LE RWANDA PREPARE UN NOUVEAU SYSTEME DE JUSTICE

Kigali/Arusha, le 4 avril, 2001 (FH) - Les Rwandais se préparent pour un nouveau système de justice, visant à amener des milliers de prisonniers accusés de génocide devant "des tribunaux populaires". Le gouvernement espère que le nouveau système va aider à résoudre le problème du surpeuplement des prisons rwandaises, mais aussi contribuer à la réconciliation nationale.

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Le gouvernement rwandais estime par ailleurs que les nouveaux tribunaux "gacaca", basés sur un système de justice traditionnelle, vont commencer à travailler avant la fin de l'année.

"Nous sommes tiraillés par les cris de ceux qui souffrent dans les prisons sans jugement, et ceux des victimes du génocide qui ne peuvent attendre plus longtemps que justice soit faite," a indiqué à l'agence Hirondelle le ministre rwandais de la justice Jean de Dieu Mucyo.

Depuis six ans, le Rwanda est confronté à une crise judiciaire et se demande comment organiser les procès de plus de 120,000 suspects accusés d'avoir participé au génocide de 1994. Au moins 800,000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués dans les massacres qui ont suivi l'attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994.

Depuis que ses tribunaux nationaux ont recommencé à travailler en 1997, le Rwanda a jugé quelque 4'500 accusés de génocide. A cette allure, le gouvernement estime qu'il lui faudrait au moins 200 ans pour clôturer tous les dossiers relatifs au génocide de 1994.

Sur les 4'500 dossiers déjà clôturés, environ 400 personnes ont été condamnées à mort, dont 22 ont été exécutées en 1997. D'autres ont reçu des peines allant jusqu'à l'emprisonnement à perpétuité. Environ 700 accusés ont été acquittés.

Le Rwanda dispose actuellement de 12 chambres spécialisées à travers le pays, chargées de juger les accusés de génocide. Il est prévu que le système gacaca sera composé d'environ 10,000 cours. Les chambres spécialisées devraient disparaître après la mise en route des tribunaux gacaca.

Une "loi organique" sur le fonctionnement des tribunaux gacaca a déjà été votée par le parlement et approuvée par la Cour constitutionnelle du Rwanda. D'autres textes relatifs à son application sont toujours attendus. Les juges du système gacaca doivent encore être élus et devront bénéficier d'une formation. Le vice-président de la Cour suprême chargée du système gacaca, Aloysie Cyanzayire, a indiqué récemment que les juges pourraient être élus fin mai ou début juillet "si tout va bien".

La loi stipule que ces juges doivent être choisis par la population locale et repondre à des critères d'intégrité, d'honnêteté et de bonne conduite. Reste à savoir de quel type de formation ils vont bénéficier. Kigali espère que les pays donateurs vont tenir leurs promesses pour soutenir le système gacaca, sinon son financement pourrait aussi poser des problèmes.

"Juridictions Gacaca"

Les tribunaux gacaca seront constitués à quatre niveaux administratifs à travers le pays, dont le plus bas sera la cellule, suivi du secteur, du district et enfin de la province. Au moins une "juridiction gacaca" (comprenant une Assemblée Générale, une chambre de 19 juges et un comité de coordination) sera introduite dans chaque zone administrative à chaque niveau. Ces tribunaux auront le pouvoir de juger tous les suspects de génocide, excepté ceux de la première catégorie.

Depuis 1996, la loi rwandaise établit quatre catégories de crimes de génocide et crimes contre l'humanité. Les accusés de la première catégorie (ceux qui doivent encore répondre de leurs actes devant les tribunaux nationaux) comprend les "planificateurs, les organisateurs, les incitateurs, les superviseurs et les encadreurs du crime de génocide ou des crimes contre l'humanité". Elle comprend aussi "le meutrier de grand renom qui s'est distingué [..] à cause du zèle qui l'a caractérisé dans les tueries" et les personnes accusées de viol.

La deuxième catégorie comprend "les personnes dont les actes criminels ou la participation criminelle les rangent parmi les auteurs, coauteurs ou complices d'homicides volontaires ou d'atteintes graves contre les personnes", ayant causé la mort ou dont l'objectif était de causer la mort. La troisième catégorie comprend ceux qui ont commis des atteintes graves, sans l'intention de causer la mort des victimes. La quatrième catégorie comprend les accusés "ayant commis des infractions contre les biens".

Les tribunaux gacaca au niveau de la cellule auront la juridiction sur les suspects de la quatrième catégorie, tandis que les suspects de la troisième catégorie seront déférés au niveau du secteur, et ceux de la deuxième catégorie au niveau du district. Les appels seront généralement entendus par l'échelon directement supérieur. Ainsi, les tribunaux gacaca au niveau de la province pourront s'occuper des appels en provenance des districts.

Avant le début des procès gacaca, les "juridictions Gacaca" au niveau de la cellule vont constituer une liste des personnes tuées dans la cellule pendant le génocide, ainsi que les personnes suspectées de les avoir tués. Elles vont également faire un inventaire des biens pillés ou détruits. Le comité de coordination va alors procéder à la catégorisation des accusés. Les dossiers des accusés seront distribués aux tribunaux ayant juridiction.

Les chambres spécialisées vont remettre aux tribunaux gacaca tous les dossiers des accusés de génocide pour révision de catégorisation. Les dossiers des accusés qualifiés de première catégorie seront renvoyés au ministère public pour jugement dans les tribunaux ordinaires. Les accusés classés jusqu'ici dans la première catégorie pourraient être reclassés dans une catégorie inférieure, si les tribunaux gacaca décident ainsi.

Confession et réduction de peines

"Notre plan ne vise pas uniquement à punir, mais aussi à reconstruire la société rwandaise," a indiqué à l'agence Hirondelle le ministre Mucyo. "Une personne qui confesse d'avoir tué pourrait, par exemple, recevoir une peine de sept années d'emprisonnement; elle peut passer la moitié de ce temps en dehors de la prison en faisant des travaux communautaires. Imaginez-vous une telle sanction pour un tueur. Une situation où un tel assassin est emprisonné pour trois ans et demi seulement, il y a un aspect de réconciliation là-dedans. Les victimes seront aussi dédommagées."

La loi gacaca prévoit la possibilité de peines réduites, surtout pour les accusés qui confessent leurs crimes. Selon cette loi, les accusés de la première catégorie qui plaident non-coupable encourent la peine de mort ou l'emprisonnement à perpétuité, tandis que la législation antérieure prévoit la peine de mort seulement. Si les accusés plaident coupable et confessent leurs crimes, la loi prévoit "la peine d'emprisonnement allant de 25 ans à l'emprisonnement à perpétuité".

Pour les accusés de la deuxième catégorie, ceux qui plaident non-coupable encourent la peine d'emprisonnement allant de 25 ans à l'emprisonnement à perpétuité. S'ils plaident coupable, ils encourent une peine d'emprisonnement réduite allant de 12 à 15 ans, mais la moitié de la peine prononcée est commuée en "prestation de travaux d'intérêt général". La peine est réduite à 7-12 ans d'emprisonnement (dont la moitié commuée) si la personne présente ses aveux et plaidoyer de culpabilité avant que la Juridiction Gacaca ne dresse une liste de suspects.

Pour la troisième catégorie, la moitié de chaque peine prononcée est commuée en travaux communautaires. La loi prévoit des peines de 5 à 7 ans d'emprisonnement pour ceux qui plaident non-coupable, 3 à 5 ans pour ceux qui plaident coupable, et un maximum de 3 ans pour ceux qui présentent leurs aveux avant que la Juridiction Gacaca ne dresse sa liste de suspects.

La loi stipule que "les accusés de la quatrième catégorie sont condamnés à la seule réparation civile des dommages causés à aux biens d'autrui". Les juges du système gacaca déterminent "les modalités d'exécution de cette obligation". La loi ajoute que "cette disposition ne s'applique pas lorsqu'un règlement à l'amiable est intervenu soit entre l'auteur et la victime, soit devant une autorité publique ou en arbitrage".

Les dommages et intérêts aux victimes relèvent d'un Fonds d'Indemnisation national. Les tribunaux gacaca doivent transmettre au Fonds des copies de leurs arrêts et jugements rendus, en indiquant l'identité des personnes ayant souffert des dommages physiques et/ou matériels. La loi indique que "le Fonds, sur base des dommages et intérêts fixés par les juridictions, arrête les modalités de leur octroi".

Le gouvernement consacre 5% du budget national à l'assistance pour les victimes du génocide. Il prépare actuellement un projet de loi sur le Fonds de compensation, qui peut aussi recevoir des contributions d'autres parties.

GG/JC/GA/PHD/RW0404a)