L’année dernière, plusieurs véhicules militaires de type SUV ont été incendiés à Kropyvnytskyi, dans le centre de l’Ukraine. Des stations électriques et même un hélicoptère de l’académie de pilotage locale ont également été incendiés. Selon les enquêteurs ukrainiens, les incendiaires étaient quatre adolescents de la localité, dont un qui « montait la garde », recrutés par les services de renseignement russes (FSB). Le guetteur a été condamné, tandis que les trois autres sont en passe d’être jugés.
Une procédure par contumace a également été ouverte devant le même tribunal de district de Kropyvnytskyi, contre les agents du FSB. Selon le dossier, les agents russes du FSB Yevhen Kozhemiakin et Oleksandr Suslyakov ont utilisé Telegram pour recruter les jeunes Ukrainiens et leur confier la tâche d’incendier des véhicules militaires ainsi que des infrastructures publiques.
Influencer l’opinion publique
Parmi les personnes recrutées figuraient quatre habitants de Kropyvnytskyi, dont deux âgés de 15 et 17 ans et les deux autres de 18 ans. Les garçons ont été inculpés de sept chefs d’accusation, dont celui de tentative de sabotage en réunion.
Selon les enquêteurs, ces actions visent à influencer l’opinion publique en montrant que la population ukrainienne soutient la Russie et défie les forces armées ukrainiennes. Les services spéciaux russes ont créé une chaîne Telegram spéciale par laquelle ils offrent des sommes d’argent importantes pour incendier des véhicules et des stations électriques. Les paiements sont effectués en cryptomonnaie.
En août dernier, Danylo D., 17 ans, a découvert une chaîne Telegram gérée par des agents du FSB. Il a reçu une offre pour incendier les véhicules des forces armées ukrainiennes en échange d’argent. Une condition était d’enregistrer une vidéo de l’incendie.
Avec son ami Mykyta P., âgé de 15 ans, Danylo a ainsi acheté de l’essence et a incendié le SUV d’un artilleur ukrainien au milieu de la nuit. Les garçons ont filmé l’incendie et se sont enfuis. Mykyta a incendié un autre véhicule à une autre occasion, après s’être coordonné avec l’agent du FSB via la même chaîne Telegram.
Peu après, Danylo et un autre de ses amis, Rustam G., âgé de 18 ans, ont incendié deux SUV militaires. Une nuit, ils se sont introduits dans un aérodrome local et ont tenté de mettre le feu à un hélicoptère MI-2 appartenant à l’académie de pilotage. Les garçons se sont filmés en train de verser de l’essence sur l’hélicoptère et d’y mettre le feu. Cependant, l’incendie a été éteint par la pluie.
Les garçons ont alors décidé de mettre le feu à des stations électriques. Ils ont endommagé une station à Kropyvnytskyi, mais ils se sont fait prendre alors qu’ils tentaient de mettre le feu à un transformateur dans le village de Pervozvanivka, situé près de la capitale régionale. Outre Danylo et Rustam, les forces de l’ordre ont appréhendé Vladyslav S., âgé de 18 ans. Le garçon « montait la garde » pendant que ses complices coupaient les barbelés de la station.
Les agents du FSB payaient chacune de leurs actions entre 700 et 1 600 euros en cryptomonnaie. C’est Danylo qui a reçu la plus grande partie de l’argent.
Peine réduite après un plaidoyer de culpabilité
À ce jour, seul l’un des adolescents a été condamné, en mai 2025 : Vladislav S., âgé de 18 ans, qui montait la garde pendant que ses amis tentaient d’incendier le transformateur électrique. Contrairement aux autres, Vladislav a été accusé de tentative de dommage intentionnel à une installation électrique. Cette infraction est passible d’une peine moins sévère que le sabotage.
Le jugement indique que ses amis lui ont donné 10 000 UAH [200 euros]. Il n’aurait pas été informé que ses complices agissaient sur les instructions du FSB. Lors de l’audience, Vladislav, mineur à l’époque des faits, a plaidé coupable. Il avait au préalable signé un accord de plaidoyer avec le parquet.
Le juge du tribunal de district de Kropyvnytskyi l’a condamné à deux ans de probation. Il devra se présenter régulièrement devant l’autorité de probation pendant cette période. Il devra également se conformer à un programme d’« Acquisition de compétences de vie ». En outre, le tribunal a décidé que le jeune homme devait lire le livre Kruty 1918, un drame historique patriotique racontant l’histoire d’une bataille près de la ville de Kruty (au nord-est de Kiev) entre de jeunes cadets militaires de la République populaire ukrainienne et les forces d’occupation de la Russie soviétique.
Crimes contre la sécurité nationale
Les trois autres jeunes hommes impliqués dans les incendies criminels ont été placés en détention provisoire après leur arrestation. Cependant, à la fin de l’année dernière, le tribunal a libéré l’un d’entre eux et l’a placé sous la surveillance de sa mère. Un autre a été assigné à résidence.
Selon les décisions de justice, les perquisitions effectuées chez les adolescents ont permis de découvrir des cagoules, des gants, plusieurs iPhones et un reçu pour l’achat d’un pistolet à air comprimé. Fin mai de cette année, le tribunal du district de Kropyvnytskyi a commencé à examiner un acte d’accusation à leur encontre. Ils sont accusés de crimes contre la sécurité nationale. Cela comprend l’entrave à l’activité des forces armées ukrainiennes, la tentative de sabotage et la destruction intentionnelle de biens commise par un groupe de personnes.
Le recrutement d’enfants, un crime de guerre
Les agents du FSB Kozhemiakin et Suslyakov sont également accusés par les procureurs ukrainiens d’un crime contre la sécurité nationale : la planification d’un sabotage. Le tribunal local a engagé une procédure contre eux par contumace. Les deux Russes ont été inscrits sur la liste nationale des personnes recherchées.
En outre, des militants des droits humains et des représentants du bureau du procureur général d’Ukraine ont indiqué que selon eux le recrutement d’enfants par la Russie pour les faire participer à la guerre doit être considéré comme un crime de guerre.
Ainsi, Andriy Yakovlev, avocat et expert à l’Initiative des médias pour les droits humains, a expliqué que les incendies criminels visant des véhicules militaires visent à entraver l’activité des personnes mobilisées. Ils peuvent donc être interprétés comme une participation aux opérations militaires ennemies. Selon lui, ces opérations répondent largement à la définition de « participation aux hostilités ».
Et selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, récemment ratifié par l’Ukraine et officiellement entré en vigueur le 1er janvier 2025, l’implication d’enfants dans les hostilités est considérée comme un crime de guerre. Selon Yakovlev, cette qualification des actions des Russes augmente les chances de les poursuivre en justice. Les crimes de guerre sont imprescriptibles.
Yuriy Belousov, chef du département des crimes de guerre au bureau du procureur général, a récemment déclaré que l’implication de mineurs dans les combats constituait un crime de guerre et qu’une lettre d’orientation avait été envoyée à tous les parquets régionaux.
Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Gre4ka ».