Guinée : à la grâce des réparations

Elles avaient été promises le 26 mars dernier par la junte militaire au pouvoir à Conakry, peu avant de gracier Dadis Camara, chef de l’État au moment du massacre du 28 septembre 2009. Le versement d’importantes réparations aux victimes a commencé.

Justice en Guinée : les réparations au profit des victimes du massacre du 28 septembre 2009. Photo : un homme en costume remet un document à une femme dans une salle d'audience.
Le chef de cabinet du ministre de la Justice guinéen remet un chèque à l’un des victimes du massacre au stade de Conakry, le 28 septembre 2009. Photo : © Ministère de la Justice de Guinée
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En République de Guinée, l’indemnisation des victimes du massacre du 28 septembre 2009 a commencé, peu après l’annonce faite, le 26 mars dernier, par décret présidentiel. Au total 334 personnes figurent, en tant que parties civiles au procès, dans le jugement rendu par le tribunal de première instance de Dixinn qui a siégé dans cette affaire entre septembre 2022 et juillet 2024. Certaines ont déjà reçu leurs réparations, d’autres pas encore. Interrogée, la commission chargée de leur distribution n’a pas souhaité en dire plus.

Cependant, outre ces deux catégories, une troisième émerge et souhaite se faire entendre. C’est celle des victimes qui ne s’étaient pas inscrites en tant que parties civiles. Ces personnes multiplient les sorties médiatiques pour attirer l’attention du président sur leur situation.

Mardi 13 mai 2025. Une cérémonie est organisée par le ministère de la Justice dans la grande salle de la Cour d’appel de Conakry où s’était déroulé le procès du massacre du 28-Septembre. Plusieurs parties civiles étaient présentes à cette rencontre solennelle, consacrée à la remise des premières indemnisations. Certaines ont fondu en larmes lorsque le garde des sceaux a pris la parole : « Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour mettre à exécution le contenu du décret du président de la République et donner aux victimes des chèques correspondant aux montants fixés et déterminés par la décision judiciaire », a déclaré Yaya Kaïraba Kaba. 

Après la remise symbolique de neuf chèques, la présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (Avipa) a salué la décision des autorités de prendre en charge l’indemnisation des victimes. « Aujourd’hui, je peux pousser un ouf de soulagement. Durant ces 15 dernières années, j’ai longtemps cru qu’on n’y arriverait pas mais aujourd’hui, c’est fait ! Je suis très heureuse d’avoir assisté à cette première remise d’indemnisation et je prie Dieu de me permettre de voir la fin du processus », a déclaré Asmaou Diallo.

Réparations pour un total de 12 millions d’euros

Abdoulaye Baldé préside depuis le 9 mai 2025 la commission d’indemnisation mise en place par le ministère de la Justice. En vertu du jugement rendu, les 334 personnes doivent recevoir des réparations pour un montant total de 117,9 milliards de francs guinéens, soit environ 12 millions d’euros, précise-t-il. « Nous avons établi un plan de travail comportant la répartition des victimes en groupes, en tenant compte des infractions subies : femmes victimes de viol, personnes disparues ou mortes, victimes de coups et blessures, et victimes de pillages de biens. Pour cette première journée, notre commission a traité les dossiers de 11 personnes. Deux ont été renvoyées pour défaut de documents justificatifs », ajoute Baldé au cours de la cérémonie de remise des neuf premières indemnisations.  

Depuis le 13 mai, d’autres victimes ont été indemnisées. Les femmes victimes d’agression sexuelle l’ont été en premier, selon les informations recueillies auprès du coordinateur du collectif des avocats de la partie civile. Parmi les bénéficiaires, une quinquagénaire, qui a souhaité garder l’anonymat. Elle a reçu un chèque d’1,5 milliard de francs guinéens (environ 150 000 euros) ainsi que décidé par le jugement au terme du procès.

Cette victime compte mettre l’argent au service de sa famille.  « Je suis vraiment contente au point que je ne peux même pas exprimer ma joie ! Avec cet argent, je ne veux même pas perdre de temps à construire, je vais directement m’acheter une maison. Ma maman est au village, mon père est décédé depuis longtemps. Toute la famille est à ma charge. Si Dieu le veut bien, je vais organiser un regroupement familial. Et avec le reste, je vais assurer l’avenir de mes enfants. Mon frère, tu imagines ? J’ai reçu 1,5 milliard de francs guinéens », jubile-t-elle. 

Fatoumata Barry est plus jeune. Elle a aussi bénéficié de l’indemnisation. Elle est connue en Guinée pour avoir décliné l’offre du huis clos pour faire sa déposition à visage découvert, lors du procès. Nous l’avons rencontrée à son domicile, le 30 juin, le visage illuminé d’un grand sourire. Elle confirme être entrée en possession, elle aussi, de 1,5 milliard de francs guinéens.

Barry a déjà tracé des plans pour éviter le gaspillage du fonds. « Ce que je compte faire, c’est me lancer dans l’immobilier. Je vais mettre une partie de mon domicile en location et je me trouverai moi-même un abri pour continuer ensuite à faire autre chose. Et puis l’argent pourra m’aider à approfondir mes connaissances en tant que déléguée médicale [faisant l’intermédiaire entre l’industrie pharmaceutique et le corps médical], notamment à Dakar où j’avais reçu cette formation. Une fois que je serai bien outillée en la matière, je pourrai même ouvrir un laboratoire chez moi ici en Guinée et travailler », ambitionne-t-elle.

Barry ne pense pas que l’indemnisation qui leur a été versée est conséquente. Pour elle, les 1,5 milliards ne peuvent compenser ni l’impact que les crimes subis ont causé ni le temps qui leur a été volé. « Par exemple, moi j’ai dû arrêter mes études. Et j’ai fui le pays pendant 13 ans. Je suis revenue pour la justice. Et je me suis battue jusqu’à obtenir gain de cause. Et pour ça, je remercie Dieu. Ce n’est pas ma force qui l’a fait », fait-elle savoir. 

En plus des victimes d’agression sexuelle, des proches de personnes disparues ont aussi reçu leur réparation. C’est le cas de Mamadou Baïlo Bah, par ailleurs président de l’Association des familles des disparus (Afadis). Comme prévu dans le jugement du tribunal, lui qui a perdu son père durant le massacre, a bénéficié d’un montant de un milliard de francs guinéens.

« Naturellement, le fonds que j’ai reçu appartient à la famille. Il y a mes jeunes frères et jeunes sœurs, il y a mes deux mamans, il est prévu qu’on fasse des assises dans la famille, pour dégager des voies à suivre. Nous essayons quand même de concocter beaucoup de projets. Nous comptons utiliser l’argent pour la formation de mes jeunes frères et sœurs. Nous comptons aussi chercher des parcelles à Coyah (périphérie de Conakry) et, naturellement, faire du commerce. »

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La pression des victimes non prises en compte

L’indemnisation des victimes ne fait cependant pas que des heureux. Désormais réunies au sein d’un collectif, les personnes qui se disent victimes de la même tragédie mais dont les noms ne figurent pas dans la décision du tribunal se font connaître à Conakry. Leur dernière conférence de presse date du 28 juin. « Nous, Collectif des victimes non indemnisées, venons, par ce présent communiqué, informer l’opinion nationale et internationale, la Cour pénale internationale (CPI), les ONG de défense des droits de l’homme, ainsi que toutes les parties prenantes au procès, de notre situation. En effet, c’est avec joie que nous avons accueilli le décret portant indemnisation des victimes, mais malheureusement, cette joie a été de courte durée. Car nous avons été désagréablement surpris de constater que seules 334 personnes ont été prises en charge sur les centaines de victimes recensées. C’est pourquoi nous sollicitons humblement l’implication personnelle de Son Excellence le Général Mamadi Doumbouya, président de la République, afin que cette indemnisation en cours soit élargie à toutes les victimes, sans exception », a sollicité Alseny Diallo, porte-parole du collectif.

La présidente de l’Avipa figure parmi les personnes omises. Asmaou Diallo, qui a perdu son fils ainé en marge du massacre du 28-septembre, trouve cela étrange et incompréhensible. Toutefois, elle garde l’espoir d’être indemnisée au terme du procès en appel. Elle dit s’être formellement constituée partie civile dans le dossier auprès du collectif de Me Alpha Amadou DS Bah, avant d’être entendue à l’instruction. « Le ministre de la Justice nous a promis qu’il y aurait un procès en appel. Et à partir de là, les personnes omises feront partie de cette catégorie pour être indemnisées aussi, comme les 334 personnes actuelles. Il y en a d’autres qui se demandent comment se fait-il que moi, en tant que présidente de l’organisation, je sois omise. Je dis que ça, c’est à la discrétion du tribunal », explique-t-elle.

L’espoir de l’appel

Comme la présidente de l’Avipa, d’autres victimes non prises en compte attendent avec espoir ce procès en appel. Me Bah, coordinateur du collectif des avocats de la partie civile, explique qu’il ne s’agira pas d’une nouvelle constitution de partie civile, car, précise-t-il, celle-ci est définitivement clôturée une fois que le ministère public a présenté ses réquisitions, à la fin du procès. Pour lui, il s’agira plutôt de porter à la connaissance du juge d’appel que le premier juge n’a pas pris en compte, dans sa décision, les noms de toutes les parties civiles régulièrement constituées dans le dossier.

Selon lui, les 737 victimes se trouvant sur la liste qu’il a présentée se sont régulièrement constituées parties civiles. Sur l’échantillon de 119 victimes entendues à la barre, une vingtaine n’a pas retrouvé son nom dans la décision du juge, ajoute-t-il. Une deuxième liste de parties civiles avait été déposée par un second avocat, Me Hamidou Barry, qui n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.


Tandis que le paiement des indemnisations se poursuit, combien ont à ce jour reçu leur indemnisation ? Comment la commission d’indemnisation compte-elle gérer le cas des victimes non indemnisées ? Ces questions restent sans réponse à ce jour. De source judiciaire, sur les 117,9 milliards de francs guinéens nécessaires pour le paiement des réparations décidées par les juges de première instance, 100 milliards viennent du fonds de souveraineté de la présidence – soit 15 % environ du budget annuel de l’institution présidentielle. L’intégralité des indemnisations devait être supportée par le budget national, dans « un souci de justice sociale, de réconciliation nationale et de réparation des préjudices », précisait le décret présidentiel publié le 26 mars 2025.

Deux jours plus tard, le président de la transition, Mamadi Doumbouya, au pouvoir en Guinée depuis un coup d’État en 2021, avait gracié le capitaine Moussa Dadis Camara pour des raisons de santé. Ce dernier avait été condamné le 31 juillet 2024, avec certains de ses co-accusés, pour crimes contre l’humanité. Au terme de la décision, certaines parties avaient fait appel. Cependant, près d’un an après, le procès en appel n’est toujours pas programmé.

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