DES VICTIMES PARDONNENT A LEURS BOURREAUX REPENTIS

Nkomero/Gitarama, 15 Février 2002 (FH) - Vendredi, devant le bureau de la commune Murama au sommet de la colline de Nkomero, sous un soleil doux, plusieurs centaines de personnes sont rassemblées, les unes assises sur de petites chaises de fortune, les autres sur la pelouse, d'autres encore sous un hangar d'occasion couvert de bâches bleues. Murama et Masango, dans la province de Gitarama, à environ 120 km de Kigali, au centre du Rwanda, forment depuis l'année dernière l'actuel district de Kabagali, dont les cachots abritent 664 détenus, parmi lesquels 601 plaident coupable.

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Normalement, les détenus rwandais ont un uniforme rose, mais ceux des cachots communaux conservent leur habillement civil. A Nkomero, impossible ce vendredi de faire la distinction entre les hommes libres et les détenus. Tous sont bien propres et en habits de fête.

Après quelques minutes, on remarque un groupe de gens, hommes et femmes, cheveux courts, assis en rangs serrés, détendus et bavardant joyeusement, surveillés mollement par un ou deux policiers armés de matraques : les prisonniers.

Lorsque la secrétaire générale du ministère de la justice, Edda Mukabagwiza, arrive enfin avec les représentants d'ONG qui accompagnent le processus de réconciliation et des juridictions populaires Gacaca, ils sont accueillis par un petit discours de bienvenue des autorités locales, suivi de danses et chants des détenus.

Puis, le procureur général de la Cour d'appel de Nyabisindu/Nyanza, Jean Marie Vianney Mbarushimana, annonce que des détenus ont invité les familles de leurs victimes pour leur demander publiquement pardon pour le tort qu'ils leur ont causé durant le génocide d'avril à juillet 1994. C'est la première fois qu'une telle chose arrive au Rwanda.

Il appelle le représentant des détenus, lui-même détenu, qui donne la genèse du phénomène. L'idée, déclare-t-il, est née spontanément parmi les détenus, assaillis de regret et de remords, dans le cachot de Nkomero. Mais elle a rencontré beaucoup de résistance, surtout de la part des intellectuels. " Il a fallu ensuite que les autorités communales, puis judiciaires, soient mises au courant de tout ça. Ces dernières ont alors décidé de transférer les récalcitrants à la prison centrale de Gitarama (50 km au sud de Kigali) afin de favoriser les repentirs."

" En septembre 1999, les détenus ont alors créé une sorte de gacaca (tribune traditionnelle de conciliation et de régulation populaire) interne où tout était dit pour ceux qui le voulaient. Ils ont commencé par établir les listes de qui était coupable de quoi, et des victimes de chaque cellule (la plus petite entité administrative du Rwanda) de la commune Murama.

" Dans le même temps, les détenus ont demandé à ce que les prêtres et pasteurs viennent librement et régulièrement dans le cachot. Les religieux, principalement un adventiste lui-même rescapé du génocide, ont fait l'intermédiaire pour l'organisation de prières communes entre bourreaux et victimes.

" Très très timides au début, ces séances deviennent régulières et petit à petit, des moments importants d'exorcisme. Les uns reconnaissent leurs crimes, les décrivent dans le détail, indiquent où les corps ont été enterrés dans des fosses communes ou jetés dans des wc. Ils implorent, du fond du cœur, le pardon des autres. Ces autres, qui découvrent parfois des détails inédits, avec une forte émotion et des larmes, dans ce qui leur est arrivé, demandent du temps pour digérer ce qu'ils apprennent. Finalement, ils pardonnent".

Vendredi, ils étaient 80 coupables et 120 familles de victimes, qui voulaient montrer au public qu'ils se sont pardonnés. " Demander pardon, c'est du courage. Pardonner, c'est du courage aussi. Surtout pour des crimes tels que le génocide. Ni l'un ni l'autre ne sont faciles. Mais c'est possible", déclare le procureur général Mbarushimana qui appelle ensuite les coupables et les survivants. Le scénario de description des horreurs reprend.

Nous venions tuer tous les Tutsi et leurs enfants "Inyenzi" (cancrelats, sobriquet donné aux combattants rebelles du FPR, Front Patriotique Rwandais) disent les premiers, qui réitèrent publiquement et sincèrement leur demande de pardon à leurs victimes qui sont devant eux. Les seconds reconfirment à leur tour qu'ils ont pardonné.

" Pardonner, ce n'est pas un problème, mais la loi doit être également appliquée", disent certains. "Le harcèlement de l'ethnie hutu doit cesser. Quand j'étais traqué, qui m'a caché ? Qui m'a nourri ? Si j'ai survécu, c'est grâce à des Hutus", dit l'un des rescapés.

" Je me sens plus libre après avoir demandé pardon. Avant, je ne pouvais pas regarder en face les survivants que j'ai pourchassés, dont j'ai tué des membres de leurs familles. J'ai effectué des massacres d'au moins cinq familles. Il y a une jeune femme que j'ai assommée avec un marteau. Elle a survécu. Elle m'a pardonné. Aujourd'hui, on se salut et on se parle. C'était impossible avant ", déclare un détenu d'une trentaine d'années à l'Agence Hirondelle à la fin de la journée.

" Le type qui m'a demandé pardon a massacré sauvagement trois de mes enfants. Il ne dormait pas parce qu'il ne me trouvait pas moi-même pour me tuer. Mais je me sens léger après ce pardon que je lui ai donné. La bible nous dit que demander pardon et pardonner conduisent au salut des âmes de celui qui se repend et de celui qui absout", dit pour sa part un survivant de 52 ans.

" Murama est le premier exemple du pays dans ce processus, nécessaire pour la réconciliation entre voisins et membres de mêmes familles. Nous en avons besoin. Les détenus qui demandent pardon à leurs victimes seront les premiers à comparaître devant les juridictions populaires Gacaca dans quelques mois", indique la secrétaire générale du ministère de la justice.

Les détenus qui plaident coupable, d'après la loi, bénéficient de réductions de peines significatives. Environ 120 000 détenus des prisons centrales et cachots communaux du Rwanda sont suspects de génocide et des crimes contre l'humanité. Au moins 21 000 d'entre eux plaident coupable.

WK/F/FH (RW0215A)