C'est ce qui ressort d'un rapport d'enquête réalisée par la Ligue Rwandaise pour la Promotion et la Défense des droits de l'homme (LIPRODHOR) sur les attitudes et opinions de la population sur ces juridictions populaires, qualifiées de justice participative par le pouvoir. Cette enquête a été publiée récemment.
L'enquête a été menée à domicile et dans tout le pays auprès d'un échantillon de 943 personnes représentant toutes les catégories sociales, des paysans aux autorités, en passant par les employés de l'Etat, les magistrats et représentants de la société civile. 42,84% des personnes interrogées sont de niveau d'instruction primaire, 44,22% de niveau secondaire, 3,39% de niveau universitaire, 9,54% sont des illettrés. Sur l'ensemble de cet échantillon, 144 personnes sont des rescapés du génocide.
Parmi les rescapés, 118 personnes, soit 81,94%, pensent que les juridictions gacaca permettront d'arriver à la réconciliation nationale. Mais 37% de l'ensemble des personnes interrogées estiment qu'il ne peut pas y avoir de réconciliation entre des gens qui s'accusent mutuellement. En effet, le projet des juridictions gacaca, dont le travail sera fondé quasi totalement sur le témoignage, prévoit que chacun sur la colline sera témoin à charge ou à décharge.
83% des Rwandais interrogés sont précisément convaincus que le mensonge (37%), le refus de témoigner (24%), la corruption, l'ethnisme et le clanisme (22%) risquent d'être un handicap pour les gacaca. Dans la même proportion, 83% proposent que les coupables de faux témoignage soient emprisonnés, conformément à la loi. 30% des personnes interrogées estiment de leur côté que garantir la sécurité aux témoins est le préalable qui leur permettrait de parler librement et qu'il faudrait prévoir une indemnisation pour ceux qui viendraient à être agressés en raison de leur témoignage.
La population rwandaise souhaite qu'en matière de choix des juges siègeant dans les juridictions gacaca, les candidats doivent d'abord jouir d'une moralité à toute épreuve, savoir lire et écrire, mais aussi avoir des bases juridiques élémentaires (22% de l'échantillon). Or, le fait est que pratiquement personne sur les collines ne remplit cette dernière condition. Autre souhait qui interpelle les pouvoirs publics : les juges qui seront élus devront subir une formation préalable suffisante, pensent 63% des gens interrogés, alors que 53% ajoutent à ce préalable que la sécurité de ces juges soit également garantie.
81% des personnes interrogées ont répondu favorablement à l'esprit du projet de loi devant instituer les gacaca, en estimant que les juges de ces juridictions doivent être élus par toute la population de la cellule, et cela au suffrage direct et en public, ajoutent 55%. 61% pensent également dans le même sens que le projet de loi en ce qui concerne le rôle des hommes de droit (magistrats, avocats et autres défenseurs judiciaires) : ce rôle devrait se limiter à celui de personnes ressources pour la formation des juges des gacaca et comme conseillers juridiques pour ces juridictions. 13% pensent tout de même qu'ils devraient aussi servir de conseil aux prévenus et aux parties civiles.
S'agissant des indemnisations par les gacaca, 58% des personnes interrogées estiment que seuls les survivants du génocide devraient être pris en compte. Pourtant, fait significatif, 41% des personnes sondées suggèrent que, en même temps que les rescapés, les personnes acquittées devraient également être indemnisées pour avoir été détenues injustement. Des milliers de personnes viennent déjà de passer des années en prison sans jugement et risqueraient d'entre dans cette catégorie si la suggestion était retenue par les autorités.
66% de l'échantillon propose que les fonds d'indemnisation proviennent des biens des personnes reconnues coupables de génocide et condamnées. 60% des personnes interrogées estiment pour leur part que ces fonds doivent être prélevés sur le budget de l'Etat. 40% trouvent enfin que les fonds d'indemnisation devraient provenir des quotes-parts versées par les pays ayant eu une quelconque responsabilité dans le génocide rwandais.
Concernant enfin le temps que devraient durer les gacaca, 39% seulement des Rwandais sondés veulent que ces juridictions restent éternellement, tandis que 23% proposent qu'elles soient dissoutes après une durée de deux ans.
Selon les statistiques publiées fin juin 2000 par la LIPRODHOR, seules 3751 personnes accusées de génocide ont été jugées avant cette date, sur un total d'environ 125 000 détenus. Afin de pouvoir accélérer les procès, les juridictions populaires gacaca sont une forme de justice en train d'être ressuscitée et modernisée, sur la base des gacaca traditionnelles qui s'apparentaient à une forme de médiation et de conciliation sur des conflits sociaux mineurs de proximité, voisinage, bétail, et autres propriétés.
Un projet de loi sur les gacaca modernes est en ce moment à l'étude en commission au parlement. Il devrait être examiné et adopté incessamment en plénière par les députés. Jusqu'ici, les députés ont seulement approuvé la création d'une sixième section, dite des gacaca, à la Cour suprême et il a élu la présidente de cette section, Aloysie Cyanzayire, qui a déjà prêté serment. Elle est donc la seule "juge" des gacaca, au sommet, pour le moment. Aucun autre juge n'a encore été élu. Les juges de terrain seront élu par la population localement et en son sein même après la promulgation de la loi sur les gacaca.
WK/PHD/FH (RW&0909B)