"Nourrir l'âme": la vitalité renaissante du yiddish en Allemagne

Considérée comme en danger par l'Unesco, la langue yiddish et ses traditions vivantes connaissent une forme de renaissance en Allemagne, huit décennies après le génocide de ses locuteurs par les nazis.

Des milliers de personnes se sont rendues à Weimar, dans l'ex-Allemagne de l'est, pour le festival estival célébrant la culture yiddish dans son ensemble: ateliers, spectacles de cabaret, acrobaties d'une troupe de cirque...

Venus d'Amérique, d'Ukraine ou d'Australie, visiteurs et artistes attestaient de la vitalité des traditions culturelles liées à cette langue d'origine germanique, proche de l'allemand.

Côté musique, l'incontournable klezmer, avec ses rythmes entêtants, dictés au violon ou à l'accordéon, est sans doute la tradition juive ashkénaze la plus connue du grand public.

Mais le "Yiddish Summer Weimar" proposait aussi des formes plus contemporaines, dont du rock psychédélique yiddish.

Le fait que le festival se tienne en Thuringe, premier Land à hisser le parti d'extrême droite et anti-immigration Alternative pour l'Allemagne (AfD) en tête d'un scrutin régional, un an plus tôt, n'est pas anodin.

Le directeur du festival Alan Bern a appelé le public à défendre la "société dans sa diversité", rappelant que la place centrale de Weimar où se tenait le concert avait "autrefois célébré le fascisme".

Jana Wagner, une enseignante de 55 ans, a eu l'impression de se "nourrir l'âme" en entonnant un chant collectif en yiddish, pendant que d'autres participants se donnaient la main pour une danse folklorique.

- Shoah, puis assimilation -

Avant la Seconde Guerre mondiale, on estimait qu'il y avait plus de 10 millions de locuteurs dans le monde, la majorité en Europe.

Après l'Holocauste, le yiddish restait, dans l'immédiat après-guerre, la langue dominante parmi les Juifs du monde entier.

Mais au cours de la seconde moitié du 20e siècle, elle recule en raison de l'assimilation, volontaire ou forcée, des populations ashkénazes en Union soviétique, aux États-Unis et en Israël, où l'hébreu moderne est langue nationale.

Aujourd'hui, entre 500.000 et un million de personnes, selon les estimations, parlent yiddish au quotidien, principalement dans les communautés juives ultra-orthodoxes.

L'Unesco le classe comme une langue en danger en Allemagne et dans toute son ancienne sphère de rayonnement en Europe, qui va du Royaume-Uni à la Russie, de la Scandinavie à l'Italie, ainsi qu'en Israël.

Beaucoup de ceux qui sont attirés aujourd'hui par son apprentissage ont un héritage familial juif, mais pas tous.

Les passerelles entre l'ex-ancienne langue vernaculaire des ashkénazes et les langues européennes modernes jouent en sa faveur.

Certains mots yiddish, à l'aspect expressif et souvent humoristique, ont infusé l'argot américain: "nosh" (un en-cas), "klutz" (une personne maladroite), "schlep" (porter quelque chose de lourd), "chutzpah" (confiance en soi ou audace portée à l'extrême).

Dérivé de l'allemand parlé au Moyen Âge, et aussi appelé judéo-allemand, le yiddish partage encore de nombreux mots avec l'allemand moderne.

"Pour les personnes dont l'allemand est la langue maternelle, il est assez facile à comprendre", estime Sabine Lioy, une retraitée de 66 ans.

- Refuser la "nostalgie" -

Au début du XXe siècle, Berlin était un endroit "absolument essentiel" pour les écrivains et artistes de langue yiddish qui voulaient "voir et être vus", rappelle le poète et activiste Jake Schneider, une voix importante de la scène culturelle yiddish contemporaine.

Aujourd'hui, la capitale allemande, réputée tant pour ses institutions culturelles que pour sa scène underground, est redevenue l'un des centres les plus importants de la vie yiddish laïque: expositions temporaires, scènes ouvertes, soirées dansantes...

Mais le "danger" serait de rester "coincés dans une boule de nostalgie et de mélancolie", estime Jake Schneider.

Débattre de l'identité juive et de la politique en yiddish constitue en ce sens un remède: à Weimar, Daniel Kahn, musicien réputé, a abordé le sujet douloureux des attaques du Hamas le 7 octobre et de la réponse militaire israélienne dévastatrice à Gaza.

"Leur mort ne ressuscitera pas les morts" et "leur faim n'est pas notre pain", a-t-il chanté, interprétant une oeuvre du poète Zackary Sholem Berger, portant sur la guerre de Gaza.

Pour M. Kahn, les traditions yiddish multiséculaires permettent de "confronter le présent, et même l'avenir".

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