PLUS DE 260 000 JUGES POPULAIRES DES GACACA VONT ÊTRE ELUS JEUDI

Kigali, 2 octobre 2001 (FH) – Jeudi sera jour férié au Rwanda en raison d’un test sans précédent: l’élection d'au moins 260'000 juges des juridictions populaires "gacaca" dans les dix mille cellules (la plus petite entité administrative) du pays. Les gacaca constituent une alternative conçue pour tenter de rendre justice rapidement à environ cent mille prisonniers présumés d’avoir participé au génocide des Tutsi et des Hutus modérés de 1994.

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Au rythme actuel de dix mille procès par an, il faudrait au moins un siècle pour expédier tous les dossiers judiciaires de génocide, alors que selon les estimations faites fin-avril dernier par la présidente du département des juridictions gacaca de la Cour Suprême (à ce titre l'un des six vice-présidents de la plus haute instance judiciaire du Rwanda), Mme Aloysie Cyanzayire, les Gacaca pourraient faire tout ce travail en cinq ans.

Les gacaca jugeront les présumés auteurs du génocide et des crimes contre l’humanité relevant des quatrième (exécutants), troisième (complices) et deuxième (crimes contre les propriétés) catégories. La gacaca du niveau de la province est une instance d’appel uniquement. Les planificateurs (première catégorie), passibles de la peine de mort, continueront à être jugés par les Tribunaux de première instance, dont les juges sont des juristes de formation de niveau universitaire. Les coupables de la deuxième catégorie encourent comme peine maximale la prison à perpétuité.

En préparation des élections de jeudi, des campagnes de sensibilisation et d’explication ont été menées à la radio et à la télévision d’Etat. Des rencontres de discussions ont été organisées avec les hauts fonctionnaires, la société civile, et autres acteurs-clés de la société. "En deux mois, les membres de la Commission chargée d’organiser ces élections ont eux-mêmes effectuer quatre descentes sur terrain", a déclaré le vice-président de cette Commission, Cheikh Moussa Fazil Harelimana, à l’Agence Hirondelle. "Les gens ont posé beaucoup de questions, ils ont eu beaucoup de réponses. Je suis optimiste. Je vois la réussite", a-t-il ajouté.

Les élections seront dirigées par les autorités politico-administratives de base. "Nous les avons formés sur les principes d’élections des juges des gacaca", a expliqué Cheikh Moussa Fazil Harelimana. Les juges qui seront élus jeudi sont en effet issus de la base et n’ont aucune formation juridique. Le minimum de formation exigée est qu’ils sachent simplement lire et écrire.

Candidatures "spontanées"

Dans chaque cellule, il faudra au moins cent personnes (les habitants de la cellule même) pour que les élections puissent avoir lieu. Les "candidats" (officiellement spontanés) auront quelques minutes pour se présenter, pas pour faire campagne, comme l’explique la Commission électorale, mais pour une sorte de bref curriculum vitae. Leurs compatriotes auront à leur tour le loisir de les critiquer. Ceux qui recevront beaucoup de critiques négatives seront ainsi écartés automatiquement de la liste, avant le vote proprement dit.

A la fin, 24 juges, "les Intègres", seront élus. Le lendemain, ceux-ci se retrouveront entre eux et choisiront cinq qui siègeront dans la gacaca du secteur avec les représentants des autres cellules, le niveau directement supérieur à la cellule (un secteur est subdivisé en quatre cellules en moyenne). Et ainsi de suite à tous les autres niveaux supérieurs du district (anciennement commune) et de la province (précédemment appelée préfecture).

La Loi organique instituant les Gacaca exige des "Intègres" d’être de bonne conduite et d’avoir de bonnes mœurs, de ne jamais avoir été condamné à une peine de prison de six mois au moins, de ne pas avoir trempé dans le génocide ou dans les crimes contre l’humanité entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, d’être exempt de tout esprit de sectarisme et de discrimination, et d’être caractérisé par un esprit de partage de la parole.

"Actes de vengeance" exclus

A la veille des élections des juges des juridictions gacaca, des interrogations subsistent toujours. L’opinion hutu souhaite que les gacaca s’occupent également des exactions et des crimes commis par des éléments du FPR (Front Patriotique Rwandais) contre les Hutus.

Mais la réponse des autorités est non. Reconnaissant qu’il y a eu effectivement des "vengeances", elles ne les mettent pas au même niveau que le génocide sélectif et planifié des Tutsis et des Hutus modérés. Selon les autorités, "les éléments du FPR qui se sont rendus coupables des actes de vengeance continueront à être jugés par les juridictions ordinaires, comme les juridictions militaires ont déjà commencé à le faire".

De leur côté, les survivants du génocide estiment que la loi mettant en place les juridictions gacaca doit être amendée. Selon cette loi en effet, les juges des gacaca devront être élus dans les cellules dans lesquelles ils résident au moment des élections.

Critiques du collectif de rescapés Ibuka

Le collectif des associations des rescapés du génocide, Ibuka, réuni en congrès au milieu du mois de septembre, a demandé, dans ses conclusions, que cette clause soit revue : il faut que chacun puisse avoir le droit d’être élu là où il habitait au moment du génocide (en 1994) même s’il n’y habite plus actuellement, dit le texte.

Ibuka estime également qu’on devrait ajouter dans la loi que "avant que les gacaca ne commencent, chaque Rwandais devrait se faire recenser là où il résidait au moment du génocide". Il appelle à ce que des mesures soient prises pour contre-carrer les campagnes pouvant empêcher les rescapés d’être élus comme "intègres", donc juges, uniquement parce qu’ils ont des accusations contre les suspects.

Ibuka se montre par ailleurs toujours inquiet quant aux garanties de sécurité, non encore précisées jusqu’ici, pour les témoins et les juges. Il demande à l’Etat de préparer les moyens de transport des survivants-témoins qui n’habitent plus là où ils étaient au moment du génocide où leurs maisons ont été détruites, ainsi que des logements de passage pour eux s’il leur arrive de devoir attendre de témoigner et passer la nuit là où se passent les procès.

Ibuka souhaite que la loi mettant en place le Fonds d’Indemnisation des victimes, toujours en étude, puisse voir le jour avant le commencement des gacaca. Il suggère enfin de commencer par un petit nombre de procès-test avant le démarrage effectif des gacaca sur l’ensemble du pays, et que les témoignages sur les viols et les tortures sexuelles se passent à huis-clos.

WK/PHD/FH (RW1002A)