LE LENT CHEMIN DE L'INDEMNISATION

Kigali, le 16 avril 2004 (FH)- Dans le village de Busogo, au pied des volcans au nord du Rwanda, la vieille Drocella s'active. Il sera bientôt midi : ses deux petits-enfants vont rentrer de l'école pour le repas.

2 min 49Temps de lecture approximatif

"C'est trop de travail pour moi seule", se plaint cette rescapée du génocide née "sous les Allemands". Le Rwanda a été sous protectorat allemand de 1896 à 1916. "Si mes enfants étaient encore en vie, je ne serais pas en train d'abîmer mes yeux en allumant ce feu", fait- elle remarquer. Les meurtriers de ces fils ont été jugés par le tribunal de première instance de Ruhengeri. L'un d'entre eux, Petero, a été remis en liberté provisoire suite à son plaidoyer de culpabilité. Ce qui révolte la vieille. "Quelle justice ! Petero est de retour dans sa famille ! Il aide maintenant sa femme. Pendant que moi, je dois, toute seule, faire la cuisine, puiser de l'eau, cultiver les champs, m'occuper de ces chèvres."

Le cri de Drocella est celui de nombre de rescapés. "L'Etat ne peut pas nous rendre nos disparus mais qu'il nous donne au moins une indemnisation", insiste la vieille femme.

Depuis fin 1996, les tribunaux rwandais jugent les auteurs présumés du génocide. Des milliers de condamnations ont été prononcées mais aucun survivant n'a touché la moindre indemnisation. Et pourtant, dans certains de ces jugements, les coupables ont été également condamnés à verser des dommages et intérêts aux victimes. " A quoi bon condamner un va-nu-pieds à payer un million de francs rwandais ? ", s'interroge Kalisa, un rescapé de Gikondo, dans la ville de Kigali. Ceux qui ont tué ma femme et détruit ma maison étaient des portefaix. Ce ne sont en tout cas pas eux qui pourront réparer cela".

Plusieurs courants

Mais une justice sans réparation n'en est pas une. C'est pourquoi la loi organique de 2001 sur les juridictions gacaca prévoit la création d'un Fonds d'indemnisation.

Le principe est que ce fonds soit alimenté par l'Etat lui-même, des dons, des dommages et intérêts versés par les condamnés solvables etc.

Depuis lors, le ministère de la justice a mené des nombreuses concertations avec les associations de rescapés, les ONGs locales et internationales impliquées dans le suivi de la justice en rapport avec le génocide pour préparer un projet de loi ad hoc.

"Il y a eu plusieurs courants lors des discussions", affirme Alberto Basomingera longtemps en charge de ce dossier au ministère de la justice. Certains pensent qu'il faudrait un montant forfaitaire pour chaque rescapé. D'autres ont proposé un barème tenant compte du degré de parenté entre le rescapé et la personne tuée. D'autres encore pensent que l'Etat devrait simplement prendre en charge l'éducation et les soins médicaux des victimes".

Cette dernière proposition irrite certains rescapés échaudés par la gestion de l'actuel Fonds d'assistance aux rescapés du génocide les plus démunis (FARG). Le journal indépendant Umuseso publié en langue rwandaise titrait fin mars que " le FARG a assisté les riches au lieu d'aider les plus pauvres". Un point de vue partagé par de nombreux survivants.

Juin, étape importante

Un premier projet de loi sur le Fonds d'indemnisation a été discuté en conseil des ministres et transmis au parlement l'année dernière. Mais le ministère de la justice l'a retiré pour de nouvelles retouches, selon Hannington Tayebwa, porte-parole du ministère.

M.Tayebwa, qui s'est gardé de révéler le contenu du projet, espère néanmoins que la nouvelle version pourra être discutée par les députés avant la généralisation des gacaca dans tout le pays en juin prochain. Juin sera une étape importante dans le processus gacaca car, à cette étape, les juridictions gacaca pilotes pourront entamer la phase des procès proprement dits.

Jusqu'à présent, les juridictions gacaca en fonction ont dressé des listes de victimes et de suspects et rangé ces derniers en catégories en fonction de la gravité des crimes allégués.

"Il serait mieux que les jugements attendus dans les gacaca puissent concerner aussi bien le volet pénal que le volet civil. Or le dernier aspect est suspendu au vote de la loi sur le Fonds d'indemnisation" déplore Jean-Bosco Gasherebuka, secrétaire général d'Ibuka, la principale organisation de rescapés du génocide.

ER/AT/GF (RW''0416A)