PEINE DE 14 ANS CONFIRMEE DEFINTIVEMENT POUR L'EX-MAIRE DE MUSHUBATI

Yverdon-les-Bains, le 27 avril (FH) Le Tribunal militaire de cassation a confirmé définitivement la peine de 14 ans de prison infligée en appel par la justice militaire helvétique à Fulgence Niyonteze, ressortissant rwandais, ancien bourgmestre de la commune de Mushubati (centre du Rwanda). Dans un arrêt rendu public vendredi, le Tribunal de dernière instance a rejeté pour l'essentiel le recours de la défense et totalement rejeté celui du procureur.

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Le Tribunal militaire a cassé le jugement de l'instance inférieure sur un seul point, relatif aux modalités de l'expulsion du territoire suisse prononcée contre le condamné. La mesure d'expulsion judiciaire, qui interviendra après l'exécution de la peine, est confirmée, mais le tribunal d'appel devrait encore décider s'il peut ou non accorder le sursis à l'exécution de cette peine accessoire.

Le 25 mai 2000, Fulgence Nyonteze avait été reconnu en appel coupable de crimes de guerre pour sa participation aux massacres perpétrés au Rwanda en 1994. Les faits retenus à sa charge étaient d'avoir tenu en qualité de maire une réunion populaire, où il avait appelé ses concitoyens à tuer les Tutsis qui avaient échappé au génocide en cours, et de s'être rendu à l'évêché proche de Kabgayi, où il avait invité ses administrés réfugiés dans un camp à rentrer et par conséquent à se faire tuer.

Le Tribunal d'appel s'était montré plus clément que le Tribunal de première instance, qui avait condamné le 30 avril 1999 l'ancien responsable communal à la peine maximale, soit la prison à vie. Les juges de l'instance d'appel n'avaient pas retenu l'accusation d'assassinat, mais uniquement les violations des conventions internationales de Genève sur le droit de la guerre.

Dans leur pourvoi en cassation, les défenseurs de Fulgence Nyonteze invoquaient la présomption d'innocence et de nombreuses violations de la loi par le Tribunal d'appel, auquel ils reprochaient en particulier d'avoir retenu des témoignages à charge contradictoires ou incohérents, et d'avoir écarté sans raison des témoignages favorables.

En outre, la défense soutenait que les actes de l'ancien bourgmestre de Mushubati n'étaient pas passibles d'un tribunal militaire, car il ne s'agissait pas de crimes de guerre. Ils invoquaient à cet égard le jugement rendu par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha, qui avait considéré que les crimes commis par l'ancien bourgmestre de Taba, Jean-Paul Akayesu, ne tombaient pas sous le coup des conventions de Genève sur le droit de la guerre.

Motifs essentiels du jugement

En substance, le Tribunal militaire de cassation a estimé que l'ancien maire de Mushubati avait choisi son camp en acceptant de suivre les instructions des responsables de génocide et fait usage du pouvoir que lui donnait sa fonction, et surtout que l'appréciation des témoignages par les instances inférieures avait été correcte. "La Cour partage l'appréciation portée par le TPIR à Arusha, selon lequel les témoignages sur les crimes perpétrés au Rwanda en 1994 contiennent des imprécisions prévisibles, car il faut être conscient des effets des traumatismes subis par une population souvent illettrée", a relevé le président du Tribunal, le colonel Gilbert Kolly.

Sur l'application des conventions de Genève, les juges du Tribunal de cassation ont estimé que les critères développés par le TPIR à propos des crimes de guerre étaient applicables au cas particulier de Fulgence Nyonteze. En tout état de cause, l'ancien bourgmestre n'aurait pas pu être jugé en Suisse pour génocide ou pour crimes contre l'humanité, comme les accusés qui comparaissent devant le Tribunal international à Arusha.

Le procureur, qui porte le titre d'auditeur dans la justice militaire, invoquait principalement, dans son pourvoi en cassation, le caractère excessivement clément de la peine de 14 ans d'emprisonnement, vu la gravité des crimes commis. Pour le Tribunal de cassation, la peine prononcée reste dans le cadre légal admissible et elle ne saurait être comparée à celles prononcées par le TPIR, par exemple dans le cas l'ancien maire de Taba.

La détention subie jusqu'à ce jour par Fulgence Nyonteze, arrêté en 1996, sera déduite. La peine étant désormais définitive, le canton de Fribourg, où la famille du condamné réside après avoir obtenu l'asile, a été chargé de procéder à l'exécution de l'emprisonnement. En vertu de la loi, l'ancien maire pourrait bénéficier d'un régime de semi-liberté en 2002 et solliciter une libération conditionnelle pour bonne conduite à partir de l'année 2005.

Réactions

Fulgence Niyonteze n'était pas présent pour la lecture de l'arrêt, mais ses deux défenseurs ont annoncé aussitôt qu'ils allaient continuer leur combat pour démontrer l'innocence de leur client. "Nous sommes déçus et choqués qu'une fois de plus, dans cette affaire, le principe de la présomption d'innocence n'a pas été respecté" ont déclaré à l'Agence Hirondelle les avocats de la défense, Me Vincent Spira et Me Robert Assaël. Les défenseurs entendent porter le cas devant la Cour européenne des droits de l'homme et préparer une demande de révision en cas de faits nouveaux. Ces démarches pourraient être entreprises avant le nouveau verdict du Tribunal d'appel sur le sursis à l'expulsion.

Parmi le public peu nombreux présent pour la lecture de l'arrêt, le président de la section suisse de l'association rwandaise de survivants du génocide IBUKA - Mémoire et justice, Gilbert Tshondo, a fait part à l'Agence Hirondelle de son sentiment "mitigé". "Pour nous qui connaissons les réalités de notre pays, qui avons cohabité avec Fulgence Nyonteze, pour certains d'entre nous qui sont des rescapés du camp de Kabgayi, nous sommes inquiets à l'idée que le sursis pourrait être accordé à l'expulsion de l'intéressé, qui aurait mérité une peine plus sévère". "Notre association n'est pas un syndicat de délateurs comme certains l'ont dit" a-t-il précisé. "Nous avons contribué à ce que ce procès se déroule, " a toutefois ajouté Gilbert Tshondo, en saluant l'initiative prise par la Suisse, qui a arrêté et jugé un "génocidaire", alors que "des pays voisins n'ont pas le courage de le faire".

CP/PHD/FH (FU0427A)