Cyangugu SE REDECOUVRE, DIX ANS APRES LE GENOCIDE Par Gabriel Gabiro

Cyangugu, le 2 mars 2004 (FH) – Selon des estimations du gouvernement rwandais, au moins 50 000 Tutsis ont trouvé la mort dans la province de Cyangugu durant le génocide de 1994. Cyangugu était, en juillet 1994, une ville morte.

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La quasi-totalité de la population avait été tuée ou avait fui, après avoir pillé la ville et les alentours dans son périple vers l’ex-Zaïre.

Dix ans après, le marché animé situé au cœur de Cyangugu témoigne d’un regain de vie. « Je m’en tire plutôt bien avec ma boutique. Je m’approvisionne et écoule mes produits régulièrement », explique un commerçant comblé. « Les affaires reprennent très vite en ville » ajoute-t-il.

De nouvelles écoles ont été construites, tandis que les vieilles ont été réparées. Des hôtels flambant neufs ont vu le jour le long des bords pittoresques du lac Kivu. Les plantations de thé et de café prospèrent, atteignant des niveaux de production presque semblables à ceux de l’avant-guerre. Quant aux agriculteurs, ils produisent autant que possible.

L’exhumation des fosses communes
Cependant, l’exhumation de quelque cinq fosses communes à environ 50 kilomètres de là, au village de Ruheru, ravive les souvenirs du génocide, toujours gravés dans la mémoire des Rwandais. Les Banyacyangugu, nom des personnes originaires de cette province, sont toujours confrontés aux vestiges du génocide, sous forme de sites et autres monuments disséminés un peu partout dans la région.

« Au fait, nous avons découvert de nouvelles fosses communes dans ce village ! », relate avec désinvolture le maire de Nyamasheke, Jonathan Hakiba, à l’Agence Hirondelle, après avoir répondu à une question sur la situation de la justice dans son entité administrative. Entre-temps à Ruheru, des dizaines de paysans, houes et pioches à la main, creusent une colline pour atteindre une latrine. Ils ont appris qu’une bonne vingtaine de corps y ont été jetés par des miliciens durant le génocide.

Quand ils découvrent les restes des corps, à 14 mètres de profondeur, les habitants se rassemblent en silence autour du trou. Quelques-uns pensent, ou sont certains, que leurs parents ont été enterrés dans cette ‘tombe.

« C’est Emerita, c’est Emerita », s’exclame une jeune femme, à la vue d’un squelette extrait du trou, quelques cheveux sur le crâne, enveloppé dans un tissu rougeâtre. Denise Mukantamati vient d’identifier le corps de sa belle-sœur. « Mon frère et ses deux enfants sont aussi ici », ajoute-t-elle, s’approchant davantage du trou, en sanglots.

Certains des curieux, y compris ceux qui creusent, sont des proches des responsables du massacre dont les victimes sont exhumées de la fosse commune. « J’ai d’abord imploré Dieu pendant des jours afin qu’il me donne la force de venir ici. Sinon j’aurais eu du mal à supporter certains des individus que vous voyez ici », chuchote Mukantabati.

Les leçons du passé
« Des choses telles que celle vous voyez ici aujourd’hui affectent négativement notre comportement », commente André Munyendamutsa, Hutu, le chef du village. « Tous les
Hutus n’ont pas tué. Mais à cause du génocide, tous les Hutus ont mauvaise réputation. Nous devons tous tirer des enseignements de ce que nous voyons ici aujourd’hui, » ajoute-t-il.

Musa Fazil Harerimana, gouverneur de Cyangugu est convaincu que des leçons ont été tirées, même s’il reste beaucoup à faire : « Au moins à présent les gens savent qu’ils doivent vivre, travailler et bâtir ensemble leur pays ».

A l’instar des autres régions du Rwanda, Cyangugu utilise les tribunaux semi- traditionnels ‘Gacaca’ pour accélérer les procès de génocide. Parmi les choses qui préoccupent le plus les Rwandais aujourd’hui, les gacacas viennent en premier.

«Le problème est que les gens hésitent encore à dire la vérité sur ce qu’ils ont vécu », affirme Harerimana, tout en admettant que les récentes attaques et menaces contre des survivants du génocide cités comme témoins dans les tribunaux Gacaca n’ont pas épargné sa province.

En dépit de ces problèmes, les habitants de Cyangugu respirent l’ énergie et la volonté d’aller de l’avant. Reste à savoir si cet état esprit survivra à l’acquittement par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de deux des principales personnalités politiques de cette province, initialement accusées d’y avoir organisé le génocide.

GA/GG/CE/GF/FH (CY’’0303A)