26.02.08 - TCHAD/SENEGAL - LE PROCES HABRE SERA UN PROCES SENEGALAIS (CATHALA)

La Haye 26 fevrier 2008 (FH) - Le procès d'Hissène Habré à Dakar sera "un procès sénégalais, avec des juges sénégalais, dans une cour sénégalaise », a déclaré dans une interview à l'agence Hirondelle Bruno Cathala, greffier de la Cour Pénale internationale quelques jours après qu'une mission d'experts mandatée par l'Union européenne a rendu son rapport après une visite à Dakar.

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Cette mission qu'il dirigeait était mandatée par Bruxelles à la demande du Sénégal pour évaluer le soutien de l’Union européenne dans le procès de l’ancien président du Tchad. Elle s'est rendue au Sénégal en janvier.

"Il ne s’agit pas d’un procès international" a affirmé le magistrat francais. Selon lui, aujourd’hui, « il y a une procédure, des juges compétents. Il y a tout, mais il manque un dossier ». Selon plusieurs sources, le rapport ne donne aucunes données chiffrées sur le budget nécessaire à la tenue d’un tel procès, mais recommande la mise en place d’un échéancier. Le Sénégal avait été mandaté par l’Union Africaine (UA) en juillet 2006, mais pour l’heure, à l’exception de l’adoption d’une loi d’adaptation, le dossier est toujours au point mort.

Réfugié au Sénégal après avoir été renversé en 1990 par Idriss Deby qui s'est emparé du pouvoir à Ndjamena par les armes, Hissène Habré avait fait l’objet d’une première plainte, déposée par sept victimes et une association (l’association des victimes des crimes et de la répression au Tchad), devant la justice sénégalaise, en janvier 2000. Le juge l’avait alors inculpé de complicité de Torture et ouvert une information judiciaire contre X pour crimes contre l’humanité. Mais la Cour d’appel de Dakar, puis la Cour de cassation, avaient annulé la décision du juge estimant que les juridictions sénégalaises n’étaient pas compétentes.

Les victimes s’étaient alors tournées vers la justice belge. En novembre 2005, un juge d’instruction belge émettait un mandat d’arrêt international, toujours en vigueur. Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, s’était alors tourné vers l’Union africaine. Le 2 juillet 2006, l’assemblée demandait au Sénégal de poursuivre Hissène Habré « au nom de l’Afrique ». « Une des grandes victoires d’étape », estime Reed Brody, de Human Rights Watch, « c’est le fait qu’une assemblée de chefs d’états, parmi lesquels siégeaient Robert Mugabe [président du Zimbabwe], Muammar Kadhafi [chef d’état libyen], et d’autres, donnent mandat, tout en sachant que cela crée un précédent qui pourrait un jour se retourner contre eux ».

Mais depuis juillet 2006, la procédure traîne en longueur. A plusieurs reprises, la Belgique a menacé le Sénégal de porter l’affaire devant la Cour internationale de Justice (CIJ), chargée de régler les différends entre Etats. A ce jour, personne à Dakar n’a demandé la transmission du dossier belge établi contre Hissène Habré. Le juge d’instruction n’a toujours pas été désigné. « Dix-sept ans ont passé, depuis les faits et il y a huit ans qu’il est inculpé. Les Sénégalais ne peuvent plus faire marche arrière, et si le temps ne comptait pas, cela irait » estime Reed Brody. Depuis le début de l’affaire, deux victimes seraient décédées.

De son coté, Hissène Habré bénéficierait de puissants soutiens au Sénégal. Dans un entretien à Sud Quotidien, un journal de Dakar, l’un de ses avocats, maître Aly Fall, estime que « l’affaire Habré est une affaire politique. Et sur ce terrain là, c’est la loi du plus fort qui s’impose ». Pour lui, « les gens doivent mesurer pleinement la portée des actes qu’ils posent surtout dans une affaire où les intérêts politico-financiers importants sont en jeu. Le Sénégal n’a rien à gagner. Il a tout à perdre à prêter le flanc à des règlements de comptes politiques ».

Pour Bruno Cathala, « une chose est sûre, s’il y a un pays africain qui peut tenir le procès de monsieur Habré, c’est bien le Sénégal ». Selon un observateur, « le Sénégal a tout intérêt à conduire un tel procès, notamment à l’heure ou l’on parle de la mise en place de la Cour africaine des droits de l’homme ». Premier état à avoir ratifié le traité de Rome, prévalant à la mise en place de la Cour pénale internationale, Dakar a en effet une longueur d’avance.

SM/PB/GF
© Agence Hirondelle