INTERVIEW EXCLUSIVE : LE MINISTRE DE LA JUSTICE FAIT UN PREMIER BILAN

Kigali, le 10 décembre 2002 - Cinq mois après l’inauguration des gacacas pilotes au Rwanda, le gouvernement de Kigali a étendu depuis le 25 novembre dernier le nombre de tribunaux semi-traditionnels destinés à juger les suspects de génocide détenus au Rwanda. Ces tribunaux ont été mis sur pied afin d’accélérer les procès des quelques 100 000 suspects actuellement emprisonnés dans les prisons surpeuplées du pays.

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Au cours d’une interview exclusive accordée à l’agence Hirondelle, le ministre de la Justice, Jean de Dieu Mucyo, également l’un des concepteurs des gacacas, évoque les différents problèmes rencontrés, les solutions envisagées ainsi que l’extension future des gacacas à tout le pays.

Hirondelle : Après l’ouverture, en juin, de 80 gacacas pilotes, 600 nouveaux tribunaux viennent de débuter leurs travaux. A terme, ce sont plus de 10 000 gacacas qui devraient fonctionner. Savez-vous quand ?

Mucyo : Notre seul problème actuellement est d’ordre logistique. Dès que nous aurons les ressources nécessaires, d’autres tribunaux verront le jour. Ce sera pour l’année prochaine, mais je ne sais pas quand exactement.

H : Dix jours après l’ouverture de 600 nouveaux gacacas, pouvez-vous faire un premier bilan en ce qui concerne la participation de la population?

M : En général, le taux de participation est assez élevé, et l’enthousiasme de la population est très palpable.

H : Certains rapports évoquent des boycotts assez nombreux de la part de la population dans le nord du Rwanda à cause de l’absence de compétence juridique des gacacas pour juger les crimes de guerre qu’aurait commis l’Armée Patriotique Rwandaise en 1994. Ce phénomène pourrait-il s’étendre à d’autres régions et gripper toute la machine ?

M : Qu’entendez-vous par « assez nombreux » ? Nous nous sommes déjà expliqués sur ce point à de nombreuses reprises. Il reste néanmoins quelques individus qui persistent à vouloir semer la confusion auprès du plus grand nombre. Les gacacas ont été établis pour juger les génocidaires, et le génocide est un crime très précisément défini par la loi. Les crimes isolés de vengeance ne doivent pas être confondus avec les crimes de génocide. La loi sur les gacacas est très claire : elle traite du génocide entre 1990 et 1994. Tout crime hors de ce cadre relève des tribunaux ordinaires et militaires. Par exemple, certains prétendent que le génocide a débuté au Rwanda en 1959 et ont des plaintes à formuler par rapport à ces années-là. Les gacacas ont une compétence limitée. Nous ne demandons pas à ces personnes de cesser leurs plaintes mais simplement de les exprimer auprès de la bonne juridiction.

H : Etes-vous prêts à faire face à un possible traumatisme national lorsque les procès proprement dits débuteront ?

M : Ceci est un vrai problème, qui existe déjà. Le ministère de la Santé mène actuellement une campagne de sensibilisation à travers le pays afin de préparer la population à ces procès. Nous voulons nous assurer que des conseillers psychologiques seront présents à chaque session. Nous formons également des personnes, et nous demandons l’aide d’organisations telles que la Croix Rouge.

H : Huit ans après le génocide, les Rwandais sont encore fortement divisés ethniquement. Quelle coopération réelle attendez-vous de la société rwandaise, dans la mesure où dire la vérité lors des gacacas ne dépend que de la bonne volonté de chacun ?

M : C’est là une idée que se font les gens à l’extérieur du pays. Ceux qui se rendent au Rwanda remarquent le grand pas en avant accompli depuis 1994. Nous avons réellement progressé en matière d’unité et de réconciliation nationales. Par exemple, nous avons assisté à des cas où des suspects de génocide plaidaient coupable devant des familles de survivants. Et ceux-ci pardonnaient à leurs bourreaux en public. Beaucoup de gens extérieurs au Rwanda n’imaginent pas que de telles choses soient possibles ici. Si, aujourd’hui, et contrairement à hier, des Rwandais sont capables de s’ asseoir à la même table que d’autres Rwandais qui pourraient avoir tués certains des leurs, je crois qu’on peut parler d’évolution.

H : Quel poids est accordé aux dépositions publiques de suspects de génocide, et aux confessions en prison ?

M : Tout cela fait partie d’une campagne nationale pour que la vérité éclate. Ce ne sont pas des procès, mais un processus volontaire que les suspects acceptent et qu’ils organisent eux-mêmes. Des suspects d’une même région forment des ‘comités vérité’ pour décrire ce qui s’est passé dans cette région. Le procureur vérifie ensuite les témoignages recueillis à l’aune de ses propres dossiers. Cela aidera à accélérer les procès lorsqu’ils débuteront.

H : Où en êtes-vous sur la loi qui traite de la compensation des victimes du génocide ?

M : C’est un problème à la fois sensible et complexe. Un projet de loi, sur lequel nous travaillons depuis 2000, sera bientôt soumis au Parlement. Nous devons encore décider qui recevra des compensations, et leur montant. Mais une chose est certaine : cette loi bénéficiera aux survivants. Et nous avons l’intention de commencer par les plus nécessiteux.

H : Pour revenir au problème crucial du manque de moyens, comment comptez-vous y faire face ?

M : C’est vrai, nous rencontrons des problèmes financiers. Heureusement, les Rwandais sont bien connus pour leur sens du sacrifice lorsqu’il s’agit de causes aussi importantes que celle-ci. Nous espérons que cela continuera.

H : Est-il exact que certains donateurs ont manqué à leur promesse d’aider le Rwanda ?

M : Au début, les gens ont eu des problèmes avec les gacacas. Et pas seulement des étrangers, certains Rwandais également. Nous avons tout expliqué à toutes ces personnes et, maintenant, tout le monde est de nouveau réuni. Les donateurs étrangers, les survivants du génocide, les suspects et d’autres Rwandais, tous contribuent à rechercher la vérité. Le gouvernement a fait des efforts et les donateurs nous ont aidés à chaque étape. Aujourd’hui, je crois que nous pouvons être satisfaits de ce que nous avons accompli.

CE/GG/GF/FH(GA-1210A)