Cette commission rogatoire a été ouverte au nom des familles des trois membres français de l'équipage, qui ont également péri dans le crash. Le juge Bruguière a souligné que son enquête est en cours depuis 1998.
L'avion du président Habyarimana a été abattu le 6 avril 1994 au dessus de Kigali. Son assassinat a déclenché le génocide qui a fait environ huit cent mille morts parmi les Tutsis et les Hutus modérés en trois mois.
Cette semaine, le juge Bruguière a interrogé des Hutus accusés de génocide, détenus par le TPIR, qui ont toujours affirmé pour leur part que ce sont les Tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), actuellement au pouvoir à Kigali, qui ont commis l'attentat contre l'avion de Habyarimana.
Jusqu'à récemment, l'hypothèse généralement admise était que l'attentat avait été commis par des Hutus extrémistes de l'entourage même de Habyarimana, qui étaient opposés au partage du pouvoir avec le FPR.
Cependant, un mémorandum de l'ONU révélé au mois de mars dernier par un journal canadien suggère que c'est le FPR qui aurait pu être derrière cet attentat. Le TPIR a mis ce mémorandum, rédigé en août 1997, sous scellé. L'interrogatoire des détenus du TPIR intervient au moment où plusieurs avocats exigent la publication de ce mémorandum ou une enquête indépendante sur la mort du président Habyarimana.
L'interrogatoire des sept détenus concernés a commencé mardi et s'est déroulé à huis clos. Il s'agit de l'ex-journaliste Hassan Ngeze; des anciens responsables militaires Aloys Ntabakuze et Augustin Ndindiliyimana; de l'ancien directeur de cabinet au ministère de la défense Théoneste Bagosora; et des anciens responsables politiques Casimir Bizimungu, Matthieu Ngirumpatse et Jean-Bosco Barayagwiza.
Le seul détenu à avoir rendu publique ses informations est Hassan Ngeze, qui affirme que c'est Paul Kagame, l'actuel président rwandais, qui a planifié l'attentat.
Ngeze était membre fondateur du parti extrémiste hutu, la Coalition pour la défense de la République (CDR) et directeur du journal Kangura, dont le parquet affirme qu'il a été utilisé à inciter aux massacres de Tutsis et de Hutus modérés.
"J'ai appris qu'il y avait un complot contre la vie du président de la République, Juvénal Habyarimana, en septembre 1993 de la part de feu le colonel Lizinde Théoneste qui était alors un agent supérieur de sécurité du Front patriotique rwandais et d'autres sources extérieures," a écrit Ngeze, dans un communiqué de presse daté du 15 mai.
"Le concepteur du complot de l'attentat contre le président Juvénal Habyarimana est le général Paul Kagame, l'actuel président du Rwanda," affirme Ngeze. "D'autres membres de son équipe sont le lieutenant-colonel James Kabarebe, Charles Kayonga, Kayumba Nyamwasa, Karenzi Karake ainsi que le colonel Théoneste Lizinde"
Ces noms sont les mêmes que ceux cités dans une déclaration du 21 avril dernier émanant de Jean-Pierre Mugabe, un transfuge du FPR résidant actuellement aux Etats-unis, qui indique, lui aussi, avoir reçu l'information de Lizinde. Lizinde a été assassiné à Nairobi (Kenya), après avoir fui le Rwanda.
Ngeze et Mugabe affirment que Lizinde a été tué par des agents du FPR, à cause de l'information qu'il détenait concernant l'attentat contre l'avion.
Des sources bien informées indiquent que Ngeze aurait rencontré Lizinde en prison et qu'ils seraient restés amis jusqu'à ce que Lizinde soit assassiné à Nairobi. Lizinde a été emprisonné de 1980 à 1992, accusé de tentative de coup d'Etat contre Habyarimana, tandis que Ngeze a été détenu plusieurs fois, puis libéré, sans être jugé.
En janvier 1991, lors d'une offensive surprise au nord-ouest du Rwanda, le FPR a libéré des prisonniers à Ruhengeri et les a invités à le rejoindre. Parmi ces prisonniers se trouvait Lizinde, qui est alors entré au FPR.
Evoquant les motivations de Lizinde pour révéler l'information au sujet de l'attentat, Ngeze affirme que le colonel a été désillusionné à cause du penchant pro-tutsi et anti-démocratique du FPR ainsi que des violations des droits de l'homme commises par le FPR. Théoneste Lizinde était hutu.
Bien que Ngeze affirme qu'il détenait l'information sur l'attentat depuis septembre 1993, il n'avait jamais publié une liste de noms de ses responsables présumés. Les détenus du TPIR sont apparemment capables de se tenir au courant des informations et de l'actualité, y compris en recourant au courrier électronique.
Ngeze indique dans son communiqué de presse qu'entre septembre et décembre 1993, alors qu'il publiait un article prédisant le crash, il avait essayé d'en aviser le général canadien Roméo Dallaire, à l'époque commandant de la force onusienne au Rwanda (MINUAR), et le président Habyarimana. Mais Ngeze prétend qu'on l'avait qualifié de "paranoïaque".
Lors de sa comparution initiale en 1997 devant le TPIR, Ngeze a signalé qu'il connaissait les auteurs de l'attentat contre l'avion. "Malheureusement, comme l'avait déjà fait Roméo Dallaire, quand je lui ai révélé l'existence du complot contre Habyarimana, le juge Kama m'avait dit que ce n'était pas le moment de faire encore des prophéties. Il n'a rien voulu entendre à ce sujet," écrit Ngeze.
Hassan Ngeze est accusé d'entente en vue de commettre le génocide, de génocide et de crimes contre l'humanité . Il a plaidé non coupable.
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