CPI/Afrique: «Plutôt que se retirer, il faut exiger que les poursuites ne soient pas bloquées ailleurs »

CPI/Afrique: «Plutôt que se retirer, il faut exiger que les poursuites ne soient pas bloquées ailleurs »©Photo CPI
La Procureure de la CPI Fatou Bensouda à l'ouverture du procès Gbagbo le 20 janvier 2016
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Spécialiste du droit pénal international, le Camerounais Hugo Moudiki Jombwe est actuellement chef de mission au Rwanda de l’ONG belge RCN (Réseau des Citoyens/Citizens Network) Justice et Démocratie. Dans une interview avec JusticeInfo, il déplore le retrait de certains Etats africains de la Cour pénale internationale (CPI). Pour lui, l’Afrique doit plutôt se battre pour que la CPI soit libre de mener ses enquêtes partout où sont perpétrés des crimes relevant de sa compétence, sans que l’une ou l’autre puissance puisse y opposer son véto.

 

 

Hugo Moudiki Jombwe

Justiceinfo : Quand la CPI poursuit les vaincus ou les opposants, les chefs d'Etat africains ne disent rien. Mais lorsqu'elle commence à s'intéresser aux présidents en exercice, c'est une levée des boucliers. Ne croyez- vous que les chefs d'Etat africains veulent eux aussi instrumentaliser la Cour ?

Hugo Jombwe : Au lendemain de l’adoption du traité de Rome portant statut de la CPI, le Etats africains ont massivement adhéré à ce statut. Aujourd’hui, on peut se demander si certains chefs d’Etats, au moins, n’adhéraient pas à ce statut en pensant que la CPI serait une arme contre leurs opposants politiques. On a même vu que certains chefs d’Etat ont eux-mêmes saisi cette cour, logiquement quand ça permettait que celle-ci agisse contre ces opposants. Mais vous savez que l’histoire a des retournements. L’un des chefs d’Etats qui a saisi la CPI, au moment où son pays n’avait même pas encore adhéré, s’est retrouvé lui-même devant celle-ci. C’est Laurent Gbagbo. Oui, on peut penser qu’il y avait des arrière-pensées politiques, que certains voulaient utiliser la cour comme une arme politique.

JusticeInfo: L’Afrique dispose-t-elle en l’état d’une alternative à la CPI ?

H.J : L’Union africaine a décidé de fusionner la Cour africaine de justice et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, avec compétences pénales notamment pour les crimes internationaux. Mais cela n’est pas encore entré en vigueur […] Mais,  même si elle avait ces compétences, je ne la vois pas comme une alternative à la CPI mais une institution complémentaire, l’objectif principal étant de pouvoir juger les crimes là où ils ont été commis […] Le problème reste qu’elle prévoit une clause d’immunité des chefs d’Etat et d’autres mécanismes d’entrée en vigueur qui la rendent inefficace.

JusticeInfo : L'Afrique a-t-elle les moyens financiers de faire tourner une Cour pénale continentale alors que même les juridictions nationales manquent de budgets?

HJ : La question de moyens est une question très importante. Quand bien -même il y aurait des outils juridiques aux institutions nationales et régionales, le problème de moyens matériels et financiers reste fondamental. Si les Etats mettent les moyens à la disposition des justices nationales, si celles-ci fonctionnent correctement en matière de crimes internationaux, si chaque pays met les moyens pour les enquêtes, pour les procès, il n’y aura pas besoin d’aller devant une Cour régionale, ni devant la CPI. Donc, si les Africains donnent à leurs juridictions des moyens de poursuites, la CPI n’aura pas tellement à s’en mêler.

JusticeInfo : Mais certains Etats n’arrivent même pas à verser leur contribution au budget de l’UA ?

H.J : Si la Cour africaine envisagée n’est pas dotée de moyens suffisants, elle sera inefficace. Déjà, il y a des pays qui ont des difficultés à contribuer au budget de l’UA. Or, en toute logique, s’il y a une cour africaine, il faut qu’elle soit financée par les Etats africains.

JusticeInfo.net : Pourquoi, d'après vous, certains leaders africains font des relations avec la CPI une affaire continentale alors que seulement une trentaine sont parties au Statut de Rome ?

H.J : Trente-quatre sur cinquante-quatre Etats, ce n’est pas négligeable. On peut même dire que les Etats africains ont adhéré massivement. Le poids des Etats africains par rapport au nombre de ratifications est un poids réel, sauf que ce n’est pas en se retirant qu’on va empêcher les poursuites. Car, même en cas de retrait, les poursuites peuvent être engagées devant la CPI sur décision du Conseil de sécurité des Nations Unies, comme dans le cas du président soudanais. Sauf, si on se retire de toutes les institutions mondiales

JusticeInfo.net : Quel serait, d'après vous, le sort de la CPI si tous les Etats parties africains claquaient la porte ?

H.J : Il faut d’abord préciser que ce ne sont pas tous les pays qui ont l’intention de se retirer de la CPI, étant donné que plusieurs ont fait savoir qu’ils soutenaient l’institution. C’est le cas du Botswana, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Benin… Mais toujours est-il que même le retrait de certains pays peut avoir une incidence effective sur l’image de la Cour, c’est une forme de contestation. […] Cela pourrait jouer sur l’image de la Cour, mais très peu sur le fond parce qu’il y aura toujours poursuite de ceux qui sont suspectés de crimes internationaux. Sauf que le procureur ne pourra peut - être pas le faire directement sans passer par le Conseil de sécurité. Ici, il faut bien-sûr déplorer que certains membres du Conseil de sécurité aient assez de poids pour ralentir ou bloquer des  demandes de poursuites, comme pour la Syrie.

JusticeInfo : Comment améliorer les relations entre la CPI et le continent africain ?

H.J : D’abord par le dialogue. Il faut d’abord utiliser cet outil qui permettrait aux uns d’exprimer leurs récriminations vis-à-vis de la Cour et, avec les autres Etats-parties, de se mettre d’accord sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Ainsi quand certains disent « nous ne voulons pas que les chefs d’Etat en exercice soient poursuivis », ils veulent changer une règle essentielle, selon laquelle il n’y a pas d’exonération de responsabilité ni d’immunité devant les tribunaux pénaux internationaux. .

L’autre problème, c’est le veto. Soit, on convient à l’Assemblée des Etats parties et aux Nations unies qu’en ce qui concerne les crimes internationaux, il n’est pas possible  utiliser le veto, soit on laisse les mains libres au procureur pour avancer sans le Conseil de sécurité, et faire en sorte que les poursuites soient engagées partout où des crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis. Sinon, les Africains auront toujours l’impression d’être les seuls à être poursuivis. Donc, plutôt que de se retirer, il faut exiger que les poursuites ne soient pas bloquées ailleurs.