19.10.07 - TPIR/JURISPRUDENCE - LE TPIR SEMBLE IGNORER LES OUTRAGES

 La Haye, 19 octobre 2007 (FH) -  Alors que les accusations de faux témoignages, ou de pression sur un témoin cité devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda commencent enfin à apparaître au grand jour à Arusha, le Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie (TPIY) a déjà jugé plusieurs de ces faits considérés comme des « outrages à la cour ».

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  Depuis 1993 près d’une vingtaine d’affaires ont été enclenchées à La Haye et plusieurs condamnations ont été prononcées. Avocats, accusés, témoins et journalistes ont été poursuivis, faisant émerger une jurisprudence observée de près par les organisations non gouvernementales et les acteurs de la Cour pénale internationale (CPI). Car les affaires pour outrages portent essentiellement sur la protection des témoins.   La plus emblématique des affaires entendues par le TPIY a abouti à la condamnation à quatre mois de prison ferme, en mai 2005, de Beqë Beqaj, reconnu coupable d’avoir « sciemment et délibérément fait pression sur un témoin ». Alerté par le témoin protégé B1, le procureur avait placé le téléphone de ce dernier sur écoute, intercepté un appel de Beqë Beqaj et conclu qu’il avait agi en faveur de deux accusés, les commandants albanais du Kosovo Fatmir Limaj et Isaak Musliu.   Etrangement, les deux hommes avaient plus tard été acquittés pour les charges de crimes contre l’humanité et crimes de guerre, notamment fautes de preuves pertinentes apportées par le parquet. Or dans cette affaire comme dans celle engagée aujourd’hui à l’encontre de Ramush Haradinaj, ex-premier ministre du Kosovo, le procureur a du émettre des dizaines de citations à comparaître et s’est retrouvé face à des témoins devenus muets à la barre du tribunal.   En septembre, le procureur a d’ailleurs ouvert une enquête, toujours en cours, pour outrage, après qu’un témoin ait refusé de répondre aux questions du parquet, puis quitté les Pays-Bas dans la nuit, entre deux audiences.   Outre cette affaire, plusieurs avocats ont été poursuivis pour avoir divulgué les noms de témoins protégés. Condamné à verser 4000 Florins néerlandais, l’avocat du général Blaskic, Ante Nobilo, avait été relaxé en appel. L’accusé Dusko Tadic avait demandé, sans succès, la révision de son procès après la condamnation de son avocat, maître Milan Vujin, à 15 000 florins, pour intimidation de témoins.   Plus récemment, le tribunal de La Haye a poursuivi six journalistes croates, accusés d’avoir révélé l’identité de témoins protégés et le contenu d’audiences à huis clos. Parmi ces accusés, Josip Jovic, éditeur de l’hebdomadaire Slobodna Dalmacija, a été condamné à 20 000 euros d’amende. Le journaliste avait publié des extraits de l’audition à huis clos du président croate Stjepan Mesic, qui avait comparu sous pseudonyme dans le procès du général Blaskic.   Mais la lourdeur de la peine – qui peut aller jusqu’à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende - visait surtout à punir ses provocations envers le tribunal. Josip Jovic avait reçu une ordonnance des juges pour que cesse toute publication, mais le journaliste avait dénoncé dans ses colonnes une décision « pleine d’arrogance » qualifié d’« agression contre l’État de droit » et quelques jours plus tard avait publié, « malgré les risques encourus », de nouveaux extraits de l’audition à huis clos du président croate. Les juges avaient estimé qu’il « n’appartient pas aux personnes physiques, pas même aux journalistes, de décider de publier, au mépris de telles ordonnances, des informations dont ils estiment qu’elles présentent un intérêt pour le public ».   Or la décision des juges révèle aussi les abus observés au sein des deux tribunaux dans les procédures en protection concernant les représentants d’état appelés à témoigner et protégés au titre de la « sécurité nationale ». Si demain, « Jacques Chirac, Bill Clinton ou Paul Kagame devaient comparaître à la barre des témoins, sous pseudonyme et à huis clos, les ordonnances du tribunal resteraient sans doute lettre morte » assure un journaliste.     Les poursuites pour outrages ont aussi donné lieu à des pratiques parfois ubuesques. Ainsi, dans l’affaire Milosevic, le témoin Kosta Bulatovic avait été poursuivi pour avoir refusé avec véhémence de subir l’interrogatoire du procureur - question « d’honneur » arguait-il - en l’absence de Slobodan Milosevic, alors malade. Au lieu de juger l’affaire en « flagrant délit », les juges avaient conduit un procès en bonne et dû forme, sans se soucier d’être à la fois juges et parties, et l’homme avait été condamné à quatre mois d’emprisonnement assortie d’un sursis de deux ans, sans que les juges d’appel ne trouvent, plus tard, matière à conflit d’intérêts.   Pour le tribunal pour l’ex-Yougoslavie, les poursuites pour outrage visent à « protéger les intérêts de la justice ». Avant les tribunaux ad hoc, Nuremberg prévoyait déjà de sanctionner « les perturbateurs ». Mais les perturbateurs n’ont-ils jamais foulé les prétoires d’Arusha ? Si plusieurs enquêtes ont été ouvertes, aucune n’a, à ce jour, aboutit à une quelconque condamnation. Dans l’affaire Kajelijeli, les juges avaient estimé, en 2001, que toute interférence avec les témoins ne pourrait être sanctionnée « que si elle est abusive ». Une interprétation très différente de celle en usage au TPIY.   SM/PB   © Agence Hirondelle