01.10.07 - RWANDA/CANADA - ROMEO DALLAIRE : FIGURE DE L'ECHEC DES NATIONS UNIES AU RWANDA

Montréal, 1er Octobre 2007 (FH) — Officier parmi les plus décorés du Canada, sénateur et personnage central d'un nouveau film le mettant en scène lors du génocide rwandais, le général Roméo Dallaire, 61 ans, comparaît mardi en tant que "témoin-expert" cité par l'accusation au procès de Désiré Munyaneza.

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Éviter de le présenter comme un héros. Cette requête, l'ancien commandant en chef de mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR) en 1993-1994 la répète souvent aux journalistes et animateurs canadiens qui l'interrogent. « Parce que ma mission a failli: 800 000 personnes sont mortes », expliquait-il encore dimanche 30 septembre sur Radio-Canada, invité au talk-show le plus regardé du Québec.

Venu pour faire la promotion du film « J'ai serré la main du diable » (adaptation de son ouvrage éponyme dans lequel il livre ses souvenirs du conflit rwandais), M. Dallaire a reçu un accueil digne d'une rock-star, typique de l'aura dont il jouit au Canada. Depuis son retour d'Afrique, les hommages et récompenses n'ont cessé de lui être remis, en faisant un des soldats canadiens les plus gradés. Reconnaissance ultime: en 2005, Paul Martin, le premier ministre de l'époque, le nommait au Sénat.

« Le Canada restera le seul pays de l'Humanité qui aligne des médailles sur la poitrine d'un homme qui dit "j'ai échoué". Le premier geste d'humilité serait de dire, "je ne le mérite pas" », pense François Bugingo, vice-président de Reporters sans frontières (RSF) et porte-parole de l'organisation au Canada. Selon le journaliste, présent au Rwanda lors du conflit, l'attitude de Roméo Dallaire est paradoxale, tant il dénonce son échec tout en acceptant d'être traité en héros.

Fort de sa notoriété, l'ancien général n'hésite pas à faire part de ses opinions lors d'importants débats publiques. Ainsi, en avril 2007, alors qu'une majorité de Québécois s'oppose à l'intervention militaire canadienne en Afghanistan, M. Dallaire dénonce dans la presse le « repli sur soi » du discours pacifiste et s'interroge sur « la maturité » de la société québécoise. En 2004, dans un éditorial publié dans le New York Times, il presse l'OTAN d'intervenir au Darfour.

Pourtant, lorsqu'il est question de son travail au Rwanda, Roméo Dallaire se fait moins volubile. Il refuse désormais de se présenter devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TIPR), à Arusha (Tanzanie), depuis qui il a comparu en 1998 et 2004, lors des procès de Jean Paul Akayesu, le premier à s'être tenu devant le TPIR puis a celui du colonel Théoneste Bagosora qu'il accuse d'être le "cerveau" du génocide. Dans son entourage, on explique que « son conseiller médical lui a recommandé de ne plus y aller ». Son dernier témoignage date de Novembre 2006, par vidéo conférence, depuis le quartier général des forces canadiennes entouré de conseillers militaires et avec un avocat à ses côtés.

Souffrant du syndrome de stress post-traumatique, M. Dallaire a tenté par trois fois de se suicider. Hanté par le génocide, il est aujourd'hui encore sous traitement. Cet état de santé explique, selon son entourage, sa réticence à comparaître comme témoin de contexte au procès de Désiré Munyaneza (un Rwandais jugé à Montréal pour crime de guerre et crime contre l'humanité). Un de ses proches collaborateurs rapporte ainsi qu'« il n'aime pas témoigner, il n'en a pas besoin: tout ce qu'il a vu lui revient ».

Si l'ancien commandant de la MINUAR est parfois critiqué en Belgique ou en France, rares sont les Canadiens qui remettent en cause son action passée. Parmi eux, François Bugingo. Le vice-président de RSF reproche au militaire de ne pas jamais avoir enfreint les règles d'engagement de l'ONU, qui ne permettaient de recourir à la force qu'en cas de légitime défense.

« À l'époque, tout les observateurs présents au Rwanda comprenaient le rôle de la Radio Mille collines: elle diffusait dans les campagnes des messages d'incitation au massacre. (…) À chaque fois qu'on demande à Dallaire: "Mais pourquoi vous ne l'avez pas faite bombarder, même par accident ?", il répond: "Je n'en n'avais pas l'ordre". » Selon M. Bugingo, l'officier canadien « a préféré sacrifier des Rwandais plutôt que risquer de passer devant la cour martiale…».

CS/PB/GF
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