FIN DE L'AUDITION DES TEMOINS A CHARGE CONTRE L'EVEQUE DE GIKONGORO

Kigali, 25 novembre 99 (FH) - La phase d'audition des témoins à charge s'est achevée jeudi dans le procès de l'évêque catholique de Gikongoro (sud-ouest du Rwanda), Mgr Augustin Misago, accusé de génocide et de crimes contre l'humanité devant la Chambre spécialisée du Tribunal de première instance de Kigali, avec un contre-interrogatoire par la défense du témoin Célestin Nzamwita. Jusqu'au mois de juillet 1994, Célestin Nzamwita était caporal gendarme au sein des ex-FAR (Forces Armées Rwandaises, les forces gouvernementales de l'époque), chargé du ravitaillement de tous les détachements de la gendarmerie de Gikongoro.

3 min 32Temps de lecture approximatif

Cette fonction lui permettait d'aller dans tous les sites qui avaient accueilli les réfugiés tutsis.

Aujourd'hui, Célestin Nzamwita est sur le front en RDC (République Démocratique du Congo) dans les rangs de l'APR (Armée Patriotique Rwandaise - actuelle armée régulière du Rwanda), qui combat aux côtés des rebelles du Rassemblement Congolais pour la Démocratie, faction de Goma, présidée par Emile Ilunga.

Mgr Misago et ses trois avocats ont décortiqué minutieusement les procès verbaux des dépositions du caporal durant les enquêtes du parquet, ainsi que ses déclarations en audience publique devant les juges, et ils ont estimé qu'elles étaient toutes remplies de contradictions.

Lors de cette nouvelle audience, les juges ont laissé la défense poser toutes les questions qu'elle voulait, alors que lors des audiences précédents, ils interpellaient les avocats pour leur dire qu'ils posaient des questions tendancieuses ou susceptibles de choquer les survivants du génocide. Seuls le substitut du procureur, Edouard Kayihura, et l'avocat des parties civiles, Me François Rwangampuhwe, se sont insurgés contre les questions de la défense, affirmant qu'elles étaient de nature à influencer le témoin.

Selon le procureur, certaines questions qui ont été posées au témoin auraient dû être plutôt posées à l'accusé "parce que c'est lui qui participait aux réunions et autres rencontres de planification du génocide". Le juge Jaliel Rutaremara, président de la chambre, a répliqué que cette remarque était contradictoire, "puisqu'il revient plutôt à l'accusation d'apporter les preuves de ce qu'elle avance contre l'accusé et non à l'accusé de les apporter à sa place".

Les avocats de la défense ont notamment voulu savoir comment le témoin avait été au courant des propos tenus par Mgr Misago dans des réunions ou dans des rencontres particulières avec le capitaine Sebuhura par exemple. Le capitaine Sebuhura était l'adjoint du commandant de la gendarmerie de Gikongoro, le major Bizimana, mais il avait, semble-t-il, beaucoup plus de poids que son supérieur. Ce serait lui qui avait organisé une équipe autonome de gendarmes appelée "escadron de la mort", responsable de la plupart des massacres sur les sites des réfugiés tutsis de Murambi, Cyanika, Kaduha et Kibeho.

Les avocats de la défense ont par ailleurs demandé au témoin s'il était chargé particulièrement de suivre les faits et gestes de l'évêque, puisqu'il parle beaucoup des propos de Mgr Misago dans son témoignage. Le caporal a répondu qu'il n'avait jamais entendu lui-même directement le prélat tenir ces propos, mais que ceux-ci lui avaient été rapportés par d'autres gendarmes ou par des rescapés de certains massacres.

Dans les procès verbaux d'interrogatoires menés par le parquet, et dont de nombreux passages ont été lus par la défense, le caporal Nzamwita affirme que les militaires qui ont assassiné le prêtre Joseph Niyomugabo, curé de la paroisse de Cyanika, avaient été envoyés par Mgr Misago. "Comment le témoin a-t-il eu cette information?" ont demandé les avocats de la défense. Le caporal a répondu que c'était évident, puisque les militaires l'ont tué après un coup de téléphone du prélat au capitaine Sebuhura au camp de la gendarmerie.

Le procès se poursuivra le 1er décembre prochain, le jour où les premiers témoins à décharge seront entendus. Plus d'une dizaine de témoins à charge, principalement des religieux dont la plupart ont témoigné à huis clos, ont déjà été entendus.

Le procès de l'évêque du diocèse catholique de Gikongoro a été ouvert sur le fond le 20 août dernier. Mgr Misago est accusé de génocide et de crimes contre l'humanité, en particulier de non-assistance à personnes en danger de mort, le parquet estimant qu'il en avait les pouvoirs et les moyens. Le ministère public poursuit par ailleurs le religieux pour violation des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels, précisant que tous ces crimes ont été commis à Gikongoro de son propre chef, en association avec l'ancien préfet de Gikongoro, Laurent Bukibaruta, et le commandant de gendarmerie pour la région de Gikongoro, le major Bizimana, ou en tant que leur complice.

De son côté, l'avocat des parties civiles, Me François Rwangampuhwe, entend poursuivre Mgr Misago en tant que planificateur et superviseur du génocide au plan national. Dans une citation directe déposée devant les juges le 26 octobre dernier, Me Rwangampuhwe accuse l'évêque, outre les crimes allégués par le parquet, des massacres qui ont eu pour théâtre le Centre Christus de Remera, près de Kigali, et le Centre Saint-Paul, au centre de la capitale rwandaise, en avril 1994, dans lesquels au moins une dizaine de prêtres catholiques tutsis, entre autres, ont été tués.

WK/PHD/FH (RW&1125A)