L'armée ukrainienne fait face mardi à une nouvelle offensive des forces russes sur Kiev, Kharkiv, le port de Marioupol et d'autres villes du pays, au lendemain de pourparlers infructueux sur fond de sanctions occidentales croissantes contre la Russie.
Au sixième jour de l'invasion russe de l'Ukraine, la place centrale de Kharkiv, deuxième ville du pays avec 1,4 million d'habitants, proche de la frontière russe, a été bombardée et la préfecture régionale touchée, a indiqué le gouverneur régional Oleg Sinegoubov, dans une vidéo sur Telegram montrant l'explosion.
Au moins 20 personnes ont été blessées, selon les services d'urgence de la ville.
Des combats ont également eu lieu lundi à Okhtyrka, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Kharkiv, qui auraient tué "environ 70 combattants ukrainiens" mais aussi de nombreux Russes, selon les autorités locales. Interrogée, l'armée ukrainienne n'a pas confirmé ce bilan.
Les forces russes "se sont regroupées, accumulant véhicules blindées, missiles et artillerie pour encercler et capturer Kiev, Kharkiv, Odessa, Kherson et Marioupol", a affirmé la présidence ukrainienne.
Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a semblé confirmer l'intensification de l'offensive, soulignant que "l'opération militaire spéciale" - expression utilisée par Moscou pour désigner l'invasion - continuerait "jusqu'à ce que les objectifs fixés soient atteints".
Dans un nouveau message vidéo, le président Volodymyr Zelensky a dénoncé "un crime de guerre" à Kharkiv, et souligné que la défense de Kiev était "la priorité".
Des photos satellites diffusées dans la nuit par la société américaine d'imagerie satellitaire Maxar montraient un convoi russe s'étirant sur des dizaines de kilomètres et se dirigeant vers la capitale ukrainienne depuis le nord-ouest.
Témoin de l'avancée russe, les manoeuvres de l'armée ukrainienne, files de camions et tanks, se resserraient à l'ouest et au nord de la capitale, a constaté l'AFP.
"Les tirs et les bombardements nous ont réveillés toute la nuit", a dit dans le village de Chaïka, à l'ouest de Kiev, Natacha, 51 ans, qui a ouvert une cantine dans l'église pour nourrir soldats et volontaires.
L'état-major ukrainien a aussi cité un assaut selon lui repoussé près de Chernihiv, au nord-est de Kiev, autre zone depuis laquelle les Russes avanceraient sur la capitale.
Au centre de Kiev, où la neige tombée dans la nuit, les magasins de première nécessité encore ouverts ne désemplissaient pas. Les habitants qui n'ont pas fui ont érigé ces derniers jours des barricades et creusé des tranchées.
L'offensive russe s'intensifiait aussi dans le sud du pays. L'électricité était coupée mardi matin dans le grand port de Marioupol après une attaque russe, selon le gouverneur de la région de Donetsk dont elle fait partie.
Denis Pouchiline, chef des séparatistes prorusses qui tiennent partiellement cette région depuis 2014, a déclaré que l'objectif était d'encercler dans la journée cette ville stratégique.
La prise de Marioupol permettrait la jonction entre les forces russes qui avancent le long de la côte de la mer d'Azov depuis la péninsule de Crimée, annexée par Moscou 2014, et celles venues de l'est depuis les territoires séparatistes.
L'armée russe a aussi installé des barrages routiers aux entrées de la ville côtière de Kherson (290.000 habitants), plus à l'ouest, selon son maire, Igor Kolikhaïev. Des vidéos d'habitants publiés sur les réseaux sociaux montrent des soldats russes dans la localité.
- "Détruire économiquement" la Russie
Face à cette évolution, le président Volodymyr Zelensky, qui devait s'adresser vers 11H30 GMT en visioconférence au Parlement européen, a appelé mardi matin la communauté internationale à travailler à "une fermeture totale à la Russie de "tous les ports" et "aéroports du monde".
Il a appelé à "détruire économiquement" la Russie, alors que la quasi-totalité des liaisons aériennes entre la Russie et l'Europe sont déjà suspendues.
Les Occidentaux semblent prêts à adopter cet objectif. Ils ont annoncé lundi soir, après un nouvel échange entre le président américain Joe Biden et ses alliés français, américain, britannique, canadien, allemand, italien, japonais, polonais et roumain, qu'ils entendaient durcir plus encore les sanctions d'une ampleur déjà historique adoptées contre la Russie.
Des sanctions auxquelles se sont ralliées des centres bancaires très prisés des grandes fortunes russes, comme la Suisse, pourtant attachée à sa neutralité, ou Monaco.
"Nous allons provoquer l'effondrement de l'économie russe", a déclaré mardi le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire, dont le pays assure la présidence de l'Union européenne.
"Vladimir Poutine a sous-estimé l'unité et la détermination de l'Occident et du reste du monde", a aussi affirmé le Premier ministre britannique Boris Johnson.
La quasi-totalité des liaisons aériennes entre la Russie et l'Europe sont déjà suspendues. Le géant du transport maritime Maersk a annoncé mardi qu'il suspendait sa desserte des ports russes, hors produits alimentaires, médicaux et humanitaires.
La communauté internationale multiplie les mesures de représailles envers la Russie, essayant de la priver de financements internationaux et bloquant les avoirs de Vladimir Poutine et tous ses proches.
La Russie est désormais exclue d'une multitude d'évènements culturels et sportifs, y compris du Mondial de football 2022 au Qatar.
Mais malgré une pression occidentale inédite, et des manifestations contre la guerre et des témoignages de solidarité pour l'Ukraine dans de nombreux pays, Vladimir Poutine maintient ses exigences.
Lors d'un échange lundi avec le président français Emmanuel Macron, il a posé comme conditions la reconnaissance de la Crimée en tant que territoire russe, la démilitarisation et "dénazification" de l'Ukraine, au moment où se tenaient de premiers pourparlers russo-ukrainiens. Des conditions réitérées par son ministre de la défense mardi.
Les délégations russe et ukrainienne se sont séparées quelques heures après pour des "consultations dans leurs capitales" respectives, sans faire de déclarations, sinon qu'elles pourraient se retrouver "bientôt".
M. Zelensky a souligné mardi que "la synchronisation des tirs avec le processus de négociations était évidente".
Le Kremlin a jugé prématuré de "donner une appréciation" de ces premières négociations.
- Un million de déplacés -
Le conflit a jeté sur les routes des flots d'Ukrainiens, dont plus de 660.000 ont fui vers les pays voisins depuis jeudi, a indiqué mardi le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés.
Et de longues files de voiture continuaient à se diriger vers la frontière polonaise, depuis la grande ville de l'ouest de l'Ukraine, Lviv. L'UE s'attend à plus de sept millions de personnes déplacées.
L'ONU estime à un million de personnes le nombre de personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine, a annoncé mardi une responsable du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR).
"Il est important de rappeler que la plupart des gens affectés se trouvent en Ukraine", a souligné Karolina Lindholm Billing, la responsable du HCR pour l'Ukraine.
L'ampleur des pertes humaines reste incertain. L'ONU a parlé lundi de 102 civils tués et de 304 blessés mais les chiffres réels sont "considérablement" plus élevés.
L'Ukraine a fait état lundi de 352 civils tués et 2.040 blessés depuis jeudi et affirmé que des milliers de soldats russes avaient péri.
Les forces russes n'ont jusqu'ici fourni aucun bilan pour ce qu'ils qualifient d'"opération militaire spéciale", mais ont reconnu des pertes en nombre non précisé.
burs-cat/alf/lpt
A.P. MOELLER-MAERSK