Rwanda: après les Gacaca, les procès passent souvent inaperçus

Rwanda: après les Gacaca, les procès passent souvent inaperçus©Paul Heckel/ Flickr
"Never again" au mémorial du génocide de Kigali
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 La clôture en juin 2012 des travaux des juridictions semi traditionnelles rwandaises Gacaca ne signifie pas la fin des procès liés au lourd contentieux du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda. Après avoir jugé, en dix ans de procès, près de deux millions de personnes, les Gacaca (prononcer gatchatcha)  ont néanmoins vidé l'essentiel du contentieux, exception faite des accusés classés dans la première catégorie, celles des « planificateurs » présumés du génocide, sans oublier d'éventuels nouveaux cas. Après la fermeture de la page Gacaca, des procès en rapport avec le génocide des Tutsis se poursuivent en vertu d'une nouvelle loi devant les tribunaux classiques rwandais. Ils passent cependant souvent inaperçus même lorsqu'ils mettent en cause des noms connus.

 A la veille de la clôture du processus Gacaca, le Rwanda promulguait une loi organique fixant les mécanismes de résolution des litiges qui étaient de la compétence de ces juridictions inspirées de la tradition rwandaise. Selon cette nouvelle loi organique, toutes les personnes, ainsi que leurs complices, que les actes criminels tels que la planification, l'organisation, l'incitation, la supervision et l'encadrement du crime de génocide plaçaient dans la « première catégorie » seront jugées au premier degré par les Tribunaux de Grande Instance (TGI). Ces juridictions sont également compétentes pour connaître de tous les actes constitutifs du crime de génocide commis par toute  personne qui, au moment des faits, était membre des instances dirigeantes aux niveaux national et préfectoral, ainsi que ses complices. La compétence temporelle couvre la période du 1er octobre 1990 au 31 décembre 1994.

De leur côté, les Tribunaux de base, le plus bas échelon judiciaire, sont compétents pour connaître des faits commis par une  personne qui faisait partie des instances dirigeantes aux niveaux sous -préfectoral et communal, les leaders des partis politiques, les membres du haut commandement de la police communale, les dirigeants des confessions religieuses, les chefs des milices. Ces Tribunaux de base sont également compétents pour les actes de viols ou de tortures sexuelles.

 

Possibilité de révision pour les condamnés par contumace

 

 Par ailleurs, cette nouvelle loi organique confère aux juridictions militaires la compétence pour toutes les affaires de génocide mettant en cause militaires et gendarmes, indépendamment de leur degré de responsabilité pénale présumée. Ainsi, selon l'article 7 de la nouvelle loi organique, les infractions constitutives du crime de génocide perpétré contre les Tutsis  et d'autres crimes contre l'humanité commis par une personne qui était militaire ou gendarme  au moment des faits sont  jugées par  le Tribunal militaire, au premier degré, et la Haute cour militaire, en appel.

Une autre innovation apportée cette loi post-Gacaca est la compétence attribuée, pour les faits de moindre gravité, aux Comités des Conciliateurs qui ne font pas partie du système judiciaire proprement dit. Ces Comités de Conciliateurs connaissent ainsi des faits de pillage ou endommagement des biens commis dans le cadre du génocide. Les personnes reconnues coupables de telles infractions doivent restituer ou réparer les biens pillés, sans encourir de peine d'emprisonnement.

La nouvelle loi reconnaît par ailleurs la possibilité d'un procès en révision pour une personne condamnée par Gacaca au terme d'une procédure entachée d'irrégularités  ou un condamné qui l'a été par contumace. Cela signifie que la personne devra être déférée devant le tribunal compétent : le Tribunal de base, le Tribunal de grande instance ou le Tribunal militaire.

 
 

De grands procès passés inaperçus

 

Si les procès de génocide devant les tribunaux Gacaca attiraient des foules, des observateurs nationaux et internationaux, il n'en est plus aujourd'hui le cas devant les juridictions classiques.

Ainsi, en 2015, le procès de l'universitaire Runyinya Barabwiriza, conseiller de l'ex président Juvénal Habyarimana, n'avait été suivi que par sa famille et quelques journaux rwandais en ligne. Accusé de planification du génocide, association de malfaiteurs et incitation à commettre de génocide, Runyinya Barabwiriza fut acquitté après plus de 17 ans de détention. Ses fonctions à la présidence de la République, son statut de Professeur à l'Université nationale du Rwanda (UNR) et de président du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND, parti présidentiel de l'époque), pour la préfecture de Butare (sud) et sa trop longue détention préventive faisaient pourtant de lui un accusé phare.

Plus récemment, c'était le procès de l'ancien préfet de Gitarama (centre) pendant le génocide, Fidèle Uwizeye. « Je n'ai même pas su qu'il était en procès », s'étonne un journaliste après avoir lu le seul article écrit sur l'acquittement de Fidèle Uwizeye, qui était accusé de complicité avec le gouvernement intérimaire pour la planification du génocide, dans son ancienne préfecture. Et pourtant, en plus de son statut de haut dignitaire du gouvernement en place en 1994, l'ingénieur Fidèle Uwizeye, avait également été faut fonctionnaire du nouveau régime et membre du Front patriotique rwandais (FPR), actuellement au pouvoir. Malgré cela, son procès n'a pas attiré de monde.

Dans l'est du Rwanda, se tient actuellement, toujours loin des caméras de télévision, le procès de l'évangéliste Jean-Paul Birindabagabo accusé d'avoir avoir planifié et exécuté des massacres de Tutsis en différents endroits du district de Ngoma, parmi lesquels des édifices religieux. Ce procès, qui pourtant se déroule sur les lieux des des crimes allégués, passe presque inaperçu. Aucun écho des audiences de cette affaire ni au siège d'Ibuka (souviens-toi, en langue rwandaise), la principale organisation de survivants du génocide, ni à la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG), ni dans la presse locale.

 

 Défaut de communication

 

 Pourquoi ce manque d'intérêt aujourd'hui? « Il y a, aujourd'hui, un manque de communication sur les procès de génocide. De plus, les audiences n'impliquent plus qu'un accusé alors qu'à l'époque Gacaca, l'on avait parfois de nombreuses affaires groupées impliquant parfois une vingtaine d'accusés, dont certains étaient transportés de leur prison, les jours d'audience. Cela devait absolument attirer des foules », observe un militant des droits de l'Homme ayant longtemps observé le déroulement des procès. Par ailleurs, ajoute Naphtal Ahishakiye, secrétaire exécutif d'Ibuka, de nombreux rescapés croient à tort que la clôture des Gacaca signifie la fin des procès. Il annonce que son organisation s'emploie désormais à corriger ce défaut de communication.

Selon le Parquet général du Rwanda, pour la seule période de juillet 2014 à juin 2015, les juridictions civiles ont, à titre d'exemple, jugé près d'une centaine de personnes dont 83 ont été condamnées.