L'avocat de l'occupant

Qui défend les soldats russes jugés en Ukraine, pourquoi et dans quelles conditions ? Quels sont leurs défis professionnels, leurs honoraires et leur sécurité ? Pourquoi l'Ukraine doit-elle mener des procès par contumace ? La journaliste Oksana Rekun a enquêté sur ce sujet dans la ville de Tchernihiv, dans le nord du pays.

En Ukraine, qui sont ces avocats qui défendent l'occupant russe quand il est accusé de crimes ? Photo : un homme accroupi discute avec un autre homme (un soldat de la Fédération de Russie) à travers la vitre du box des accusés.
L’avocat Pavlo Kostiuchenko avec son client, le tankiste russe Mikhail Kulikov, pendant une audience devant le tribunal de Tchernihiv, le 4 août 2022. Photo : © Novynarnia
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Le 26 février 2022, le tankiste russe Mikhaïl Koulikov tire sur un immeuble de plusieurs étages situé dans la rue Kiltseva, à Tchernihiv, dans le nord de l'Ukraine. L'enquête révèle que Koulikov a reçu l'ordre du major russe Leonid Shchotkin de tourner la tourelle du char vers le bâtiment nouvellement construit et de tirer. Koulikov touche un appartement au dixième étage. Il n'y a personne à l'intérieur. L'armée ukrainienne capture les deux tankistes le jour même. Shchotkin, un officier, est échangé deux semaines plus tard. Le tribunal du district de Desnianskyi, à Tchernihiv, juge Kulikov de juin à août 2022. Il est condamné à 10 ans de prison. C’est l'avocat ukrainien Pavlo Kostiuchenko, originaire de Tchernihiv, qui le défend.

Malgré la grande médiatisation de ce premier procès en présence d'un soldat russe dans la région de Tchernihiv, Kostiuchenko raconte aujourd’hui qu'il s'agissait pour lui d'une « affaire ordinaire », qui ne différait en rien de celle de « trafiquants de drogue qui vendent de la drogue et tuent également des gens ». Il déclare même s'en souvenir à peine. « Les dossiers sont nombreux. Quant à cet homme, je ne me souviens plus de lui en tant qu’individu, ni des détails. J'ai été désigné pour le défendre et j'ai fait mon travail. Je ne me concentre pas sur une seule personne. J'ai terminé l'affaire et je suis passé à autre chose. » Défendre des criminels « est le travail d'un avocat », déclare-t-il. « La loi prévoit une défense, peu importe qu'il s'agisse d'un accusé militaire ou civil. Pourquoi être au barreau si c'est pour refuser de défendre quelqu'un ? Un avocat ne peut pas démissionner de son propre chef. Seul le client peut révoquer son consentement. Si ce n'est pas moi, un autre avocat le défendra. »

Oleksandr Baranov
Oleksandr Baranov, directeur du Centre de coordination pour l'aide juridique : « Il y a eu un cas où l'interprète a dit directement à l'avocat qu'il était un traître parce qu'il défendait un Russe. En conséquence, l'interprète a été remplacé. »

L'Ukraine est l'un des rares pays à poursuivre les criminels de guerre pendant la phase active du conflit. Les suspects de crimes de guerre ont commencé à être jugés en masse devant les tribunaux ukrainiens peu après l'invasion à grande échelle de la Russie, en février 2022. La Constitution ukrainienne stipule que toute personne a droit à une défense. Les avocats des soldats russes accusés sont désignés par le système d'aide juridictionnelle gratuite (FLA) du pays. Le registre des avocats pouvant fournir une aide juridictionnelle gratuite comprend plus de 9.000 spécialistes, mais seuls 3.000 d'entre eux signent chaque année un contrat avec le système FLA. Tous ne peuvent cependant pas accepter des affaires liées à des crimes de guerre, explique Oleksandr Baranov, directeur du Centre de coordination pour l'aide juridique. Ces affaires ne sont pas jugées dans toutes les régions du pays. Et tous les avocats ne sont pas disposés à assurer une telle défense, en raison de leurs opinions ou de la manière dont ils ont été personnellement affectés par la guerre. « Cette décision [de défendre des militaires russes] est prise par l'avocat de son propre chef. Le code de déontologie des avocats ne contient aucune clause sur l'obligation de défendre ou non. Il s'agit plutôt d’une situation où un avocat peut refuser une mission s'il se rend compte qu'il ne sera pas en mesure de fournir la qualité de service requise ou s'il n'a pas l'expérience nécessaire dans ce type d'affaires. Certains avocats, lorsqu'ils signent un contrat avec nous, indiquent simplement les types d'affaires qu'ils ne prendront pas en charge », poursuit Baranov.

« Traîtres »

Il y a ensuite la stigmatisation. En Ukraine les avocats sont souvent associés aux suspects, note Baranov. Ils peuvent donc être accusés d'être des traîtres défendant des criminels de guerre. « Les gens ne pensent pas qu'un avocat garantit à son client l'accès à un procès équitable et que c'est son devoir professionnel », dit-il. « Il y a eu un cas où l'interprète a dit directement à l'avocat qu'il était un traître parce qu'il défendait un Russe. En conséquence, l'interprète a été remplacé. En fait, ce n'est pas la première fois que cela se produit. Les avocats sont associés à leurs clients depuis longtemps. Je connais des avocats dont les voitures ont été incendiées, et Grabovsky a été tué en raison de ses fonctions professionnelles », ajoute-t-il, faisant référence à Iouri Grabovsky, un avocat ukrainien assassiné en mars 2016 alors qu'il défendait un citoyen russe capturé dans l'est de l'Ukraine.

La plupart des affaires impliquant des soldats russes en Ukraine sont jugées par contumace. Selon le bureau du procureur général, depuis février 2022 et jusqu'au 8 juillet 2025, 175.363 crimes de guerre ont été recensés en Ukraine. Au 1er juillet 2025, 679 actes d'accusation ont été soumis aux tribunaux pour crimes de guerre. Au 8 juillet 2025, le parquet de la région de Tchernihiv a enregistré 438 cas de crimes de guerre, pour lesquels 47 verdicts ont été rendus, dont 44 par contumace. Au total, 73 personnes ont été condamnées. « En ce qui concerne la région de Tchernihiv, nous n'avons connaissance d'aucun cas de menaces ou de pressions, mais cela ne signifie pas qu'il n'y en ait pas », précise Baranov.

Contrairement au cas de Kulikov, l'avocat dans un procès par contumace n'est pas en mesure de communiquer avec son client. C'est à lui seul qu'il revient de choisir la stratégie à adopter dans le dossier. « Nous parlons d'un client que vous n'avez jamais rencontré, mais vous représentez ses intérêts et vous le protégez. Il ne peut en être autrement, que cela vous plaise ou non. Honnêtement, beaucoup de gens ne veulent pas défendre, mais c'est notre travail », déclare Konstantin Sapon, un autre avocat de Tchernihiv.

« Tous les soldats et officiers de rang intermédiaire qui ne font pas partie du haut commandement de la Fédération de Russie ne se retrouveront jamais devant des institutions internationales spéciales », telles que la Cour pénale internationale de La Haye, explique Yuriy Belousov, chef du département chargé au bureau du procureur général d'Ukraine de la lutte contre les crimes commis dans le contexte d'un conflit armé. « Nous devons traiter cela dans le cadre du système national. 99,9 % des crimes seront jugés par nos tribunaux nationaux. »

Pourquoi l'Ukraine a besoin de procès par contumace

Sapon a traité deux dossiers de crimes de guerre impliquant des soldats russes. L'un d'eux concernait Fail Mansurovich Khustnutdinov, originaire de la région russe de Kemerovo. Il était stationné dans la région de Tchernihiv, plus précisément dans le village d'Andriivka, du 20 au 30 mars 2022. « Avec d'autres Russes, mon client a pénétré sans autorisation sur le terrain de la société Ecoenergy Ukraine LLC et y a volé des biens. Ils ont pillé des ordinateurs, des appareils électroménagers, etc. Il a été condamné à 12 ans de prison », se souvient-il. « Poursuivre des criminels par contumace est une procédure nouvelle pour nous. En fait, cette procédure a vu le jour après la fuite de Ianoukovitch [président de l'Ukraine de 2010 à 2014] en 2014. De nombreux pays ne disposent toujours pas de ce type de poursuites pénales. Beaucoup pensent que c'est absurde. Que cela ne devrait pas exister. D'autres pensent, au contraire, que nous disposons de la réglementation nécessaire. »

Avocats, procureurs et juges expriment tous leur scepticisme à l'égard des procès par contumace. Cependant, ils estiment à l’unisson que l'Ukraine a besoin de cette procédure et qu'elle répond à un certain nombre d'objectifs. « Au début, cette procédure a été perçue dans un contexte négatif, car elle pouvait comporter des risques » pour la défense, déclare Belousov. « Mais en réalité, il est possible d'envisager cette procédure sous un angle différent. D'une part, bien sûr, le pays doit prendre toutes les mesures possibles pour garantir le droit à la défense. D'autre part, je cite souvent l'un de nos experts internationaux qui a procédé à une évaluation législative de la procédure par défaut. Il a dit que cette procédure permet à la victime d'être entendue par le tribunal. À mes yeux, la victime ne devrait pas attendre 20 ou 30 ans avant que son témoignage soit enfin entendu. C'est donc le principal argument qui nous pousse à soutenir les procès par défaut », explique le procureur.

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Selon le procureur Kyrylo Pugachov, un autre argument en faveur des procès par contumace est « la notion de rétablissement de la justice et d'indemnisation matérielle ». « Il est plus facile d'obtenir une indemnisation lorsque l'on dispose d'un jugement rendu par un tribunal », fait-il valoir. Dans le dossier Kulikov, son tank a tiré sur un bâtiment nouvellement construit, causant des dommages matériels estimés à plus de 900.000 hryvnias (environ 18.500 euros au taux actuel). « La procédure par défaut nous permet d'utiliser ou de saisir les biens de ces personnes si elles en possèdent dans d'autres juridictions », explique Belousov.

Comment les suspects russes savent-ils qu'ils sont inculpés ?

L'une des principales difficultés rencontrées par les avocats qui défendent les soldats russes est la notification de suspicion informant les accusés qu'ils font l'objet de poursuites pour crime de guerre en Ukraine. L'Ukraine a officiellement établi que l'annonce de l'ouverture d'une procédure dans le journal Uriadovyi Courier ou sur le site Internet du bureau du procureur général est considérée comme « une notification en bonne et due forme de notre part ». Cependant, selon nos interlocuteurs, il est peu probable que les militaires russes consultent ces sites en ligne ukrainiens. Pugachov affirme que le parquet régional de Tchernihiv tente par tous les moyens d'informer les suspects russes. Selon lui, ces pratiques ne sont pas prévues par le code pénal, mais les procureurs s'efforcent de suivre la jurisprudence de la Cour européenne. « Si nous connaissons le numéro de téléphone portable, nous envoyons des messages contenant un avis de suspicion, traduit en russe bien sûr. Si nous connaissons l'adresse électronique, nous envoyons des courriels. Si nous connaissons le lieu de travail, qui est le plus souvent une unité militaire ou une institution du ministère russe de la Défense, nous l'envoyons aux adresses électroniques officielles de ces institutions. Nous avons eu un cas où une personne a répondu par un simple point d'interrogation. Qu'est-ce que cela peut signifier ? A-t-elle compris ou non ? Au moins, nous avons découvert que la personne avait lu le message. Différentes situations se présentent. L'essentiel est de prendre toutes les mesures possibles. »

Selon Belousov, l'un des principaux problèmes de la procédure par défaut est la possibilité de réexaminer une décision de justice. Si une personne condamnée se retrouve physiquement entre les mains de la justice, elle devrait avoir droit à un nouveau procès. Actuellement, le système judiciaire ukrainien ne prévoit pas de procédure de réexamen d'une décision de justice. Mais Belousov affirme que le bureau du procureur général travaille sur cette question et prépare « un projet de loi à grande échelle tenant compte des pratiques de la Cour européenne ».

Se pose ensuite la question de l'exécution de la peine. « Comment peut-elle être exécutée lorsque la partie concernée ne se trouve pas en Ukraine ? Il existe des situations où une personne est extradée. Mais la Russie et la Biélorussie ne nous livreront personne », analyse le juge Mykola Kuziura, pour qui le procès Kulikov a été la première affaire de crime de guerre en 32 ans de carrière judiciaire. Mais ce qui l'inquiète avant tout, c'est l'impossibilité pour les parties de se défendre pendant le procès. « L'avocat aura peu de chances de pouvoir rassembler des preuves. Il est chargé de recueillir des preuves à décharge mais il ne dispose que des informations réunies par l'accusation. Il n'a aucune possibilité de communiquer avec le suspect. Il ne peut pas fournir ses propres preuves, car celles-ci sont difficiles à obtenir dans de telles circonstances. Par conséquent, lorsque l'on examine de telles affaires sans une des parties, le rôle de l'avocat est, à mon avis, outrepassé. »

Le juge Mykola Kuziura lors d'une audience du procès Kulikov en Ukraine
Le juge Mykola Kuziura (ici à droite, à une audience du procès Kulikov en juillet 2022) : « Lorsque l'on examine de telles affaires sans une des parties, le rôle de l'avocat est, à mon avis, outrepassé. » Photo : © Thierry Cruvellier

Les souvenirs du juge de Kulikov

« La nature de l'infraction pénale elle-même, la durée de l'enquête et les preuves suffisantes pouvant être recueillies sont importantes. Par exemple, lorsque les combats faisaient rage à Tchernihiv, il était impossible de mener une enquête. Les forces de l'ordre avaient été évacuées. L'enquête n'a été possible qu'après la fin de l'occupation. Dans le cas de Kulikov, les faits étaient évidents puisqu'il avait été arrêté sur les lieux. Il y avait des preuves, il y avait des témoins, et nous avons pu examiner l'affaire », relate le juge.

Alors que l'avocat de Kulikov affirme qu'il « se souvient à peine de l'affaire », le juge Kuziura s'en souvient très bien. « Ce fut un procès tendu. J'ai dû me préparer et apprendre les règles du droit international, car elles étaient au cœur de l'acte d'accusation. Cependant, en termes de procédure, cette affaire ne m'a posé aucune difficulté, car elle s'est déroulée dans le cadre habituel de la procédure pénale. » Le juge se souvient que Kulikov s'est comporté « avec beaucoup d'assurance » devant le tribunal, a fait des aveux, s'est exprimé « apparemment avec franchise », essayant parfois « de minimiser sa responsabilité ». « Il a présenté ses excuses au peuple ukrainien. Mais le thème principal était qu'il était un soldat qui suivait les ordres de son commandant. J'ai précisé dans le verdict que seuls les ordres légaux doivent être exécutés, comme l'expliquent les Conventions de Genève. Il savait ce qu'il faisait et où il se trouvait. Il comprenait qu'ils étaient entrés sur le territoire d'un autre État et qu'ils avaient reçu l'ordre d'occuper l'aérodrome. Et que cela constituait une forme d'agression. Comme Kulikov était un simple sergent, je pense qu'il espérait simplement être échangé », comme le major Shchotkin. « Je n'ai vu aucune sincérité chez lui. Il disait simplement toute la vérité parce qu'il comprenait qu'il valait mieux avouer que d'être trouvé coupable. C'est pourquoi il a tenté de minimiser sa responsabilité ; il a feint le remords. » 

Combien gagnent les avocats de la défense ?

Les avocats de la défense doivent faire face à un autre défi, d'ordre financier. Selon Baranov, ils gagnent en moyenne 3.500 hryvnias (72 euros) pour chaque phase de la procédure judiciaire. « C'est la rémunération moyenne dans le système. Le coût du travail dépend de la gravité du crime, du nombre de complices et du nombre d'épisodes. Ce sont ces éléments qui augmentent le temps de travail de l'avocat. S'il s'agit d'un seul épisode, le coût sera moins élevé. S'il y a dix épisodes, c'est-à-dire plus d'audiences, le coût sera différent. C'est ainsi que cela fonctionne. »

Quant à savoir s'il est possible de parler d'une défense de qualité lorsque les avocats sont si peu rémunérés, Baranov répond : « Autrefois, un avocat pouvait faire traîner une affaire pendant des années et finir par toucher entre 100.000 et 200.000 hryvnias (entre 2.000 et 4.000 euros). Aujourd'hui, le montant annuel est plafonné, ce qui incite les avocats à ne pas retarder les procédures. Le système d'aide juridictionnelle gratuite n'a jamais été en mesure d'offrir une rémunération conforme au marché. Certains avocats facturent 2.000 dollars pour défendre un client dans une procédure pénale, d'autres encore plus. »

Baranov explique que le centre FLA offre aux avocats des formations, des réseaux potentiels et une pratique continue. « Dans notre pays, un avocat n'attend pas qu'un client le contacte, il travaille constamment. Certains avocats gagnent un million de hryvnias (20.500 euros) ou plus par an. Tout dépend de la volonté de l'avocat de travailler dur. Mais pour qu'un avocat puisse travailler efficacement, il ne peut pas accepter plus de 30 dossiers par mois, car il n'aura tout simplement pas assez de temps. »

Des appels justifiés

Les avocats de Tchernihiv Sapon et Kostiuchenko confirment avoir reçu des paiements de l'État pour avoir défendu des soldats russes. Kostiuchenko se réfère au seul cas de Kulikov. Sapon en évoque deux. Les deux avocats ont fait appel. « Je fais toujours appel », explique Sapon. « Un avocat ne se contente pas de démêler la question de la culpabilité ou de l'innocence. Il y a beaucoup d'autres choses, notamment la sévérité de la peine. » Cependant, aucun d'eux ne divulgue le montant exact versé pour chaque affaire. Kostiuchenko préfère poser une question rhétorique : « Pensez-vous que l'État paie beaucoup ? Où peut-on être rémunéré correctement dans notre pays ? »

« J'ai lu une fois une analyse des procès pour crimes de guerre devant les tribunaux de Kyiv », me confie le juge Kuziura. « Elle indiquait que les avocats étaient généralement passifs, simulant parfois une certaine activité. Je ne comprends pas le raisonnement. Comment un avocat de la défense doit-il agir devant la cour lorsqu'il ne dispose que des informations contenues dans le dossier ? Pour ce qui est de la pratique devant les tribunaux de Tchernihiv, je constate que les avocats se comportent avec pas mal d’assurance. Ils contestent les verdicts. Ils font appel. Je pense qu'ils font ce qu'il faut dans ces affaires. Afin d'éviter toute question ultérieure, une affaire judiciaire doit passer par toutes les instances. Une personne qui ne fait pas appel ne peut pas se pourvoir devant la Cour suprême. Je pense donc que c'est la bonne approche pour les avocats. »

Des journalistes devant le tribunal de Tchernihiv (Ukraine)
Une équipe de Justice Info devant le tribunal de Tchernihiv, en juillet 2022, pendant le procès de Kulikov. Photo : © Thierry Cruvellier

La cour d'appel de Tchernihiv nous a communiqué qu'elle ne disposait pas de statistiques distinctes sur le nombre de dossiers introduits par des avocats défendant des militaires russes soupçonnés de crimes de guerre. Elle tient des registres généraux, y compris ceux du parquet. Au total, entre 2022 et le 1er juillet 2025, 36 affaires ont fait l'objet d'un recours en vertu de l'article 438 (crimes de guerre). Tous les jugements ont été confirmés. En réponse à une demande de Suspilne, la Cour suprême a répondu quant à elle que, depuis le début de l'invasion à grande échelle et jusqu'au 17 juin 2025, un seul recours en cassation pour crimes de guerre a été examiné et que la décision du tribunal avait été confirmée.

« Est-ce que j’irais raconter à ma femme un meurtre ou un viol ? »

Selon Sapon, la loi définit clairement les motifs pour lesquels un avocat peut être récusé dans une affaire : « L’intérêt personnel. Un conflit d'intérêts est assurément un motif de récusation. Le fait que vous n'aimiez pas le client n'en est pas un, pas plus que ce qu'il a commis. Autrement dit, vous pouvez toujours dire arbitrairement : ‘Je ne veux pas défendre ce Russe, donc je ne le ferai pas’. »

Au sujet de sa propre sécurité lorsqu'il traite de telles affaires, Sapon déclare : « Tout d'abord, je n'ai eu aucune communication avec des personnes qui pourraient m'associer à l'ennemi. Ensuite, ce n'est pas un sujet dont on discute dans la rue ou en arborant une pancarte indiquant que l'on défend un soldat russe. » Il dit également qu'il ne parle pas de ces affaires à sa famille. « On essaie de protéger sa famille de certaines informations, car il y a des choses désagréables : des meurtres, des viols et tout le reste. Est-ce que j'irais raconter à ma femme un meurtre ou un viol ? »

Le Conseil du barreau de la région de Tchernihiv précise qu'il « ne dispose d'aucune information sur le nombre d'avocats ayant refusé de défendre des militaires russes soupçonnés de crimes de guerre, car il ne tient pas de registre à ce sujet et n'est pas habilité à collecter, analyser ou divulguer de telles informations ». Il souligne également que « chaque avocat est indépendant et autonome dans l'exercice de ses activités ». Le système d'aide juridictionnelle gratuite de l'Ukraine a délivré 4.970 mandats à des avocats dans des affaires pénales entre 2022 et le 23 mai 2025. 56 mandats ont concerné des accusations de crimes de guerre. Selon Pugachov, les dossiers de crimes de guerre continuent d'être examinés dans la région de Tchernihiv, mais leur nombre n'est pas aussi élevé qu'en 2022. « Nous avons actuellement huit actes d'accusation pendants devant les tribunaux. Il est bien sûr plus difficile de trouver aujourd’hui des preuves. Mais nous continuons d’essayer. Nous documentons les bombardements de structures civiles et de la population. Nous recherchons les opérateurs, les artilleurs et leurs commandants qui ont utilisé un engin ou un lance-roquettes particulier, par exemple. »

En juillet 2025, Sapon assure la défense dans un deuxième dossier, celui d’un soldat russe soupçonné d'avoir torturé des civils à Lukashivka. Les audiences se tiennent devant le tribunal du district de Tchernihiv. Kostiuchenko explique qu'après l'affaire Kulikov, il n'a plus eu aucun dossier impliquant des accusés de crimes de guerre. Quant à Kulikov, il a été renvoyé en Russie en juin 2023 dans le cadre d'un échange de prisonniers.


Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse de la Fondation Hirondelle/Justice Info. La version complète de cet article a été publiée le 8 juillet 2025 dans « Suspilne ».

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