25.04.08 - TPIR/MEDIAS - NAHIMANA DEMANDE A LA CHAMBRE D'APPEL DE CORRIGER SON ERREUR

La Haye, 25 avril 2008 (FH) - La Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) examine en ce moment une demande de réexamen de l'arrêt définitif qu'elle a prononcé en novembre 2007 dans l'affaire «médias».

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Ferdinand Nahimana a été condamné à 30 ans de prison pour avoir, en tant que supérieur hiérarchique, incité directement et publiquement à la commission du génocide et pour persécutions au titre de crime contre l'Humanité par le biais d'émissions de la radio RTLM.

Sa demande en réexamen n'est pas une demande en révision telle que prévue par l'article 25 du Statut qui permet à une Chambre du Tribunal, « s'il est découvert un fait nouveau qui n'était pas connu au moment du procès en première instance ou en appel et qui aurait pu être un élément décisif de la décision », de réviser la sentence qu'elle a prononcée.

Mais il considère que la Chambre d'appel a commis une erreur de fait en affirmant qu'il n'avait pas émis d'objection à l'encontre de l'admission, au titre d'éléments de preuve, du témoignage de Madame Alison Des Forges.

Celle-ci, historienne et consultante de l'ONG Human Right Watch (HRW), avait été appelée à témoigner en première instance en tant que témoin expert pour l'accusation. Ce qu'elle a fait à de nombreuses reprises devant le TPIR. Mais ce témoignage a soulevé différents types de problèmes a expliqué Me Jean-Marie Biju-Duval, l'avocat de Ferdinand Nahimana à l'agence Hirondelle.

Tout d'abord il se basait sur un ouï-dire au 2ème degré. En effet, l'expert rapportait les propos d'un diplomate français Jean-Christophe Belliard qui lui avait raconté qu'il avait entendu une communication téléphonique entre son supérieur, l'ambassadeur de France Yannick Gérard et Ferdinand Nahimana.

Le second problème était, comme le rappelle la Chambre d'appel elle-même dans son arrêt contre le requérant, qu'un témoin expert comme Madame Des forges « assiste la Chambre de première instance dans l'appréciation des preuves devant la cour et ne témoigne pas sur les faits en cause comme pourrait le faire un témoin ordinaire (assist the Trial Chamber in the appreciation of evidence before the court and not testify upon the facts in issue as would an ordinary witness) ».

Malgré cela, sans que le diplomate francais soit entendu, tant la Chambre de première instance que la Chambre d'appel ont accepté ce témoignage comme élément de preuve à charge de Ferdinand Nahimana.

Les Juges d'appel expliquent dans leur arrêt que c'est parce que la défense n'a pas émis d'objection qu'ils ont décidé de le faire. Ils avaient alors considéré que la défense avait « renoncé à son droit de faire une objection quant à l'admissibilité de ce point de sa preuve (renounced his right to make an objection as to the admissibility of this aspect of her evidence) ».

C'est exactement ce que conteste Maître Biju-Duval dans la requête déposée au nom de son client. Il veut démontrer, en s'appuyant sur des passages de transcripts du procès de première instance, sur une requête du 10 mai 2002 et sur le mémoire d'appel, que la défense « s'est opposée avec véhémence et à différentes occasions (objected vociferously and on several occasions) » contre l'admission de ces déclarations, peut on lire dans la requête.

Le témoignage d'Alison Des Forges a été plus que déterminant dans l'établissement de la responsabilité de Nahimana, il est « la pierre d'angle » de la condamnation de Nahimana selon son avocat. « Si la Chambre d'appel examine au fond ces éléments elle constatera qu'ils n'ont pas de valeur, et s'ils venaient à tomber alors la conséquence sera l'acquittement » dit-il.

Il n'existe pas de bases légales propres à l'appui de la demande formulée par Ferdinand Nahimana. « Mais la possibilité de réexaminer une décision définitive indépendamment du pouvoir de révision existe, cela a déjà été jugé » explique Maître Biju-Duval.

Quelques requêtes de réexamen d'une décision définitive ont déjà été déposées devant les deux Tribunaux ad hoc forgeant peu à peu la jurisprudence. Elle est aujourd'hui claire et plaide pour le « pouvoir inhérent [du Tribunal international] de reconsidérer toute décision y compris un jugement quand il est nécessaire de le faire pour prévenir une injustice (reconsider any decision including a judgment where it is necessary to do so in order to prevent an injustice) ».

Le Juge Shahabudeen a estimé, à l'occasion de différentes opinions dissidentes, qu'il existait en effet des cas exceptionnels, comme le risque de déni de justice (miscarriage of justice), qui, même s'ils ne rencontrent pas les critères de l'article 25 du Statut, peuvent être révisés. « Ce pouvoir peut seulement être le pouvoir inhérent de la Chambre d'appel (That power can only be the inherent jurisdiction of the Appeals Chamber) » (decision du 30.06.06 dans l'affaire Eliezer Nyitegeka).

"Cette notion de pouvoir inhérent est très large, elle n'est pas mentionnée telle qu'elle dans le Statut mais découle, selon la jurisprudence des Tribunaux ad hoc, de l'exercice même de leur compétence judiciaire. Il est le pouvoir « de veiller à ce que l'exercice de la compétence qui lui est expressément conférée par le Statut ne soit pas entravé et à ce qu'il puisse remplir ses fonctions judiciaires fondamentales » (Mucic, arrêt relatif à la sentence, TPIY, 8.04.03).

Dans l'arrêt Mucic devant le TPIY, la Chambre d'appel permet le réexamen d'un arrêt antérieur entaché d'une « une erreur manifeste de raisonnement » ou s'il a « été rendu per incuriam » (c'est-à-dire sans référence à une base légale ou un jugement antérieur pertinent). Elle le permet également dans le cas où l'arrêt « a donné lieu à une injustice .

La Chambre d'appel explique qu'il s'agit ici de pallier l'inexistence d'une voie de recours pour remédier à une injustice découlant d'un arrêt.

« La recevabilité de la requête paraît incontestable » estime l'avocat de Ferdinand Nahimana. Aucune requête de ce genre n'a encore abouti tant devant le TPIR que le TPIY. Mais Me Biju-Duval est optimiste : « je fais confiance aux juges » d'autant qu'ils « ont déjà démontré leur clairvoyance et leur lucidité en supprimant la majorité des chefs d'accusation à l'encontre de Nahimana » dit il.

AV/PB/GF

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