LA RENCONTRE RWANDA-TPIR SE TIENDRA BIEN A ARUSHA

Arusha, le 4 décembre 2002 (FH) - Des officiels rwandais ont finalement accepté de se rendre à Arusha la semaine prochaine pour des discussions avec des responsables du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), mettant ainsi fin à l'incertitude qui planait depuis quelques jours sur le lieu de cette rencontre (Arusha ou Kigali) visant à décrisper les relations entre Kigali et la juridiction onusienne. Le représentant du Rwanda auprès du TPIR, Martin Ngoga, a déclaré mercredi à la presse vouloir « dissiper le doute qui planait sur cette rencontre, dont nous n’avons jamais contesté le principe ».

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Il a confirmé que le ministre rwandais de la justice, Jean de Mucyo, et le procureur général du Rwanda, Gérarld Gahima, seront bien présents à Arusha, du 8 au 10 décembre, à l'invitation de la présidente du TPIR, la juge sud-africaine Navanethem Pillay.

Outre cette dernière, ils rencontreront Adama Dieng, le greffier du TPIR, ainsi que Carla Del Ponte, le procureur du Tribunal. En revanche, Pierre Richard Prosper, l’ambassadeur américain pour les crimes de guerre, et le président de la Cour suprême du Rwanda, Siméon Rwagasore, dont la présence avait été annoncée dans un premier temps, n’assisteront pas à cette rencontre.

La fin d’une année difficile ?
"Nous prenons cette rencontre très au sérieux et nous espérons qu'elle résoudra les problèmes que nous avons rencontrés dans le passé", a indiqué Martin Ngoga. S’exprimant sur le contenu des discussions, Ngoga a indiqué toute une liste de sujets qui pourraient être abordés : la problématique des témoins en provenance du Rwanda, y compris l'octroi des documents de voyages ; le recrutement du personnel au sein du TPIR, notamment les postes de procureur adjoint, (vacant depuis mai 2001), et de chef des poursuites ( inoccupé depuis plus de deux ans), mais aussi la question de certains suspects de génocide que le TPIR emploierait toujours ; la gestion ou « la mauvaise gestion », de manière générale, de cette institution et « si Carla Del Ponte soulève le problème, les crimes de guerre attribués au RPF ».

La tension entre Kigali et le TPIR remonte à fin janvier 2002 mais elle a culminé avec "la crise de témoins" vers le milieu de l'année. Plusieurs procès ont dû alors être suspendus. Dans la foulée, la présidente du TPIR, la juge Pillay, et Carla Del Ponte avaient chacune saisi le Conseil de sécurité de l'ONU pour qu'il rappelle au gouvernement rwandais ses obligations en matière de coopération.

Le Rwanda avait répondu quelques jours plus tard que le TPIR était victime de ses propres dysfonctionnements. A de nombreuses reprises au cours de cette année, Carla Del Ponte s’est plainte du manque de coopération de la part de Kigali.

La tension entre le gouvernement rwandais et le TPIR a atteint un nouveau sommet le 22 novembre dernier, lorsqu’un communiqué de Kigali a fustigé la rencontre, à La Haye, entre le procureur du TPIR et une organisation politique opposée au régime de Kigali, que ce dernier a qualifiée d’organisation terroriste. Kigali avait alors déclaré que Del Ponte avait perdu « toute autorité morale » dans l’exercice de sa fonction.

Quelques jours plus tard, cette dernière avait réagi devant un groupe de parlementaires britanniques indiquant que le véritable point d’achoppement entre le bureau du procureur et le gouvernement de Kigali concernait d’éventuelles poursuites, par le procureur du TPIR, de l'APR (Armée Patriotique Rwandaise, la branche militaire du FPR) pour crimes de guerre.

Martin Ngoga a déclaré que son gouvernement a toujours coopéré avec le TPIR, malgré la persistance de certains points litigieux.

Des points d’achoppement demeurent
Le conseiller spécial auprès du procureur du TPIR, Dominique Reymond, s'est félicité de ce que les officiels rwandais aient accepté de venir à Arusha, ajoutant que la coopération entre le Rwanda et le parquet est encore perfectible.

"Les formalités administratives imposées aux témoins ne favorisent pas leur anonymat", a souligné Dominique Reymond, ajoutant, sur ce chapitre, que les autorités rwandaises n’assurent pas la protection des témoins à leur retour d'Arusha.

L'autre point de friction demeure les enquêtes envisagées contre des éléments de l'armée rwandaise actuelle suspectés de crimes de guerre. Martin Ngoga a déclaré que ce point ne figure pas à l'ordre du jour provisoire de la rencontre mais que si le procureur souhaite l’aborder, le Rwanda est prêt à en discuter. Kigali affirme qu'il a déjà jugé ses militaires impliqués dans des crimes de guerre et demande en conséquence au procureur de s'occuper exclusivement du génocide anti-tutsi commis par les responsables de l'ancien régime à dominante hutue.

Dominique Reymond a indiqué que le procureur Carla Del Ponte a demandé à plusieurs reprises à Kigali de lui permettre d'accéder à ses archives, afin qu'il n'y ait pas éventuellement double enquête mais qu'il n'avait reçu aucune réponse. Malgré plusieurs demandes, "nous n'avons eu accès à aucune archive, à rien", a déclaré Dominique Reymond.

S'adressant le mois dernier aux parlementaires anglais, Carla Del Ponte avait réaffirmé son droit d'enquêter sur l'ensemble des violations du droit international humanitaire commis au Rwanda en 1994, y compris les crimes qu’aurait commis la nouvelle armée rwandaise, son mandat de procureur s’étendant du 1er janvier au 31 décembre 1994. « Une victime est une victime, un crime relevant de mon mandat en tant que procureur du TPIR est un crime, indépendamment de l'identité, de l'ethnie ou des idées politiques de la personne qui a commis ledit crime. La justice ne s'accommode pas d’opportunisme politique. Personne ne doit rester à l'abri des poursuites pour les pires crimes, » avait-elle alors déclaré.

Martin Ngoga a par ailleurs soutenu la recommandation émise lors de la cinquième réunion du comité budgétaire et administratif du TPIR réuni récemment à New York de mener une enquête au sein du bureau du procureur pour établir la raison pour laquelle les postes clés de procureur adjoint et de chef des enquêtes restent vacants depuis près de deux ans.

Martin Ngoga a suggéré que cette enquête se fasse le plus tôt possible. Les enquêteurs, a -t-il dit, devraient profiter de la présence de Del Ponte à Arusha pour mener à bien leur travail.

Il a également réaffirmé la volonté de Kigali de coopérer avec le TPIR déclarant que d’autres officiels rwandais, sans préciser lesquels, étaient tout à fait prêts à rencontrer Mme Del Ponte à Kigali, après la rencontre d’Arusha.

AT/CE/GF/FH (RW-1204A)