Leur position s'est manifestée sous différentes formes ces derniers mois. Bien qu'il ait été déclaré publiquement que la raison de la suspension de la coopération est la manière dont les témoins sont traités, la vrai raison est à chercher ailleurs", a indiqué Carla Del Ponte lors d’une présentation effectuée à Londres à des parlementaires anglais membres du groupe Région des Grands Lacs et prévention du génocide, le 25 novembre.
Nombreux étaient les analystes qui jugeaient que le véritable point de friction entre les deux parties concernait les éventuelles poursuites, par le procureur du TPIR, de l'APR pour crimes de guerre. Dans son allocution aux parlementaires britanniques, Carla Del Ponte a confirmé sans équivoque ces suppositions.
"Comme je l'ai déjà indiqué au Conseil de sécurité, nous avons de bonnes raisons de croire que des éléments puissants au Rwanda s'opposent fortement à l'investigation, dans le cadre de l'exécution du mandat du TPIR, des crimes qu’auraient commis des membres de l'Armée Patriotique Rwandaise en 1994", a poursuivi Carla Del Ponte.
Le procureur du TPIR a ajouté que "malgré les assurances qui m'ont été données dans le passé, aucune assistance concrète n'a été fournie en réponse aux demandes répétées concernant ces investigations. Il n'y a aucune volonté politique réelle de la part des autorités rwandaises d'octroyer l'assistance dans un domaine de travail qu'elles interprètent comme étant politique dans sa nature".
Relations tendues entre le TPIR et le Rwanda
Depuis le début de l’année, les relations entre le TPIR et le gouvernement de Kigali ont été très tendues. Kigali a accusé le Tribunal d’inefficacité, d’incompétence et de corruption. De son côté, le Tribunal a régulièrement reproché à Kigali son manque de coopération.
Tout a commencé en janvier dernier lorsque des associations de rescapés du génocide ont déclaré qu'elles n'autoriseraient plus leurs membres à venir témoigner dans des procès en cours à Arusha. Elles se plaignaient notamment de " harcèlement" lors de contre-interrogatoires et du recrutement, par la défense, de suspects de génocide dans les équipes d’enquêteurs rwandais. Le débat s’est fait plus polémique quand le gouvernement rwandais a pris fait et cause pour ces associations et a introduit, dans la foulée, des mesures qui, selon le TPIR, faisaient obstacle à la libre circulation des témoins en provenance de Kigali et ralentissaient les procès en cours.
Cette « crise des témoins » a conduit Carla Del Ponte et la présidente du TPIR, la juge Pillay, à saisir séparément le Conseil de sécurité de l'ONU fin juillet. Le gouvernement de Kigali leur avait répondu peu après, avec vigueur, par le même truchement, déclarant que "le Tribunal faisait face à une crise, imputable à une mauvaise gestion, à son incompétence et à la corruption".
Nouvel échange de critiques
Les relations semblaient s’être améliorées au mois de septembre, les procès interrompus faute de témoins ayant pu reprendre. Mais, le 22 novembre, le gouvernement rwandais publiait un communiqué virulent reprochant à Carla Del Ponte d’avoir rencontré à La Haye des représentants du FDLR/ALIR. « Le
FDLR/ALIR/Interahamwe est une organisation terroriste bien connue, qui estime que le génocide est inachevé » disait le communiqué, le gouvernement
s’estimant « choqué » par une telle rencontre.
ALIR figure actuellement sur les listes américaine et rwandaise des organisations terroristes. « En rencontrant ceux-là mêmes sur lesquels elle devrait enquêter et qu’elle devrait poursuivre, Del Ponte a perdu l’autorité morale qui lui permettait d’enquêter sur des cas liés au génocide rwandais. » indiquait le communiqué
gouvernemental. Les 100 millions de dollars investis dans le bureau du procureur méritent d’être dépensés de manière productive sur des problèmes importants, a estimé le gouvernement rwandais.
Carla Del Ponte a réagi à ces critiques en indiquant que les enquêtes sur les crimes commis par l’Armée Patriotique Rwandaise (APR, la branche militaire du FPR) faisaient partie de son mandat. "Sans faire de commentaires sur mes droits et devoirs en tant que procureur indépendant, je voudrais exprimer ma déception. Pour moi, une victime est une victime, un crime relevant de mon mandat en tant que procureur du TPIR est un crime, indépendamment de l'identité, de l'ethnie ou des idées politiques de la personne qui a commis ledit crime. La justice ne s'accommode pas d’opportunisme politique. Personne ne doit rester à l'abri des poursuites pour les pires crimes", a déclaré Del Ponte, en réponse aux critiques du gouvernement rwandais.
"Les leaders politiques et militaires du Rwanda devraient accepter de répondre aux allégations de crimes qui pourraient avoir été commis de son côté. S'ils sont réellement prêts à favoriser la paix et la réconciliation dans leur pays et dans la région des grands lacs, ils devraient coopérer avec le TPIR de manière totale et sans conditions", a-t-elle ajouté.
Des critiques injustifiées, selon Kigali
Réagissant à ces critiques de Mme Del Ponte, le représentant du Rwanda auprès du TPIR, Martin Ngoga, a déclaré qu'elles étaient injustifiées. "La coopération existe et cela a été confirmé récemment par le porte-parole du Tribunal. Il y a des problèmes non résolus mais les témoins en provenance du Rwanda viennent et Carla Del Ponte sait que des procès dans lesquels ces témoins comparaissent sont en cours. Nous sommes dans un processus de dialogue et nous avons fait des progrès considérables dans ce domaine" Martin Ngoga a ajouté: "Le fait que le procureur fasse une telle déclaration n'est pas une surprise pour le Rwanda. Son échec à conduire son bureau objectivement devient de plus en plus évident"
Selon le diplomate rwandais, la réalité est que "des procès concernant les soldats du FPR ont été menés et continueront à l'être si les preuves se manifestent."
"Au moment où nous voyons que le travail du TPIR a sérieusement besoin d’établir des priorités et de se montrer objectif, le procureur est profondément immergé dans un arithmétique ethnique et dans des théories négationnistes de "culpabilité égale". Ceci est inacceptable", a déclaré Martin Ngoga.
Carla Del Ponte, le juge Pillay et Adama Dieng, le greffier du Tribunal doivent rencontrer début décembre trois hauts officiels rwandais : le ministre de la justice, Jean de Dieu Mucyo, le procureur général, Gérard Gahima, ainsi que le président de la Cour suprême, Siméon Rwagasore, pour des discussions, entre autres, sur la coopération entre le TPIR et Kigali.
Pierre Richard Prosper, l’ambassadeur des Etats-Unis pour les crimes de guerre participera également à cette rencontre.
AT/CE/GF/FH (RW-1129A)