Condamné en septembre 2006 à 25 ans d'emprisonnement pour génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide et crimes contre l'Humanité, Muvunyi a été acquitté de tous les chefs d'accusation, sauf celui concernant l'incitation à commettre le génocide. La Chambre d'appel a ordonné à la Chambre de première instance de rejuger ce chef d'accusation car elle considère qu'elle n'a pas suffisamment motivé sa décision.
Les juges n'ayant pas précisé la composition de la chambre, comme cela s'était fait dans d'autres affaires traitées par les Tribunaux ad hoc, l'affaire devrait être renvoyée devant les mêmes juges. Ce qui peut paraitre surprenant car ils ont déjà traité l'affaire, qui est donc nourrie de préjugés. Il sera difficile en outre de recomposer la chambre, car l'une des juges, l'italienne Flavia Lattanzi est depuis 2007 juge au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).
La Chambre d'appel a soulevé notamment la non-adéquation des preuves présentées au procès et de l'acte d'accusation, et a purement et simplement annulé la quasi-totalité des chefs d'accusation pour lesquels Tharcisse Muvunyi a été déclaré coupable.
Une autre, plus grave selon les juges d'appel qui décident de ne pas la réparer eux-mêmes, est le manque de motivation de la part des juges du premier degré de leur refus de prendre en considération la déclaration d'un témoin de la Défense. Ne donnant foi qu'aux deux témoins de l'accusation qui étaient venus dire que lors d'une réunion publique Muvunyi avait prononcé à Gikore un discours appelant au génocide, la première Chambre avait déclaré coupable Muvunyi d'incitation directe et publique à commettre le génocide.
L'obligation des juges de motiver leur verdict découle de l'article 22 du Statut qui la stipule expressément. Ne pouvant interpréter eux-mêmes les conséquences qui auraient découlé d'une motivation correcte, la Chambre d'appel décide de renvoyer pour que les premiers juges reconsidèrent leur travail. "L'infraction reprochée est de la plus grande gravité et l'intérêt de la justice ne serait pas correctement servi si un nouveau procès n'était pas ordonné» disent ils.
Face à cette erreur de droit, les juges auraient pu demander à leurs prédécesseurs de venir détailler devant eux les raisons qui les ont amenés à ne pas tenir compte du témoignage en défense. Mais cela contredirait le principe établi de motiver, par écrit, les jugements.
Ils auraient aussi pu leur demander de nouvelles conclusions factuelles. Mais cette solution créerait un lien de hiérarchie entre les premiers et les seconds inimaginable: les premiers y perdraient de leur autonomie et l'accusé perdrait le bénéfice d'un second degré de juridiction.
L'accusé a déja fait huit ans de détention préventive, on aurait donc pu imaginer que le TPIR en reste là. Mais les juges d'appel ont préféré un nouveau procès, qui va porter sur un discours dont l'accusation n'a aucun témoin direct, et encore moins une trace écrite ou enregistrée. On ignore encore si le Procureur pourra modifier son acte d'accusation. L'accusé aura t-il droit à un nouveau plaidoyer ? Les parties ont-elles le droit d'appeler davantage de témoins que pour le premier procès ? Mais pour autant que cela soit possible, il n'est pas certain que toutes les étapes du procès soient nécessaires.
La situation est, en tout cas, inhabituelle. Tandis que normalement c'est le Procureur qui définit la saisine de la Chambre de première instance, ici c'est la Chambre d'appel qui délimite les faits qui seront jugés. D'ailleurs, le Procureur a-t-il le droit de ne plus vouloir poursuivre l'accusé ?
En première instance en principe, tant le Procureur que les juges sont indépendants et autonomes dans la réalisation de leur travail. Mais ici, les juges sont soumis à deux obligations par la Chambre d'appel. Ils doivent motiver davantage leur décision quant au chef d'accusation d'incitation à commettre le génocide, ils ne pourront donc pas se contenter de répéter leur position prise dans le premier jugement. Et ils ne pourront pas imposer une condamnation supérieure à 25 ans d'emprisonnement.
Devant le TPIY, trois affaires ont déjà été renvoyées par la Chambre d'appel devant la Chambre de première instance et ces renvois ont été examinés par des Chambres recomposées. Dans les Affaires Mucic et consorts et Tadic, il était question de déléguer la question de la détermination de la peine. Dans l'affaire Erdemovic, la Chambre d'appel a ordonné le renvoi pour permettre à l'accusé de plaider à nouveau « en toute connaissance de la nature des accusations et des conséquences de son plaidoyer » (Chambre d'appel, 7 octobre 1997).
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