La compétence universelle de la justice française au coeur d'une audience à la cour d'appel de Paris

La justice française est-elle compétente pour poursuivre un Syrien pour des actes commis dans son pays? La question sera posée lundi à la cour d'appel de Paris, saisie par un ancien membre d'un groupe rebelle islamiste qui conteste sa mise en examen pour torture et complicité d'enlèvements.

Arrêté en janvier 2020 à Marseille, Majdi Nema, qui a été le porte-parole du groupe Jaysh al-Islam (Armée de l'Islam, JAI), formé au début de la guerre civile pour combattre le régime de Bachar al-Assad, a été mis en examen pour "actes de torture et complicité", "crimes de guerre" et "complicité de disparitions forcées" de 2013 à 2016 et écroué.

Cet homme, de son nom de guerre Islam Alloush, conteste depuis le début des accusations. En juillet 2020, ses avocats, Me Raphaël Kempf et Me Romain Ruiz, ont déposé une requête en annulation de sa mise en examen, en mettant notamment en cause la compétence universelle de la justice française à le poursuivre.

La décision de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris revêtira une importance particulière pour de nombreux observateurs, car la Cour de cassation a récemment estimé que la justice française était incompétente dans l'affaire d'un autre Syrien, ex-soldat du régime de Bachar al-Assad, mis en examen pour complicité de crimes contre l'humanité.

La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français s'est appuyée sur le principe de la "double incrimination" prévu dans la loi du 9 août 2010: les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre doivent être reconnus dans le pays d'origine d'un suspect que la France entend poursuivre.

Or, la Syrie, comme d'autres pays, ne reconnait pas ces crimes et n'a pas ratifié le statut de Rome, qui a créé la Cour pénale internationale.

- Nouvelle jurisprudence? -

Cet arrêt dit "Chaban", rendu fin novembre, a provoqué un séisme dans le monde judiciaire et des organisations de défense des droits de l'Homme, qui craignent que cette décision ne fasse jurisprudence et n'ait de lourdes répercussions sur d'autres enquêtes de ce type.

Cela pourrait concerner 36 enquêtes préliminaires sur les 75 menées actuellement par le parquet national antiterroriste en matière de crimes contre l'humanité. De même, 13 des 80 informations judiciaires pourraient être mises à mal par cet arrêt.

Première d'entre elles, celle qui vise Majdi Nema. Cet ancien officier de l'armée syrienne qui a fait défection en 2012 pour rejoindre JAI, un mouvement islamiste d'obédience salafiste, est notamment soupçonné d'avoir participé à l'enlèvement, avec son groupe, de l'avocate et journaliste syrienne Razan Zeitouneh et de trois autres militants syriens le 9 décembre 2013. Ils n'ont plus donné signe de vie depuis.

Mme Zeitouneh, Prix Sakharov pour son implication dans le soulèvement contre Bachar al-Assad, critiquait les violations des droits humains par toutes les parties au conflit, dont JAI.

Plusieurs personnes ont témoigné contre lui devant les juges d'instruction français, certaines affirmant qu'il avait aussi pratiqué des tortures ou encore recruté des enfants soldats.

Lui affirme avoir quitté la Ghouta orientale pour Istanbul en mai 2013, sept mois avant les enlèvements qu'on lui reproche. Il y a repris ses études tout en poursuivant son activité de porte-parole, dont il a démissionné en 2016 avant de quitter le groupe rebelle en 2017.

Dans leur requête, ses avocats font valoir que leur client ne pouvait être poursuivi en France pour "complicité de disparition forcée" car la compétence universelle dans ce cas "n'est applicable que si ce crime est le fait d'agents étatiques ou de personnes agissant avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'Etat".

Or, JAI n'est pas un groupe étatique, ont-ils rappelé.

Par ailleurs, selon eux, la justice française ne peut le poursuivre car la France n'est pas le lieu de résidence habituelle de leur client, celui-ci s'y trouvant seulement pour un séjour d'études de quelques mois. Il a d'ailleurs été arrêté quelques jours avant de quitter le pays.

"Nous attendons sereinement l'audience, et espérons que la cour d'appel s'alignera sur la décision rendue par la Cour de cassation dans l'arrêt Chaban", ont déclaré à l'AFP Me Ruiz et Me Kempf.

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