UNE VICTIME ADMISE COMME PARTIE CIVILE A L'OUVERTURE DU PROCES

Lausanne, 12 avril 99 (FH) Le tribunal militaire suisse chargé de juger l'ancien bourgmestre de la commune de Mushubati (préfecture de Gitarama, centre du Rwanda), Fulgence Niyonteze, a donné suite, lundi, à la requête présentée par une victime, un habitant de Mushabati. Ce Rwandais rescapé pourra participer au procès en qualité de partie civile.

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Une demande de constitution de parties civiles avait été annoncée au tribunal quelques jours avant le début du procès. A l'ouverture des débats, deux avocats, Me François Rwangampuhwe, du barreau de Kigali, et Me Jacques Emery, du barreau de Genève, ont présenté une requête formelle au nom de sept Rwandais vivant dans la commune de Mushubati.

Le tribunal n'a retenu que la demande de l'une des sept victimes, pour laquelle le rapport entre son sort et les faits reprochés à l'accusés semble vraisemblable. Il a en outre accepté d'accorder à cette victime le bénéfice de l'assistance judiciaire, afin de lui assurer l'égalité de traitement avec l'accusé, malgré le fait que la loi suisse ne prévoie pas expressément cette assistance pour une partie civile comparaissant devant la justice militaire.

Mesures de sécurité exceptionnelles

Le procès s'est ouvert lundi matin dans le bâtiment du tribunal cantonal de Lausanne, protégé par des mesures exceptionnelles de sécurité. L'accès aux abords du palais de justice est contrôlé par un important dispositif de la police militaire. Le public entrant dans la salle d'audience est soumis à une fouille individuelle à chaque reprise d'audience.

Le tribunal de division 2 est composé d'un président et de quatre juges, qui ne siègent pas de manière permanente. Il est présidé par un juriste professionnel, le colonel Jean-Marc Schwenter, qui exerce habituellement la fonction de procureur devant la justice civile. Les autres juges sont deux officiers et deux sous-officiers de milice de l'armée suisse.

A la demande de la défense, le tribunal a décidé d'ordonner l'enregistrement audio des dépositions des témoins qui parlent kinyarwanda et qui seront entendus par l'intermédiaire d'un interprète. Cette mesure a été prise afin de pouvoir éviter des erreurs d'interprétation

Acte d'accusation complété pour génocide

Selon l'acte d'accusation lu en public, l'ex-maire rwandais est accusé de crimes de guerre, de crime contre l'humanité et de génocide perpétrés au printemps 1994, au Rwanda. Le jugement sera rendu par les juges militaires du Tribunal de division 2, conformément à la loi suisse.

Ce procès est une première judiciaire, car aucun pays autre que le Rwanda n'a, à ce jour, jugé une personne pour des crimes commis lors du génocide et des massacres du printemps 1994 au Rwanda.

Deux semaines avant le début du procès, l'acte d'accusation initial datant du 3 juillet 1998 et portant sur des crimes de guerre, a été complété par le procureur, qui entend donner une nouvelle qualification juridique aux mêmes faits. Le nouvel acte d'accusation retient désormais le crime de génocide et le crime contre l'humanité.

Incident sur la qualification de génocide

Cette nouvelle qualification a été contestée lors d'un incident par la défense de l'accusé, qui affirme que la justice militaire suisse n'est pas compétente pour juger d'un génocide en tant que tel. La Suisse n'a pas encore ratifié la convention internationale à ce sujet et les lois helvétiques ne prévoient pas expressément de réprimer les crimes contre l'humanité.

Selon Me Robert Assael, défenseur, le droit coutumier international n'est pas une norme suffisante. Sans contester l'existence d'un génocide au Rwanda, l'avocat a souligné que la responsabilité de chaque accusé reste individuelle.

Le procureur et l'avocat de la partie civile ont au contraire plaidé pour que le tribunal militaire retienne ces crimes, en faisant prévaloir une conception plus large de sa compétence face à des crimes réprouvés comme les plus graves par la communauté internationale. Le Tribunal statuera ultérieurement.

Appels à l'assassinat

Les faits reprochés à l'accusé, qui les conteste, remontent à la période entre début mai et le 15 juillet 1994. Selon le procureur militaire, Fulgence Nyionteze aurait "constaté que sa commune était "mal notée" par le pouvoir en place, car de nombreux Tutsis et Hutus modérés avaient pu échapper au massacre". Le bourgmestre aurait alors réuni une partie de la population de sa commune pour lui donner l'ordre d'assassiner les Tutsis et les opposants.

L'acte d'accusation reproche également à l'ex-maire d'avoir incité des habitants de sa commune à retourner chez eux, pour les faire massacrer, alors qu'ils étaient réfugiés dans l'enceinte de l'évêché de Kabgayi, près de Gitarama.

Le procureur allègue enfin que Fulgence Niyonteze aurait distribué des fusils et des grenades à la population, pour lui permettre d'exterminer les Tutsi et d'anéantir les opposants hutus.

DV/PHD/FH (FU§0412)