LE SYSTEME "GACACA" VA FONCTIONNER, SELON LE PRESIDENT DE LA COMMISSION ELECTORALE

Kigali/Arusha, le 8 octobre, 2001 (FH) - Après quatre jours d'élections des "juges populaires", dans le cadre du système de justice traditionnelle post-génocide au Rwanda, le président de la commission électorale s'est déclaré confiant que le nouveau système dit "gacaca" va fonctionner. "Je pense que ça va marcher", a indiqué samedi soir à l'agence Hirondelle le président de la commission électorale gacaca, Protais Musoni.

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"Il repose sur ce que la population rwandaise connaît et ce qu'elle comprend, ce qui donne déjà un bon point de départ. Ce qui pourrait devenir critique sera de savoir si les juges seront véritablement des gens "intègres". D'où la nécessité d'une formation, car ils doivent comprendre leur mission envers la société rwandaise. Il faut qu'ils soient formés pour être tout à fait impartiaux et corrects. Cela va être très important".

Un certain nombre de juges sont des illettrés ou n'ont pas d'éducation formelle, mais ils ont été élus comme étant des hommes et femmes intègres. Ils vont suivre une formation de quelques mois avant le début des procès gacaca.

Quelque 260,000 juges ont été choisis pour 11,000 juridictions gacaca qui vont juger les suspects du génocide, sauf ceux de la première catégorie (planificateurs). Ces juridictions sont en train d'être créées à quatre niveaux administratifs dans tout le pays (cellule, secteur, district et province), et pourraient commencer à travailler au courant de la première moitié de 2002.

Il y a environ 120,000 détenus dans les prisons surpeuplées du Rwanda, mais après cinq ans de procès de génocide devant les tribunaux existants, seules 6,000 personnes ont été jugées. Les survivants du génocide, les détenus et leurs familles réclament à grands cri que la justice soit rendue. Le gouvernement espère que le système gacaca ne va pas seulement aider à traiter rapidement les dossiers de génocide, mais l'on espère aussi que la procédure des "tribunaux populaires" va inciter aussi à la vérité et à la réconciliation dans une société divisée.

Protais Musoni faisait partie d'une commission en 1998-99 qui a élaboré le projet gacaca pour le compte du gouvernement, et il en est considéré comme l'un de ses architectes. "Il n'y avait pas d'autre moyen" dit-il "pour sensibiliser la population sur le génocide", dit-il, "et augmenter sa détermination à ne pas être encore une fois manipulée. Il est important que les débats se poursuivent jusqu'à ce que les gens comprennent qu'il n'y avait aucune raison de s'entre-tuer".

"C'est une procédure, je dirais, très nouvelle", souligne Musoni, "avec un certain nombre de risques qui l'accompagnent, et j'espère que la Cour Suprême restera vigilante sur le déroulement des procès, pour expliquer, guider, afin qu'on arrive à résoudre ce problème.

"Ca va marcher, poursuit-il, "parce que nous n'avions pas d'autre alternative. Le fait est, oui, qu'il y a des conséquences du génocide difficiles à résoudre. Si vous dites, OK, des gens ont participé au génocide, ils doivent être punis. Mais vous allez punir une très grande partie de la population. Vous devez réconcilier donc. Comment s' y prendre? Vous devez en même temps amener les gens à penser qu'on ne devrait pas commettre des actes contre la société, même si on pense qu'un grand nombre de personnes l'ont fait.

"Un autre point très important, c'est que nous l'élite, qui avons la possibilité de manipuler la population paysanne, nous savons que nous sommes en train de créer au sein de la population la capacité de dire non. Nous sommes aussi responsables. Il y a donc beaucoup de choses en jeu et, comme je l'ai dis, ça doit être guidé, étudié, révisé, parce que c'est nouveau".

Des problèmes de procédure

Protais Musoni a indiqué à l'agence Hirondelle que les élections s'étaient généralement bien déroulées, mais que certaines avaient dû être refaites à cause de problèmes de procédure. "Comme vous le savez, ces élections ont été supervisées par un grand nombre de personnes au niveau le plus bas de ce que nous appelons "CPA" (comités politico-administratifs). Et même si nous avons fait quatre jours de formation, il est clair que quelques uns ne savaient pas comment s'y prendre. Mais nous avions une grande équipe de superviseurs, de sorte que là où des erreurs sont apparues, elles ont pu être corrigées immédiatement".

Les exigences logistiques étaient cependant énormes, et l'agence Hirondelle a pu noter que tous les rassemblements électoraux n'ont pas pu avoir des superviseurs de niveau suffisamment élevé. A la question de savoir s'il était satisfait du niveau de préparation, le président de la commission a reconnu qu'il aurait aimé avoir plus de temps.

"La préparation était suffisante mais j'aurais aimé avoir plus de temps", a-t-il indiqué à l'agence Hirondelle. "Comme vous le savez, la commission (électorale) a été créée et nous avons commencé notre travail le 1er août. Donc nous n'avions que deux mois pour préparer, former les organisateurs électoraux, sensibiliser la population, trouver les moyens logistiques et préparer les documents pouvant servir de référence pendant les élections, etc. Nous avions donc un calendrier très serré".

Protais Musoni a indiqué que la plupart des problèmes sont apparus au niveau le plus bas, mais que les élections qui s'en sont suivies s'étaient bien déroulées. Il a exprimé sa satisfaction au taux de participation de jeudi, qu'il a estimé à 91%.

"J'étais très content, la présence était remarquable", a souligné le responsable de la commission électorale. "Si vous considérez le fait que la juridiction gacaca est plus sociale, ainsi que les contradictions qu'il y a dans la société après le génocide, on aurait pu s'attendre à un taux de participation moins fort. Mais c'était très bon, et nous sommes donc très contents".

Il a aussi confirmé une forte participation de femmes, dont un nombre significatif ont été élues juges. "Vous pouvez constater une augmentation, en comparaison par exemple avec les élections de mars des administrateurs locaux. Il y a eu plus de participation des femmes cette fois-ci".

Protais Musoni a tenu à minimiser certaines informations faisant état de polarisation ethnique dans certains endroits: "Vous pouvez effectivement trouver plus de Tutsis que de Hutus dans certains endroits, ou bien des Tutsis seulement sans Hutus. Dans d'autres endroits, il n'y a que des Hutus sans Tutsis. On ne peut donc pas aller chercher des regroupements ethniques là où ils n'existent pas", a-t-il dit.

"Là où il y avait les deux ethnies, on pouvait voir qu'il n'y avait pas cette tendance de polarisation ethnique du tout, et j'ai beaucoup voyagé. Je suis vraiment fier que les gens tendent à passer au-dessus de ce phénomène, surtout les paysans. Mais même dans les villes comme Kigali, la représentation des deux ethnies était perceptible, je ne vois donc pas de polarisation comme telle dans ce système gacaca" a-t-il relevé.

Des juges "populaires"

Prtoais Musoni a confirmé que quelques survivants du génocide n'avaient pas été contents du choix de certains juges dans certains endroits. Mais il a indiqué que cela ne devrait pas affecter le processus. "Je pense que si les gens sont venus voter massivement, cela montre qu'ils ont confiance dans ce processus", a-t-il dit. "S'i quelqu'un pense qu'il y a un génocidaire parmi les juges, il a toujours la possibilité de se plaindre et de présenter des preuves".

Les tribunaux gacaca ont trois niveaux: Une assemblée générale de la population adulte, la chambre (19 juges) et son comité de coordination. Musoni a indiqué que, selon la loi, des plaintes peuvent être présentées à l'assemblée générale, qui a le pouvoir de renvoyer des juges si ces derniers ne s'acquittent pas correctement de leur tâche.

"Nous avons enseigné aux gens de dire la vérité dès le départ. Il pourrait néanmoins y en avoir qui n'ont pas été francs et qui se trouvent parmi les juges alors qu'ils n'ont pas les mains propres, mais comme je le dis, il s'agit d'un processus. Si vous avez quelque chose à vous reprocher, vous allez être exposé et remplacé. Il va donc s'agir d'un processus de nettoyage".

Interrogé sur le faible niveau d'éducation de certains juges, Protais Musoni a indiqué que cela pourrait poser des problèmes, mais qu'exclure les illettrés équivaudrait à exclure une grande partie de la population. "Si vous voulez que la population participe au déroulement de ces procès, vous ne pouvez évidemment pas prendre le niveau d'éducation comme condition. La condition d'éducation serait posée seulement au niveau de l'organisation et du secrétariat. Cela a été fait. Le désavantage de ne pas savoir lire, c' est que les intéressés ne peuvent pas accéder à l'information, ils vont dépendre de ce qu'ils entendent. Mais l'avantage est qu'en participant, ils vont sentir que le processus leur appartient, ils seront déterminés à éviter une répétition des erreurs du passé".

Le président de la commission croit que le Rwanda a un grand intérêt à faire en sorte que le système gacaca marche, et que les autorités, surtout le ministère de la justice et la Cour suprême, seront vigilants. "Il doit y avoir des mécanismes pour s'assurer que les choses ne dérapent pas", a-t-il indiqué à l'agence Hirondelle, "mais comme je l'ai dit, je ne vois pas d'autre alternative".

JC/GA/PHD/FH (RW1008A)