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Il conteste tout ; y compris le fait d’être jugé ici, en France. Ce qu’il souhaite, c’est l’être en Syrie, « devant [son] peuple ». Depuis son arrestation à Marseille, en 2020, la position de Majdi Nema est inchangée. L’ancien porte-parole du groupe rebelle syrien Jaysh al-Islam l’a répété devant la Cour d’assises de Paris le 29 avril 2025, à l’ouverture de son procès ; il se dit « sûr de son innocence » et « attend que la justice le réalise ».
Jusqu’à la fin mai, Nema est jugé en vertu de la compétence universelle, accusé de s’être rendu complice de crimes de guerre entre 2013 et 2016, dans la Ghouta orientale, au Sud-Est de la capitale Damas. Il est soupçonné d’avoir contribué à l’enrôlement de garçons mineurs « en vue de l’action armée du groupe ». L’ancien rebelle syrien est aussi accusé d’« entente » avec le groupe Jaysh al-Islam « en sa qualité de porte-parole, de cadre du renseignement et de conseiller stratégique de la direction du groupe » en vue de la préparation de crimes de guerre.
Ces derniers jours, Nema, alias « Islam Alloush », s’est exprimé en arabe, bien qu’il ait demandé plusieurs fois la possibilité de pouvoir s’exprimer en anglais, requête rejetée par le président de la cour, Jean-Marc Lavergne. L’homme qui fêtera bientôt ses 37 ans dans le box des accusés a retracé son parcours, au fil décousu des audiences ; ses études, sa défection de l’armée syrienne, sa prise de fonction au sein de Jaysh al-Islam, et le rôle qu’il a pu jouer au sein du groupe.
Étudiant passionné en « relations internationales »
Jusqu’ici, Nema s’est présenté comme un ex-rebelle engagé auprès de Jaysh al-Islam pour lutter contre le régime de l’ancien président syrien Bachar el-Assad, « l’un des plus grands criminels de ce siècle » ; et comme un étudiant en « sciences politiques et relations internationales » – raison pour laquelle il était venu à Marseille, en janvier 2020, dans le cadre d’un échange universitaire de trois mois. Il venait de valider sa licence en sciences politiques à Istanbul, en Turquie, en partie financée par Jaysh al-Islam, dit-il. Il nourrissait alors le projet d’intégrer un master au sein d’une université britannique. Ses études le passionnent, manifestement. Il assure avoir été l’un des meilleurs élèves de l’université d’Istanbul.
Appuyé par Romain Ruiz et Raphaël Kempf, ses avocats, Nema insiste sur l’intérêt qu’il nourrit pour les questions relevant du droit international et humanitaire, ou du droit des minorités, y compris lorsqu’il est porte-parole de Jaysh al-Islam.
« Lanceur d’alerte » sur les crimes de Jaysh al-Islam
Mais ce lundi 12 mai, Nema a voulu préciser à la Cour qu’il a pris conscience d’une partie des crimes reprochés au groupe rebelle – tout du moins, après son départ officiel en 2017 – et qu’il a « tenté de lancer l’alerte » sur ces mêmes crimes. Il fait cette déclaration après le visionnage à l’audience d’une vidéo trouvée sur son ordinateur et diffusée en janvier 2017 montrant un défilé de combattants affichant pancartes et brassards aux couleurs de Jaysh al-Islam, et proclamant qu’ils sont en chemin vers Damas. Certains des garçons en habits militaires semblent très jeunes.
« Je me rappelle très bien de cette vidéo, assure Nema. C’était après ma démission ». S’en suit une explication selon laquelle lui, et d’autres – il dit « on » sans préciser qui – ont créé « une cellule » pour préparer « un dossier » sur les « crimes de guerre » du groupe. Cette vidéo serait l’une des preuves recueillie en vue d’une plainte. Nema dit avoir tenté de la déposer en Turquie, mais qu’elle n’aurait « pas été acceptée ».
L’avocat des parties civiles, Marc Bailly, veut comprendre. Quelques jours plus tôt, une autre vidéo datant de juillet 2015 a été visionnée devant la Cour. Elle montre des enfants dans une usine, occupés à fabriquer des uniformes pour Jaysh al-Islam et des armes. Selon l’avocat, ces images ont été filmées lorsque Nema était porte-parole. S’il a participé à la conception d’un dossier sur les crimes du groupe relatifs, notamment, à l’enrôlement de mineurs, pourquoi ne pas en avoir parlé à l’occasion de ce premier visionnage ?, s’étonne l’avocat. Nema répond que cette vidéo de propagande avait suscité, de sa part, des questions et qu’un des responsables de la section média de Jaysh al-Islam lui a expliqué qu’il s’agissait d’une usine civile en contrat avec le groupe.
Nema, avant la révolution et la guerre
Majdi Nema est né en 1988, en Arabie Saoudite, de parents syriens. En 1991, la famille choisit de rentrer en Syrie, et s’installe à Idlib. Au psychologue et à l’enquêtrice de personnalité avec qui il s’est entretenu au cours de l’instruction, Nema raconte avoir grandi dans un cadre agréable et entretenir des relations harmonieuses avec sa famille ; il est le cinquième enfant d’une famille qui en compte six. Tous vivent aujourd’hui en exil en Turquie, en Égypte ou en Arabie Saoudite. Il décrit une enfance « normale » et des parents qui valorisent les études, lui ayant offert un environnement économique et social « favorable ». Son père a été aide-soignant et entrepreneur en bâtiment. Sa mère, enseignante en histoire et géographie, est diplômée de l’université d’Alep. Une chose « exceptionnelle » pour une femme de sa génération, appuie Nema.
La Cour s’attarde sur le parcours de son frère aîné, Mohamed. Actuellement chirurgien, il a été emprisonné cinq ans par le régime, entre 2006 et 2011. Étudiant en médecine à Damas, il est alors enfermé pour « affaiblissement du sentiment national » à la prison de Saydnaya – un établissement carcéral de sinistre réputation.
Ici, Nema veut parler du « lien » qu’il y a eu avec ce frère incarcéré et, dit-il, avec l’avocate victime de disparition forcée Razan Zaitouneh, l’une des « quatre de Douma ». L’évocation du nom de l’avocate syrienne fait lever de son banc Me Bailly. Il fustige « l’indignité » de l’accusé à vouloir mentionner ce lien, alors même que Jaysh al-Islam a été considéré dans l’arrêt de mise en accusation de Nema comme « responsable » de l’enlèvement de ces quatre défenseurs des droits humains. Mais Nema poursuit : selon lui, Me Zaitouneh était présente lorsque son frère comparaissait devant la Cour suprême de sûreté de l’État, une juridiction spéciale chargée des dossiers politiques. Si les détenus n’y avaient « pas le droit d’être défendus », dit-il, des avocats assistaient aux audiences et informaient les familles – qui, elles, devaient attendre à l’extérieur. Ces nouvelles étaient « un trésor », souligne Nema, et l’avocate a apporté ce « trésor » à sa famille.
Arrestation et défection de l’armée
Nema est à son tour arrêté lorsqu’il est étudiant en médecine, à Damas. Parce qu’il faisait partie d’un groupe à l’université « où l’on échangeait sur la politique du régime », explique-t-il. Face à la Cour, il témoigne d’une première incarcération « de 60 heures », en mars 2009, suivie d’un contrôle judiciaire « humiliant » d’un mois, et d’une nouvelle incarcération en avril, au sein de la branche 227, chargée de la sécurité militaire. Nema dit y avoir été interrogé et torturé durant 9 jours, avant d’être transféré à la branche 237, dite « branche Palestine ». Des maltraitances subies en détention, il déclare garder des séquelles deux années durant. Mais c’est aussi au cours de ces 45 jours de détention qu’il rencontre Zahran Alloush ; l’homme qui créera, en 2011, le groupe rebelle salafiste Liwa al-Islam – rebaptisé Jaysh al-Islam en 2013.
Le prédicateur est incarcéré pour ces activités religieuses. En cellule, les deux hommes échangent et développent ce que Nema considère comme une « admiration réciproque ». Il dit son estime pour celui qui était, à ses yeux, le religieux le plus érudit qu’il connaisse. Et il ajoute : « Zahran Alloush n’avait pas de projet politique ». En tout cas, « il n’avait pas la volonté de diriger un État ». Une rencontre déterminante pour le jeune homme, moins de trois ans avant le début de la révolution syrienne.
Une fois libéré, Nema effectue son service militaire obligatoire. Il est formé au maniement des armes à Homs, puis intègre une unité chargée de l’entretien des matériels de télécommunication à Douma, dans la Ghouta orientale. Il est ensuite affecté à l’unité 533, chargée des télécommunications, où il opère en tant que sergent.
En 2012, la révolution syrienne s’est transformée en conflit armé. Dans la caserne de Nema, les projets de révolte et de désertion se multiplient et il raconte avoir participé à un plan pour faire défection, encadré par « un colonel ». Mais l’homme est tué « par méprise » sur ordre de Liwa al-Islam « qui le croit loyal au régime, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre la rébellion ». Le plan avorte. Les défections s’organisent par petits groupes et Nema réussit à fuir à la fin 2012. Chose qui « n’a pas été facile » : « Nous avons fui avec nos armes, et les chars étaient derrière nous », décrit-il. Intercepté par un premier groupe rebelle, il les rejoint avant d’intégrer, quelques jours plus tard, Liwa al-Islam, où il retrouve Zahran Alloush, son « ami ». Très vite, il en devient le porte-parole.
Sur son rôle exact au sein de Jaysh al-Islam (ex-Liwa al-Islam), les débats sont en cours. Ce lundi, Nema a admis « l’importance » de ses fonctions en tant que représentant du groupe, ainsi que sa conscience de l’influence des médias et de la communication en temps de guerre. Son objectif était de montrer « une bonne image de Jaysh al-Islam ».
Quelques minutes plus tôt, l’avocat des parties civiles interrogeait Nema sur une possible « contradiction » – citant des propos versés au dossier dans lesquels il assurait qu’il restait « loyal » au groupe après sa démission, alors qu’il préparait dans le même temps, toujours selon ses dires, un dossier de plainte contre les crimes de guerre de Jaysh al-Islam. « C’est possible qu’il y ait une contradiction, si vous le décidez », répond Nema. Il ajoute être toujours « avec Jaysh al-Islam » et « avec toutes les factions rebelles » parce que ce sont elles qui ont pris les armes contre le régime el-Assad.
Des factions qui se sont ralliées, depuis, au nouveau pouvoir en place à Damas.