Le mandat d’arrêt contre un chef milicien congolais suscite inquiétude et suspicion

Le 7 Juin, le parquet militaire du Nord-Kivu a lancé un mandat d’arrêt contre le chef rebelle Shimirayi Mwisha Guidon, leader d’une importante milice dans cette région de l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). La justice militaire congolaise l’accuse de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Mais plusieurs personnalités locales craignent qu’une arrestation ruine les initiatives de démobilisation et accentue la radicalisation des combattants.

Le mandat d’arrêt contre un chef milicien congolais suscite inquiétude et suspicion©Kibalimbe MASALA
Guidon à un meeting à Walikale le 3 juillet.
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« Mandatons et ordonnons que le nommé Shimirayi Mwisha Guidon soit arrêté en tout lieu où il se trouve, conduit sous bonne garde et remis aux autorités judiciaires compétentes. » Ainsi se lit le mandat d’arrêt signé le 7 Juin 2019 à Goma par le colonel Ndaka Mbwedi Hyppolite, chef du parquet près la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu. Par cet acte, la justice militaire congolaise a décidé de poursuivre le général autoproclamé Shimirayi Mwisha Guidon, chef de Nduma Defense of Congo-Rénové (NDC-R), une redoutable milice active dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC).

Guidon est accusé de « participation à un mouvement insurrectionnel », « crimes de guerre par recrutement d’enfants » et « crimes contre l’humanité par viol ». Des faits commis, d’après le mandat d’arrêt, depuis 2009 dans plusieurs localités des territoires de Walikale, Masisi et Lubero, où Guidon a été aux commandes de NDC-R.

Un mandat d’arrêt logique

D’après la justice congolaise, les crimes pour lesquels ce chef milicien est pourchassé auraient été commis en deux étapes. D’abord, entre 2009 et 2014, pendant que Shimirayi Mwisha Guidon était le bras droit de Tabo Ntaberi Sheka, ex-chef de guerre, fondateur de NDC qui comparait depuis novembre 2018 devant la justice militaire du Nord-Kivu pour crimes contre l’humanité. Puis, de 2014 à nos jours, pendant que Guidon dirigeait de main de maitre son NDC-R, faction dissidente du NDC de Sheka.

« Au début, c’était un seul mouvement, le NDC, dirigé par Sheka, avec comme commandant en second Guidon. Mais ce dernier s’était rebellé pour former la branche dissidente NDC-Rénové. Elle est actuellement opérationnelle à Walikale, Masisi et Lubero où leurs hommes continuent d’endeuiller des familles. Par exemple ici, à 10 kilomètres seulement de Masisi-centre, ils violent des femmes et recrutent des enfants de moins de 18 ans », témoigne Augustin Ndagisimana, vice-président de la société civile du territoire de Masisi.

D’après le Baromètre sécuritaire du Kivu, un projet conjoint du Groupe d’études sur le Congo et l’organisation Human Rights Watch, NDC-R est l’un des plus redoutables des 132 groupes armés qui opèrent dans l’Est du Congo. « Depuis le début de l’année 2019, nous assistons à une montée en puissance de NDC-Rénové. Au-delà de Walikale, Masisi et Lubero, des informations non recoupées font étant de la présence des éléments de NDC-Rénové également en territoire de Beni, sur l’axe Butembo-Beni. C’est l’une des rares milices locales à avoir cette capacité opérationnelle », commente Jackson Bwahasa, chercheur en dynamique des conflits au Centre d’études juridiques appliquées de l’Université catholique du Graben. Or, « depuis le début de l'année, près de 300 allégations de violences sexuelles liées au conflit ont été rapportées dans le territoire de Masisi. Le Bureau conjoint des droits de l'homme a vérifié 111 cas entre janvier et avril dernier, dont la moitié sont imputables au NDC-R », a déclaré, le 26 juin, Florence Marchal, porte-parole de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco).

A l’annonce de l’émission du mandat d’arrêt, les forces vives du Nord-Kivu s’en sont donc d’abord félicitées, parlant d’une action visant à soulager les souffrances des populations. « Nous encourageons cette démarche parce qu’on ne peut en aucun cas encourager l’impunité. Tous ceux qui commettent des crimes doivent répondre de leurs actes devant la justice.  S’agissant de Guidon, un mandat d’arrêt contre lui, c’est logique », nous confie Edgard Mateso, vice-président de la société civile du Nord-Kivu.

La Monusco a également qualifié le mandat d'arrêt de « développement positif pour la sécurisation de la province et la lutte contre l'impunité ».

Justice versus Démobilisation

Pourtant, des analystes, experts et activistes des droits humains demeurent prudents. « Certes l’action est bonne, mais le contexte et les contours de l’émission du mandat d’arrêt nous inquiètent », nuance Edgard Mateso. Sur une même analyse, le député Prince Kihangi, président de la commission politique, sécuritaire, administrative et juridique à l’Assemblée provinciale (parlement régional) du Nord-Kivu qualifie plus clairement la démarche de la justice militaire d’inopportune et suspecte.

D’abord, le mandat est lancé alors que l’Assemblée provinciale vient d’amorcer les pourparlers avec des chefs miliciens, dont Shimirayi Mwisha Guidon, pour tenter d’obtenir leur reddition, en vue de pacifier cette région du pays, déchirée depuis plus de vingt ans par des conflits armés. Le 21 mai, les gouvernements provinciaux du Nord et Sud-Kivu avaient créé une commission interprovinciale d’appui à la sensibilisation, désarmement, démobilisation et réinsertion communautaire des miliciens, y compris ceux de NDC-R.

« On était à deux pas d’obtenir un accord de désarmement de NDC-Rénové. Les discussions avançaient très bien avec la commission dont je suis le président. Nous avons été désagréablement surpris d’apprendre qu’un mandat d’arrêt venait d’être émis contre lui. Il fallait accorder la chance à cette négociation de paix », assène Prince Kihangi, également avocat au barreau de Goma. « Nous pensons qu’il y a des gens qui ne veulent pas que Guidon se rende, craignant qu’il fasse de grandes révélations au sujet de leur implication dans la commission des crimes », ajoute-t-il. Des soupçons partagés par le chercheur Jackson Bwahasa. « C’est un secret connu de tous : depuis un temps, l’armée congolaise [FARDC] faisait recours à NDC-rénové pour combattre les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et d’autres milices locales, notamment les mai-mai Mazembe », explique Bwahasa. « NDC-rénové sont donc les alliés des FARDC. Plusieurs rapports ont révélé le soutien de certains officiers de l’armée congolaise à Guidon. Ces officiers ne verraient donc pas d’un bon œil la reddition de Guidon aux autorités du nouveau régime » du président Felix Tshisekedi.

Dans leur rapport de décembre 2018, le groupe d’experts des Nations unies sur la RDC signalait également de parfaites collaborations entre le NDR-R et l’armée congolaise, notamment dans le Masisi où le groupe de Guidon venait d’installer son quartier général.

Volonté de justice ou leurre politique ?

Ces analystes doutent donc de la bonne intention de ce mandat d’arrêt. « Normalement une telle action de justice vise à empêcher la commission d’autres crimes, en sanctionnant les auteurs. Et nous ne sommes pas pour l’impunité. Mais nous pensons que ce mandat va plutôt favoriser la commission de nouveaux des crimes qu’on pourrait pourtant limiter, parce que l’action vient de radicaliser Guidon. Il se sent trahit par ses anciens alliés. D’ailleurs, Guidon ne décroche plus les appels téléphoniques des membres de la commission qui négociaient sa reddition, et les rares fois qu’il ose décrocher, il nous passe plutôt ses collaborateurs qui nous attaquent, arguant qu’avec ce mandat d’arrêt, ils ont compris qu’on voulait plutôt, par notre négociation de reddition, piéger leur chef. Ils nous promettent une résistance farouche », regrette Prince Kihangi, élu de Walikale, l’un des bastions de Guidon.

« Nous venons d’apprendre que Guidon procède déjà au recrutement rapide des femmes et enfants pour s’en servir comme bouclier humain, en cas d’une quelconque attaque visant à l’arrêter. Si tel est le cas, le coup de ses détracteurs serait donc réussi » puisqu’il demeurera retranché et muet sur ce qu’il sait, signale Bwahasa. « Ne vous étonnez donc pas que ce mandat d’arrêt reste lettre morte comme celui émis [en 2012 par la Cour pénale internationale] contre le chef des FDLR, Sylvestre Mudacumura. Il s’agit de démarches politiques qui ne visent pas à les arrêter, mais plutôt à les éloigner du « parloir » de la vérité et de la justice. Pour preuve : après l’émission de ce mandat d’arrêt, aucune offensive n’est lancé contre ces rebelles », regrette le député Kihangi. « Tant que c’est possible de résoudre le problème de manière pacifique, il faut oser le faire. Dans l’état actuel, la négociation en vue d’une réédition est l’une des solutions qui économisent les vies humaines, ce que ne peuvent faire des mandats d’arrêt. La justice doit savoir que, pour stopper les crimes, il ne faut pas seulement cibler les chefs de guerre. Dans mon Walikale natal, Sheka s’est rendu, mais aucune action, ni du côté de l’armée, ni du côté de la justice, moins encore du côté politique [désarment, démobilisation et réinsertion] n’a été déclenchée contre ses troupes restées en brousses. Conséquence : quelqu’un d’autre a pris la commande du NDC et des crimes continuent d’être commis », poursuit Kihangi.

Son collègue député, l’avocat Jean-Paul Lumbulumbu, également vice-président de l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu a adressé, le 1er juillet, une pétition au nouveau gouverneur du Nord-Kivu, demandant d’éviter de radicaliser les groupes armés. « Premièrement, il y a une volonté manifeste de plusieurs combattants à quitter les groupes armés. Environs 600 combattants seraient maintenant disposés à se rendre. Il ne faut pas les effrayer. Il faut plutôt les orienter vers une commission de sensibilisation, désarmement, démobilisation et réinsertion communautaire qu’il faut urgemment rendre opérationnelle. Un cadre juridique interprovincial instituant cette commission existe déjà. Et il bénéficie d’un appui de l’actuel chef de l’Etat, qui veut l’éradication immédiate des groupes armés. Des partenaires sont aujourd’hui disponibles pour accompagner [ce travail]. Il faut profiter de ces opportunités », explique-t-il à Justiceinfo.net.