La technologie entre dans les tribunaux congolais

Nouveau succès pour la justice militaire congolaise : deux hauts-gradés des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), l’une des milices actives dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), ont été reconnus coupables, le 21 septembre, de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en mai 2012 au Sud-Kivu. Pour la première fois, des éléments audiovisuels, collectés grâce à une application sécurisée, ont été présentés aux juges.

La technologie entre dans les tribunaux congolais©Flickr
Un combattant FDLR à Lushubere, Masisi, dans le Nord-Kivu (Est de la RDC) le 19 décembre 2008
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Autour du 5 mai 2012, des miliciens des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), groupe rebelle actif depuis plus de vingt ans dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), attaquent le village de Lumenje, tuant quatorze personnes et incendiant des bâtiments, dont des maisons et une école primaire. Neuf jours plus tard, ils rééditent leurs forfaits à Kamananga, où une trentaine de personnes sont assassinées, et des maisons pillées et incendiées. Pour ces crimes, Rafiki Ndayambaje Gilbert et Adolphe Kizito Nizeyimana, qui se présentent respectivement comme major et colonel dans les FDLR, ont été jugés devant un tribunal militaire dont les audiences se sont tenues pendant deux semaines, du 23 août au 6 septembre à Kalehe, territoire proche du lieu des crimes, situé entre les deux grandes villes du Kivu, Bukavu et Goma.

Le verdict est tombé vendredi 21 septembre à Bukavu. Les deux chefs miliciens ont été reconnus coupables de crimes contre l’humanité pour meurtres et tortures, et de crimes de guerre pour pillages et incendies. Ils sont condamnés à la perpétuité et sont également sommés de verser d’importantes sommes d’argent aux dizaines de victimes qui se sont constituées partie civile dans le cadre de ce procès : 25 000 dollars américains à chacune des victimes de meurtre, 15 000 à celles de torture, 10 000 à celles des pillages et 5 000 à celles d’incendies.

Mais le caractère inédit de ce procès est que, pour la première fois devant un tribunal congolais jugeant des crimes de masse, des preuves audiovisuelles ont été présentées, notamment des photos prises à l'aide d'une application sécurisée dénommée "Eyewitness to Atrocities", ainsi que des vidéos. "Cela pourrait créer un précédent important dans les moyens et méthodes de documentation et d'enquêtes en RDC. Car photos et vidéos, surtout si elles sont récoltées avec professionnalisme via des applications sécurisées, sont parfois la seule manière pour les juges d’avoir un accès virtuel aux lieux du crime, surtout lorsque ces crimes sont commis très loin de là où siège le tribunal", se félicite Daniele Perissi, responsable du programme en RDC de Trial International, une des organisations de défense des droits humains qui ont soutenu les victimes dans ce procès.

La responsabilité de l’Etat congolais

Même si les victimes saluent la condamnation de leurs bourreaux, elles ne sont toutefois pas totalement satisfaites. En effet, lors des plaidoiries, les parties civiles avaient sollicité que les prévenus soient condamnés à verser des dommages et intérêts aux victimes solidairement avec l’Etat congolais, estimant que celui-ci avait failli à son devoir de protéger les populations civiles et qu’il était, dès lors, civilement responsable. Cette demande a été rejetée par les juges. « Ce qui nous dérange est que l’Etat congolais n’a pas été condamné, alors qu’il devrait l’être, étant donné que l’Etat congolais a laissé faire cette situation alors qu’il était au courant. C’est inacceptable que des civils soient tués alors que l’Etat a dans ses obligations constitutionnelles de garantir la sécurité des personnes et de leurs biens. Plus grave encore, selon certaines indiscrétions des prévenus aujourd’hui condamnés, à un moment donné l’Etat congolais leur fournissait des armes et les nourrissait. Il n’est donc pas juste que l’Etat congolais soit mis hors cause », déclare à Justiceinfo.net Me Charles Cubaka Cicura, porte-parole du Collectif des avocats des parties civiles.

Le défi des réparations

Les parties peuvent encore faire appel. Mais un autre épineux problème se pose déjà : celui de l’indemnisation des victimes. Les juridictions congolaises condamnent régulièrement les bourreaux à verser des dommages et intérêts aux victimes, mais ces jugements ne constituent aucune garantie que ces réparations soient réalisées. Les frais de justice exigés pour l’exécution des jugements, sous forme de droits proportionnels, demeurent souvent hors de portée de victimes pour la plupart démunies. Celles-ci font également face au problème persistant d’insolvabilité des condamnés.

Daniele Perissi appelle l’Etat congolais à allouer davantage de ressources au système judiciaire destinées aux réparations aux victimes. « Les réparations sont un droit et non un privilège. L'Etat congolais doit beaucoup améliorer sa pratique à ce sujet car, malheureusement, il reste actuellement impossible d'obtenir des indemnisations de la part de l'Etat pour des dossiers de crimes de masse, même lorsque la victime a reçu une décision judiciaire finale favorable qui oblige l'Etat à la dédommager », plaide-t-il dans un entretien à justiceinfo.net.