17.10.08 - TPIR/JURISPRUDENCE - LES JUGES DES TRIBUNAUX ADHOC PEUVENT CUMULER LES CRIMES SUR UN ACTE

La Haye, 17 Octobre 2008 (FH) - Les juges du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) comme ceux de l'ex-Yougoslavie (TPIY) condamnent parfois des accusés pour plusieurs crimes à raison d'un même acte quand les éléments requis pour prouver ces crimes sont distincts. Ces multiples condamnations constituent une exception au principe fondamental non bis in idem (on ne juge pas deux fois les mêmes faits).

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Dans le jugement de Siméon Nshamihigo, rendu le 24 septembre dernier, les juges du TPIR affirment qu' « il est permis de déclarer une personne coupable de génocide et de crime contre l'humanité à raison d'un même fait » car chacune de ces infractions comporte « un élément distinct qui requiert des preuves que ne postule pas l'autre ».

En principe, « le concours d'infractions pénales fait offense au principe de l'autorité de la chose jugée ou au principe fondamental non bis in idem du droit pénal » avaient pourtant rappellé les juges en 1998 pour Jean-Paul Akayesu. Et la jurisprudence des deux Tribunaux ad hoc est unanime : «seuls des crimes distincts peuvent justifier un cumul de déclarations de culpabilité » (TPIY, Arrêt Celebici 20.02.01).

Néanmoins, la jurisprudence successive établira qu'un tel cumul est possible, à raison d'un même fait et sur la base de différentes dispositions du Statut « si chacune des dispositions comporte un élément nettement distinct qui fait défaut dans l'autre » et plus précisément « s'il exige la preuve d'un fait que n'exigent pas les autres » (TPIY, Arrêt Celebici 20.02.01).

En 1998, la Chambre de première instance du TPIR dans le jugement Akayesu, a décidé que le cumul de déclarations de culpabilité n'est possible que « 1. lorsque les infractions comportent des éléments constitutifs différents ; 2. lorsque les dispositions créant les infractions protègent des intérêts distincts, ou ; 3. lorsqu'il est nécessaire d'obtenir une condamnation pour les deux infractions pour rendre pleinement compte du comportement de l'accusé ».

En 2000, la Chambre de première instance du TPIY va elle choisir d'utiliser le « critère Blockburger » défini par la Cour suprême des Etats-Unis en 1932. Selon ce principe, « lorsqu'un acte ou une opération viole deux dispositions légales distinctes, il faut, pour décider s'il y a deux infractions ou une seule, voir si chaque disposition n'exige pas la preuve d'un fait que l'autre ne requiert pas » pas (TPIY, Jugement Kupreskic, 14.01.00).

Elle réclame ensuite que « les diverses dispositions en cause protègent des valeurs différentes ». Mais ce critère ne sera retenu que si le premier est établi.

Dans l'affaire Celebici, la Chambre d'appel du TPIY en janvier 2001 ne retiendra plus que l'exigence d'un « élément nettement distinct qui fait défaut dans l'autre ». Elle précisera qu'à défaut, « la Chambre doit décider de quelle infraction elle déclarera l'accusé coupable » en se fondant sur la disposition la plus spécifique. (TPIY, Arrêt Celebici 20.02.01).

Les Juges Hunt et Bennouna de la Chambre d'appel du TPIY ont fait savoir, dans leur opinion dissidente à l'occasion de l'arrêt Celebici, qu'ils trouvaient le cumul des déclarations de culpabilité « inacceptable ».

Selon eux, « la jurisprudence des Chambres de première instance est loin d'être constante sur ce point » et « la plupart des décisions en la matière, à l'exception des jugements Kupreskic, Akayesu et Kayishema et Ruzindana, n'ont pas été motivées ».

Une telle décision n'est pas sans conséquences rappellent-ils. Il en dépend : « la stigmatisation sociale qui s'attache au fait d'être reconnu coupable d'un crime », L'impact sur la peine à purger (par exemple certaines législations tiennent compte du nombre de crimes commis pour décider d'une libération anticipée) et, enfin, « le cumul des déclarations de culpabilité expose la personne déclarée coupable à des peines plus lourdes et/ou à l'application des lois sur la récidive si elle est ultérieurement reconnue coupable par une autre juridiction ».

Ils considèrent enfin que le critère des « éléments distinctifs » ne devrait s'appliquer qu'aux éléments ayant un rapport avec le comportement et les intentions de l'accusé.

Mais le principe est acquis. Le 16 novembre 2001, la Chambre d'appel dans l'arrêt Musema comptabilisait déjà cinq affaires dans lesquelles des condamnations ont été cumulées sur la base des articles 2 (génocide) et 3 (crimes contre l'Humanité) du Statut du TPIR.

Le 28 novembre 2007, la Chambre d'appel du TPIR a confirmé les condamnations cumulatives de Hassan Ngeze, Jean-Bosco Barayagwiza et Fernand Nahimana pour entente en vue de commettre le génocide, de génocide, d'incitation directe et publique à commettre le génocide et de crimes contre l'humanité (persécution et extermination).

En plus d'être une exception au principe non bis in idem, le cumul des déclarations de culpabilité devrait avoir une influence sur la peine prononcée car « la peine finale infligée (...) doit rendre compte de la totalité des actes condamnables, ou plus généralement de la gravité de l'infraction et de la culpabilité de son auteur de sorte qu'elle soit à la fois juste et appropriée » (TPIY, Arrêt Celebici 20.02.01).

Mais la Chambre de première instance a le choix de prononcer une peine pour toutes les infractions ou plusieurs peines qui seront confondues, cumulées ou les deux. L'ancien article 101 C) du Règlement de procédure et de preuve du TPIR, modifié le 14 mars 2008, disposait en effet qu' « en cas de multiplicité des peines, la Chambre de première instance détermine si celles-ci doivent être purgées de façon consécutive ou si elles doivent être confondues ».

Tandis que les juges du TPIR lors du jugement Akayesu, ont considéré qu'« à l'évidence, la pratique des peines concurrentes garantit que l'Accusé n'est pas puni deux fois à raison des mêmes faits », on peut s'interroger sur l'évolution de la pratique du cumul des déclarations de culpabilité maintenant que cet alinéa est supprimé.

AV/PB/GF

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