05.11.1999 - TPIR/BAGILISHEMA - LA PREMIERE VISITE SUR LE TERRAIN A ETE UN SUCCES POUR LE TRIBUNAL

Kibuye, 5 novembre 99 (FH)- Le Tribunal International Pénal pour le Rwanda a exprimé vendredi sa satisfaction à l'issue de sa première visite judiciaire au Rwanda. Les personnalités rwandaises interrogées par l'Agence Hirondelle ont également reconnu l'aspect positif de cette démarche, tout en critiquant la décision des juges de renoncer à visiter le mémorial des victimes du génocide de Bisesero.

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Les juges, les représentants du procureur et les défenseurs intervenant dans le procès D'Ignace Bagilishema, ancien bourgmestre de Mabanza, ont achevé jeudi soir une visite de travail de quatre jours sur différents sites de la préfecture de Kibuye, où les crimes imputés à l'accusé auraient été commis.

Ignace Bagilishema, dont le procès s'est ouvert le 27 octobre dernier devant le TPIR, est accusé D'avoir joué un rôle D'initiateur dans les massacres de Tutsis réfugiés sur le territoire de la préfecture de Kibuye durant les mois D'avril à juillet 1994.

" La Cour a le sentiment D'avoir progressé de manière importante dans sa compréhension du dossier et du contexte dans lequel les témoignages seront apportés." a dit aux journalistes, Tom Kennedy le responsable du service presse et information du TPIR.

"Le parquet et les avocats de la défense se sont aussi félicités du déroulement de cette visite sur le terrain " a ajouté le porte parole du Tribunal.

Cette visite a été organisée pour donner suite à une requête de l'un des défenseurs, un avocat français, qui se rendait ainsi pour la deuxième fois au Rwanda. "La visite s'est déroulée de façon satisfaisante " a déclaré Me François Roux, à l'agence Hirondelle, avant de préciser en substance : " Tout le monde est conscient de l'enjeu de cette visite, à la fois pour ce procès et pour les prochains ".

Le représentant du parquet, le substitut nigérian Charles Philips a également exprimé sa satisfaction générale , mais il a estimé que le moment aurait pu être mieux choisi. " Avec le recul, il aurait été préférable D'entreprendre cette visite après avoir entendu les témoignages" a-t-il déclaré à l'Agence Hirondelle.

" Les juges ont souvent exprimé, sur les différents sites, leur désir D'entendre le parquet sur le fond du dossier, ce qui est difficile, car c'est précisément ce que nos témoins devront dire plus tard. Le mieux serait de pouvoir amener sur place le témoin pour raconter le déroulement des faits" a précisé le substitut".

Cette difficulté a été D'autant plus grande que le parquet n'a pas été autorisé à amener ses enquêteurs, a souligné le substitut. "Nous avions offert de les prendre avec nous, mais les défenseurs s'y sont opposés et la Cour les a suivi" a déclaré Charles Philips à l'Agence Hirondelle.

Innovation dans la procédure internationale

C'est la première fois qu'un tribunal pénal international effectue une visite sur les lieux où les faits allégués se sont produits, alors que les visites sur le terrain sont une procédure bien connue dans de nombreuses juridictions nationales, y compris au Rwanda.e même pour le Rwanda.

Pour la défense, il semble indispensable dans un procès de cette importance que chacun puisse avoir la meilleure compréhension possible du terrain et de la situation au Rwanda même " a déclaré l'avocat François Roux.

" Pour cette raison, au mois D'août, après avoir été informé que le procès s'ouvrirait en octobre, J'ai demandé au tribunal D'examiner la possibilité de se rendre au Rwanda " a poursuivi le défenseur. Cette requête avait reçu une suite favorable de la part du parquet et de la cour.

Précédemment, le TPIR avait rejeté une requête du défenseur de l'ancien maire de la commune Taba, Jean-Paul Akayesu, demandant une visite similaire.

" A cette époque, les relations publiques entretenues par le tribunal étaient au plus bas et la situation de sécurité à Kigali était tellement mauvaise, que la Chambre concernée avait probablement acquis une conviction défavorable". a déclaré le procureur Philips à l'agence Hirondelle,

Maintenant les relations entre le tribunal et le gouvernement rwandais se sont améliorées, et cela coïncide avec un changement dans la composition du tribunal, a-t-il poursuivi.

" La nouvelle vague de juges est perçue comme dynamique et tournée vers le futur, et elle n'a pas caché le fait qu'ils voulaient effectuer ce genre de visite ".

Pendant quatre jours, les juges Eric Mose, de Norvège, en tant que président de la Chambre), Asoka de Zoysa Gunawardena , du Sri Lanka , et Mehmet Guney, de Turquie, accompagnés des représentants de deux parties, ont visité les sites de massacres imputés à l'accusé Bagilishema , dans les communes de Mabanza , Gitesi , Gishyita et Gisovu.

Ignace Bagilishema était maire de Mabanza de février 1980 à juillet 1994. Selon le parquet, quelque 20.000 personnes ont été massacrées à Mabanza et dans les environs pendant le génocide.

La visite a porté entre autres sur le bureau communal de la commune Mabanza , où Bagilishema aurait encouragé des milliers de tutsis réfugiés à se rassembler avant de les renvoyer sur des sites stratégiques, où ils étaient tués.

Le site du bureau communal de Mabanza comprend une fosse commune qui aurait été creusée par des miliciens Interahamwe sur ordres de Bagilishema, ainsi que la prison de la commune, où il aurait détenu plus de 100 tutsis réfugiés. AujourD'hui , cette petite prison sans fenêtres est remplie de suspects de génocide.

La Cour est s'est également rendue au stade de Gatwaro dans la ville de Kibuye, où quelques 10.000 réfugiés étaient restés privés de nourriture et D'eau, puis avaient été massacrés par des soldats et des miliciens à la mi-avril 1994.

Selon le parquet, ces tueries étaient dirigées par le préfet de Kibuye , Clément Kayishema, et par le bourgmestre Bagilishema. Le 25 mai dernier, le TPIR a condamné Kayishema à l'emprisonnement à vie.

Visite "strictement judiciaire"

Les juges ont été amenés à voir eux-mêmes les maisons, les fosses communes et les sites des montagnes de Bisesero, où des Tutsis ont essayé de résister aux attaques des Interahamwe. Cependant ,les juges ont volontairement renoncé à visiter le mémorial du génocide de Bisesero, où des milliers de squelettes et D'ossements des victimes du génocide sont exposés.

Cette décision a été prise pour le motif que la visite était strictement judiciaire, que le mémorial n'était pas directement lié à l'affaire Bagilishema, et que cela pourrait porter atteinte au droit de l'accusé à être présumé innocent jusqu'à preuve de sa culpabilité.

Un groupe de rescapés gardant le mémorial a déclaré que c'était une bonne chose que les juges " viennent voir de leurs propres yeux ". Ils ne sont toutefois pas parvenus à comprendre pourquoi la Cour n'a pas visité le mémorial.

"Que viennent-ils faire ici, s'ils ne vont pas voir les ossements et les squelettes ?", a demandé Simon Ngamije , qui a perdu vingt membres de sa famille dans le génocide. "C'est comme s'ils étaient restés à Arusha, pour entendre les témoins ".

D'autres Rwandais, y compris des journalistes et des officiels, ont exprimé les mêmes sentiments. "Je n'avais pas réalisé qu'ils sont allés à Bisesero pour une raison autre que visiter le mémorial ", a dit l'actuel maire de Mabanza , Mathias Abimana, qui est aussi un survivant du génocide. "Les juges sont aussi des êtres humains. Et je pense qu'il aurait été mieux s'ils avaient été capables de vivre la signification émotionnelle de la situation".

Abimana a néanmoins déclaré qu'il pensait que la visite était une "bonne chose", et qu'elle devrait servir les intérêts de la justice et de la réconciliation. Le procureur de Kibuye, Aristide Nkonji, a estimé pour sa part que la visite rendra plus crédibles les décisions du TPIR, parce que la Cour aura été sur terrain. Il a dit espérer que cela traduisait une volonté D'aller de l'avant en ce qui concerne l'arrestation, sur le plan international, des suspects du génocide, et une volonté de coopérer avec les autorités judiciaires rwandaises.

JC/PHD/FH (BS§1105a )