tribunal décide de libérer une personne en Tanzanie, la Tanzanie ne peut pas l'arrêter durant une période de quinze jours.[...] Ainsi, s'il était libéré en Tanzanie, il aurait une période de 15 jours pendant laquelle il serait libre de se rendre dans un pays où il ne serait jamais amené à rendre compte", a-t-il fait valoir.

Gahima a dit que Barayagwiza devrait être envoyé au Rwanda. Il a ajouté que le Rwanda avait la juridiction et avait déjà adopté une législation afin de juger les crimes dont Barayagwiza est accusé.

Evoquant les doutes émis quant à la question de savoir si l'accusé aurait droit à un procès équitable au Rwanda, Gahima a affirmé : "Nous sommes prêts à le juger sans délai excessif". "Nous lui donnerons droit à la représentation juridique de son choix, et nous inviterons des observateurs internationaux à suivre son procès".

" S'il était jugé et condamné à la peine capitale, nous nous engageons à ne jamais faire appliquer cette peine", a poursuivi Gahima. Pour le cas où il se verrait condamner à une peine de prison, nous sommes prêts à garantir que la période qu'il a effectué au titre de la détention provisoire sera déduite de sa peine.

Au Rwanda Barayagwiza est classé comme suspect de génocide de la "catégorie un", celle qui concerne les architectes et leaders du génocide. Il encoure normalement la peine de mort s'il y est jugé. Le système judiciaire surchargé du Rwanda n'est D'habitude pas en mesure D'assurer un jugement rapide aux détenus des prisons surpeuplées du pays.

La Cour D'Appel a invité Gahima à s'exprimer en dépit du fait qu'elle n'a pas encore pris de décision quant à la requête du procureur. Si la Cour retient les arguments de Mme Del Ponte, elle pourrait lui permettre D'inculper Barayagwiza à nouveau, et la question de sa relaxe relèverait alors de l'hypothèse D'école.

Le Président de la Cour D'Appel, le juge français Claude Jorda, a rappelé Gahima à l'ordre au début de son allocution, alors que le procureur général rwandais entamait un exposé sur le génocide et le rôle qu'y avait joué l'appelant. Les avocats de la défense ont également fait objection.

Acceptant de s'en tenir à ce pour quoi il était entendu, Gahima est cependant parvenu à revenir sur le rôle de Barayagwiza dans le génocide sans plus être interrompu par le président de la cour.

"Il était l'un des architectes du génocide rwandais. Heureusement, du fait que l'appelant a cherché à propager ses vues haineuses par le biais des média, il existe une vaste documentation sur ses crimes. Tout le monde au Rwanda le connaît, c'était un homme de la haine, il l'a propagée à travers les média, avec des conséquences catastrophiques. C'est la raison pour laquelle nous croyons que c'est votre obligation D'assurer qu'il n'échappe pas à la justice", a conclu Gahima.

l'avocate canadienne de Barayagwiza, Me Carmelle Marchessault, a dit aux juges que les propos de Gahima prouvaient que Barayagwiza n'aurait jamais droit à un procès équitable au Rwanda. "Il a dit que [...] les victimes s'attendaient à ce que cette personne ne soit pas libérée pour des raisons techniques. Il a justement prouvé, en disant cela, qu'un procès serait considéré comme inutile parce que personne ne doute de la culpabilité de Barayagwiza [...] qui, selon le procureur représentant le gouvernement rwandais, est déjà impliqué dans les crimes de génocide et ne pourra en aucune manière jouir de la présomption D'innocence". Les juges de la chambre D'appel ont quitté Arusha mardi soir pour La Haye (Pays Bas), où ils sont normalement basés. Aucune date n'a été donnée pour la décision dans l'affaire Barayagwiza.

S'exprimant après l'audition, le porte parole du TPIR, Kingsley Moghalu a toutefois dit qu'une décision rapide était probable. "A en juger D'après la composition de la cour D'appel, je pense que nous pouvons nous attendre à une décision assez rapidement," a-t-il dit à la presse. "Je serais surpris si cela prenait plus de trois semaines, compte tenu de leurs performances".

JC/CR/KAT/FH (BR%0223)