DES ESPOIRS
Fonder de l'espoir dans ces juridictions n'est pas illusoire, écrivent les dirigeants de l'une des deux institutions, avec l'Etat, les plus puissantes du Rwanda, aux yeux des observateurs. Selon les évêques, la première raison d'espérer réside dans le fait que pendant ces huit dernières années, "la famille rwandaise a manifesté la volonté de ranimer la vie, au lieu de se laisser dominer par la mort". Ils donnent comme exemple, les secours à ceux que le génocide et les massacres ont privés de tout, les plus éprouvés que les autres, comme les orphelins, les veuves, les invalides, ceux qui ont été privés des leurs, les prisonniers.
Les évêques catholiques du Rwanda saluent, comme deuxième raison d'espérer, les lois spéciales adaptées aux circonstances inhabituelles de l'après génocide et les massacres, et "notamment l'heureuse idée d'une justice soucieuse de réconcilier les citoyens rwandais".
La troisième raison d'espérer que les Rwandais peuvent parvenir à la réconciliation et à l'unité est le fait que les "chrétiens ont osé aborder le problème de l'ethnocentrisme, identifié comme le principal motif des divisions qui ont mené au génocide et aux massacres". Ce "travail immense" a été accompli au cours de synodes diocésains extraordinaires, sorte de "Gacaca" au sein de l'Eglise, organisés au cours de ces dernières années.
"Le seul fait que les chrétiens ont osé aborder ce problème est un pas important vers sa solution. On en est même arrivé à ce que certains avouent leurs méfaits et en demandent pardon et que ceux qui les ont subis acceptent de pardonner", affirme le message.
DES APPREHENSIONS
En même temps que les espoirs, les Pasteurs de l'Eglise Catholique du Rwanda expriment les appréhensions que leur inspirent les "Juridictions Gacaca".
Selon eux, une partie de l'opinion ne voit dans ces juridictions qu'une façon de libérer les prisonniers (environ 120.000 accusés de génocide). "D'autres craignent que si la vérité est manifestée au grand jour, la vie sur les collines ne sera plus possible à cause des haines réciproques. Certains se demandent s'ils iront vraiment témoigner contre des proches parents qu'ils ont vus commettre des crimes".
Ainsi, les évêques expriment l'inquiétude de voir, dans le souci de dire toute la vérité comme l'exige la loi des Gacaca, les époux se dénoncer mutuellement, les enfants dénoncer leurs parents, les parents dénoncer leurs enfants, "sous peine d'être punis pour n'avoir pas dit tout ce qu'ils savent".
Ils rappellent que "dans la procédure habituelle des tribunaux, on ne demande à personne de témoigner dans le jugement du conjoint ou de toute personne dont les liens de parenté sont très proches" et indiquent que "beaucoup de chrétiens souhaitent que ce qui a été fait par leurs proches soit connu, mais que ce soit dit par les coupables eux-mêmes ou par des personnes étrangères à la famille". C'est pourquoi ils exhortent "les chrétiens qui ont pris part au génocide et aux massacres d'avouer leurs crimes et d'assumer avec courage les sanctions qui leur seront infligées".
L'autre grande inquiétude est de savoir si "les prêtres, les religieux et les religieuses peuvent témoigner de ce qu'ils ont vu". L'Agence Hirondelle a appris que des discussions longues et chaudes ont été menées entre l'Eglise et l'Etat, l'Etat exigeant que les prêtres en particulier disent tout ce qu'ils savent, et même ce qu'ils apprennent au confessionnal.
Les représentants de l'Eglise catholique rwandaise reconnaissent que ce qui est exigé de tous les Rwandais par la loi concerne aussi la catégorie des prêtres. Il leur est donc demandé, à eux aussi, de dire ce qu'ils savent, en vue d'une justice qui réconcilie. Mais en ce qui concerne le secret sacramentel, "la loi de l'Eglise déclare fermement que le secret sacramentel est inviolable. Celui qui va contre cette loi commet un péché grave et encourt l'excommunication", disent-ils.
Pour lever tout équivoque, les évêques expliquent que "le secret sacramentel concerne les connaissances acquises en confession, sans que le prêtre en ait eu connaissance autrement. Il ne peut pas s'en servir pour témoigner, à charge ou à décharge, car la loi l'interdit". En revanche, ils laissent libre court au prêtre de "témoigner de ce qu'il a vu de ses propres yeux, même si par la suite on vient s'en confesser".
TOUTE LA VERITE, RIEN QUE LA VERITE
"La période des "Juridictions Gacaca" est l'occasion d'exposer clairement les crimes qui ont été commis et le rôle que les accusés ont réellement joué. Nous exhortons les chrétiens à dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité. Dire la vérité, c'est dire ce dont on a été personnellement témoin", écrivent les évêques.
Pour l'Eglise rwandaise, "les Juridictions Gacaca ont pour but de réconcilier les Rwandais. Il est donc nécessaire que chacun comprenne que ce n'est pas le moment d'attiser les rivalités". Elle demande ainsi aux autorités du pays, à tous les niveaux, de veiller à ce que rien ne dresse les gens les uns contre les autres, à ce que les témoignages se fassent sans aucune menace, et à ce que les juges ne subissent aucune pression ni intimidation.
L’Eglise demande aux autorités compétentes de continuer à poursuivre aussi les crimes de guerre pour faciliter la réconciliation des Rwandais, et pour mieux combattre la culture de l'impunité (selon les déclarations politiques, les Gacaca ne doivent pas poursuivre les crimes de guerre commis par des éléments du FPR (Front Patriotique Rwandais), au pouvoir, alors que la loi les autorise à poursuivre même les crimes de guerre sans distinction).
Cette Eglise demande enfin aux autorités compétentes, "en cette période où nous nous efforçons de manifester la valeur de la vie humaine à travers une justice qui réconcilie, de chercher comment abolir la peine de mort des lois qui guident notre pays. Ce serait un enseignement de valeur pour les Rwandais, qui seraient ainsi invités à respecter toute vie humaine, en sachant que même en cas de crime, enlever la vie à quelqu'un n'est pas une correction qui le ramène à une vie digne de l'homme".
Les Gacaca peuvent infliger comme peine maximale l'emprisonnement à vie. Mais les juridictions ordinaires peuvent en infliger la peine de mort.
WK/DO/FH (RW0731A)