LE TRAITEMENT DES TEMOINS TRANSFERES DES PRISONS RWANDAISES : UN DILEMME par Gabriel Gabiro et Julia

Arusha, le 15 février 2001 (FH) - Le traitement des personnes détenues au Rwanda qui sont transférées à Arusha pour déposer comme témoins devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), ainsi que l'impact éventuel de ce changement de régime sur leur témoignage, sont un sujet de discussion au sein du Tribunal. Les conditions de détention présentent en effet un contraste total: les standards internationaux de détention observés à la prison de l'ONU à Arusha en Tanzanie, d'une part, opposés au régime de prisons rwandaises mal aérées et surpeuplées, où règnent de mauvaises conditions de salubrité, d'autre part.

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De plus en plus de prisonniers rwandais ont été récemment amenés au TPIR pour témoigner dans les procès de génocide. Ces témoins, dont la plupart ont avoué devant la justice rwandaise avoir participé au génocide, sont incarcérés temporairement au centre de détention des Nations unies pour la durée de leur séjour à Arusha.

La population carcérale du Rwanda a explosé après que le génocide de 1994 a causé la mort de quelque 800. 000 Tutsis et Hutus modérés, selon les estimations. Actuellement, environ 130'000 personnes sont détenues au Rwanda, la plupart devant répondre de charges de génocide. C'est plus de six fois la capacité des prisons rwandaises et c'est un fardeau sans précédent pour un pays pauvre, qui dépend presque entièrement de l'aide extérieure. Les prisons rwandaises sont par ailleurs réputées n'avoir, certains jours, aucune ou très peu de nourriture à offrir aux prisonniers.

En comparaison, le centre de détention des Nations unies à Arusha dispose de cellules individuelles (2 m sur 5,7 m, avec une hauteur de 3,2 m.), d'une une bonne nourriture et d'une salle de sport. Les détenus ont également un accès à des ordinateurs et à la bibliothèque.

"Perdiem" quotidien de 19 dollars

En plus d'être installés au centre de détention de l'ONU, ce qui est en soi déjà le paradis par rapport aux prisons rwandaises, les témoins détenus reçoivent par ailleurs les mêmes prestations que les autres témoins, y compris une indemnité journalière de subsistance ("perdiem") s'élevant à 19 dollars américains.

Ces 19 dollars représentent 20% de l'indemnité complète allouée aux personnes en mission à Arusha, qui s'élève à 99 dollars. Le centre de détention retient la différence pour couvrir les frais de logement et de repas. Les 19 dollars sont donc destinés à couvrir les autres dépenses diverses. Les témoins reçoivent également deux ensembles de vêtements, pour apparaître décemment vêtus devant le Tribunal, et ils peuvent ensuite conserver ces habits. Ceux qui ont des problèmes de santé sont soignés gratuitement.

Quatre témoins détenus, amenés pour déposer dans le procès du groupe Cyangugu (sud-ouest du Rwanda), ont passé quatre mois à Arusha en attendant de terminer leur déposition. Selon des sources au sein du Tribunal, ce séjour s'est prolongé en raison de la période à laquelle ils sont arrivés, ainsi que de difficultés sur le plan légal et de la sécurité pour le transfert de détenus à Arusha et leur retour au Rwanda.

En plus du temps nécessaire pour témoigner, les quatre détenus ont dû attendre à Arusha pendant le mois de vacances judiciaires de fin d'année, avant de pouvoir continuer leurs dépositions.

Sur la base de l'allocation journalière de 19 dollars, chacun de ces prisonniers a dû recevoir quelque 2'000 dollars. Le représentant du Rwanda auprès du TPIR, Martin Ngoga, a déclaré à ce sujet que "les autorités carcérales du Rwanda ne prennent aucune part de l'argent que les témoins reçoivent".

Jusqu'à présent, la plupart des prisonniers venus comme témoins du Rwanda ont été cités par l'accusation. Certains des avocats de la défense au TPIR estiment qu'un tel traitement pourrait être un encouragement aux témoins de venir faire de faux témoignages.

Le TPIR n'est pas de cet avis: "Vous n'invitez pas les gens à venir ici pour dépenser leur argent" indique le Togolais Roland Amoussouga, responsable de la section de protection des témoins au TPIR. "Si vous convoquez quelqu'un pour venir témoigner ici, vous devez prendre soin des besoins de cette personne".

Sur la possibilité que l'argent pourrait influencer les détenus pauvres dans leur témoignage, Roland Amoussouga, indique: "Je dois admettre que c'est sujet à discussion; mais le principe qui a été décidé est que lorsqu'un témoin vient ici, il est traité de manière humaine et dans le respect de ses droits. La question de la crédibilité du témoignage est à déterminer par la cour".

GG/JC/AT/PHD/FH (RW0215a)