Affaire Munyeshyaka : Kigali demande aux juges d’instruction de passer outre le non-lieu

Affaire Munyeshyaka : Kigali demande aux juges d’instruction de passer outre le non-lieu©Hewsan Pang/Flickr
L'Eglise paroissiale Sainte Famille à Kigali
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« Une parodie de justice, un déni de justice caractérisé, une attitude choquante, une justice française négationniste,… ».  La Commission nationale rwandaise de lutte contre le génocide (CNLG) crache son ire contre le non-lieu requis en France pour l’Abbé Wenceslas Munyeshyaka.

Après vingt ans d'enquête, le parquet français a annoncé la semaine dernière avoir requis un non-lieu pour l’ancien vicaire à la paroisse de la Sainte Famille, à Kigali, dont le dossier avait été confié à la France par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

Agé de 57 ans, l'Abbé Wenceslas Munyeshyaka a été accueilli en France peu après le génocide des Tutsis de 1994 et officie aujourd'hui dans une paroisse du nord-ouest du pays.

Poursuivi en France pour génocide dès 1995 et condamné par contumace au Rwanda en 2006, l'homme d'église avait été également poursuivi par le TPIR. Fin 2007, le Tribunal international a transféré son dossier à la justice française.

Le parquet de Paris justifie le non-lieu essentiellement par une insuffisance de charges précises.

« Cette conclusion est non seulement scandaleuse au regard des faits et des preuves de l'implication de l'Abbé Munyeshyaka dans le génocide, elle est surtout contraire aux principes fondamentaux du droit et de la justice », affirme Jean-Damascène Bizimana, secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide, dans un communiqué publié sur le site internet de l’institution.

Se basant sur l’acte d’accusation émis contre le prêtre par le TPIR et sur de nombreux témoignages, le secrétaire exécutif de la CNLG affirme que « les faits imputables à Munyeshyaka sont d’une gravité exceptionnelle » : le fait de planifier, préparer ou exécuter en personne des massacres de Tutsis à l’église paroissiale et dans ses dépendances, le fait d’encourager les miliciens Interahamwe à commettre des viols ou de violer lui-même,…

Des accusations que le prêtre catholique a toujours niées en bloc, affirmant qu’il était plutôt menacé par des extrémistes hutus parce qu’il protégeait des Tutsis. « Il a fait tout ce qu'il a pu pour accueillir 18.000 personnes à la Sainte-Famille durant cette période épouvantable et il a plus ou moins bien, mais plutôt bien que mal, géré les ravitaillements, les protections et les évacuations », a déclaré la semaine dernière à l'AFP, son avocat Jean-Yves Dupeux. Des explications qui sont loin de convaincre la CNLG.

« De multiples signes avant- coureurs montraient depuis près de vingt ans que la France ne voulait pas juger Wenceslas Munyeshyaka pour les crimes qu'il a commis au Rwanda », affirme Jean-Damascène Bizimana, qui rappelle que dans un jugement rendu le 8 juin 2004, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné Paris pour non-respect des critères d’un procès équitable, notamment le non-respect du délai raisonnable.

 

 « Nous attendons avec grand intérêt la réaction du TPIR »

 

 « Sur insistance de la France, on ne sait pour quelle raison légitime, le 20 novembre 2007, le TPIR s'est dessaisi au profit de la justice française des poursuites contre Munyeshyaka », poursuit le responsable rwandais.

Il souligne que « d'innombrables commissions rogatoires ont été menées au Rwanda afin de procéder à l'audition de près de soixante-dix témoins et recueillir des preuves étayant l'accusation ».

« C'est incompréhensible que le Parquet de Paris les juge infondées alors que le Tribunal pénal international pour le Rwanda les avait considérées comme graves et justifiant la mise en accusation de Wenceslas Munyeshyaka », s’insurge la CNLG.

Même sentiment d’indignation de la part du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association à l’origine de poursuites contre des présumés génocidaires vivant en France. « « Il semble bien que tous les témoignages recueillis par le TPIR avant que ce dernier ne confie le dossier à la justice française en 2007 n’aient pas été pris en compte, ou aient été minimisés au bénéfice du prêtre de la Sainte Famille », écrit le CPCR, dans un communiqué.

« Nous attendons avec grand intérêt la réaction du TPIR qui ne saurait tarder. Sans présager de ce que sera la prise de position du Tribunal Pénal International, on peut penser qu’elle ira dans le sens de celle des parties civiles », poursuit cette association française qui avait déjà fait part de sa « stupéfaction » dans un précédent communiqué.

Contacté depuis la semaine dernière par JusticeInfo.Net, le bureau du procureur au TPIR n’a toujours pas réagi.

« Pourquoi le TPIR aurait-il demandé à la justice française de juger Munyeshyaka s’il n’avait pas eu la conviction que de lourdes charges pesaient sur ce dernier? A Arusha (en Tanzanie, siège du TPIR), on doit regretter amèrement d’avoir fait confiance à la justice française », ajoute le CPCR.

La Commission nationale rwandaise « constate » que « la France est devenue depuis 1994 une terre d'asile de cerveaux du génocide ». En conclusion, elle demande aux juges d'instruction  de passer outre la réquisition du procureur, « en exigeant la tenue d'un procès » dans l’affaire Munyeshyaka.