Les Palestiniens face au choix incertain et risqué de la rupture

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En remettant en cause la reconnaissance d'Israël, les dirigeants palestiniens touchent à un principe fondateur de l'effort de paix, mais le scepticisme reste grand de les voir aller au bout d'une rupture à hauts risques.

Les analystes voient dans l'appel lancé lundi soir par l'un des principaux organes de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) une expression de l'exaspération des Palestiniens et le reflet de leur impuissance face aux choix de l'administration Trump.

Il s'agit d'un appel non-contraignant: en dernier ressort, c'est le président Mahmoud Abbas qui tranchera. 

Le Conseil central de l'OLP, internationalement reconnue comme la représentante de tous les Palestiniens, a demandé que la direction palestinienne suspende la reconnaissance d'Israël jusqu'à ce que ce dernier reconnaisse l'Etat de Palestine dans les frontières d'avant 1967, c'est-à-dire avant l'occupation des Territoires palestiniens et la prise de Jérusalem-Est.

Les quelque 90 membres du Conseil ont stipulé qu'Israël devrait aussi révoquer l'annexion de Jérusalem-Est et stopper la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Ils ont réclamé l'arrêt de l'ultra-sensible coordination avec Israël dans le domaine de la sécurité.

L'OLP n'est plus liée par les obligations des accords d'Oslo, ont-ils dit.

 

- Interdépendance -

Ces mesures se veulent la riposte à la décision annoncée le 6 décembre par le président Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël, mais aussi, plus généralement, aux positions adoptées par l'administration américaine dans le conflit israélo-palestinien ainsi qu'aux projets qui lui sont prêtés.

La décision unilatérale de M. Trump sur Jérusalem, rompant avec des décennies de diplomatie américaine et internationale, a parachevé pour les Palestiniens une année de parti pris outrancièrement pro-israélien.

L'OLP refuse désormais l'administration Trump pour médiatrice de la paix, a décidé le Conseil central.

Un discours courroucé du président Abbas avait donné le ton dimanche. "L'affaire du siècle s'est transformée en claque du siècle", avait-il tonné en référence à la volonté proclamée de M. Trump de présider à "l'accord (diplomatique) ultime" entre Israéliens et Palestiniens.

Il appartient à présent à l'exécutif de l'OLP d'appliquer ou non les dispositions du Conseil.

Les experts se montrent très circonspects quant aux chances que la direction resserrée constituée par le Comité exécutif et, au bout du compte, M. Abbas lui-même assument les conclusions du Conseil central. Ils invoquent les répercussions concrètes potentiellement considérables, y compris pour la direction palestinienne elle-même.

"Si nous arrêtons de les reconnaître, nous arrêtons de traiter avec eux dans tous les domaines, sécuritaires et civils", observe l'analyste palestinien Ghassan Khatib. "Pratiquement, ce n'est pas possible, vu l'étendue de l'interaction et de l'interdépendance", dit-il à l'AFP.

L'historique reconnaissance d'Israël par l'OLP en 1988 a préludé en 1993 aux accords d'Oslo censés conduire à une paix qui se fait toujours attendre presque 25 ans après.

Ces accords généralement considérés comme préfigurant la création d'un Etat palestinien sont restés une des références de l'entreprise de paix. Ils déterminent aussi très largement les réalités actuelles des Territoires. L'Autorité palestinienne, embryon d'Etat mis en place par Oslo, fait vivre des centaines de milliers de Palestiniens.

 

- Silence israélien -

La coopération sécuritaire est l'une des pierres angulaires d'Oslo. Son arrêt est un serpent de mer palestinien. Les experts soulignent le dangereux vide sécuritaire qu'il laisserait.

Le Conseil central de l'OLP s'était déjà prononcé en 2015 pour une telle mesure. Elle n'a jamais été suivie d'effet.

Zalman Shoval, ancien négociateur israélien avec les Palestiniens, relève que l'Autorité et M. Abbas lui-même tirent d'Oslo ce qui leur reste de légitimité. "Si vous ne nous reconnaissez plus, c'est mutuel, vous n'êtes plus reconnus comme la direction palestinienne, et il faut trouver quelqu'un d'autre", dit-il.

Quant à ne plus accepter la médiation américaine, Ghassan Khatib estime qu'elle est la décision la plus susceptible d'être mise en oeuvre, au moins temporairement. "Aucun autre pays ne remplacera les Etats-Unis. Le résultat concret, c'est qu'il n'y aura aucun processus (diplomatique) dans un avenir prévisible", dit-il.

Les analystes palestiniens s'accordent à voir dans la déclaration du Conseil central le constat d'un nécessaire changement, tant la perspective d'indépendance palestinienne s'éloigne.

Mais "tout cela fait beaucoup de paroles, et peu d'actes", déplore Diana Buttu, ancienne collaboratrice et aujourd'hui vigoureuse critique de M. Abbas.

M. Abbas a 82 ans et une grande partie de la direction palestinienne appartient à la même génération.

"On ne mène pas un mouvement révolutionnaire avec des gens ayant atteint l'âge de la retraite", dit-elle.

Les officiels israéliens étaient, eux, restés silencieux en milieu de journée mardi.