La chute d'el-Facher, annoncée dimanche par les paramilitaires soudanais, menace de sceller le sort d'un Soudan ravagé par plus de deux ans de guerre, faisant courir le risque d'une fracture territoriale dans ce pays déjà amputé du sud en 2011.
Les experts craignent à la fois une partition du pays et un retour des massacres qui avaient, il y a vingt ans, ensanglanté le Darfour.
Si leur victoire se confirme, les Forces de soutien rapide (FSR) contrôleront l'ensemble du Darfour, région aussi vaste que la France, excluant l'armée d'un tiers du territoire soudanais.
"C'est le moment que beaucoup redoutaient, celui de la partition claire du Soudan", estime Alan Boswell, directeur pour la Corne de l'Afrique au sein du groupe de réflexion International Crisis Group. "Que cela se confirme ou non, le pays est désormais de facto divisé."
Selon lui, "plus la guerre dure, plus cette division deviendra concrète et sera difficile à inverser."
L'armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, administre le nord, le centre et l'est tandis que les FSR, commandées par le général Mohamed Daglo, contrôlent l'ouest et certaines parties du sud, avec leurs alliés. Les deux camps sont en guerre depuis avril 2023, tous deux accusés d'exactions.
Ces derniers jours, l'armée a multiplié les frappes aériennes sur Nyala, dans l'ouest, où les FSR ont installé leur administration parallèle, contestant la légitimité du gouvernement pro-armée formé à Port-Soudan, dans l'est.
Dans le Kordofan, région pétrolifère, les combats sont particulièrement violents. L'ONG Emergency Lawyers, qui documente les atrocités du conflit, a signalé des massacres à Bara, ville stratégique du Kordofan-Nord que les FSR affirment avoir reprise.
- Les fantômes du passé -
Lundi, des militants pro-démocratie ont affirmé que les habitants d'el-Facher avaient subi "les pires formes de violences" et dénoncé des "nettoyages ethniques" depuis que les FSR ont proclamé leur "victoire".
Le contrôle des FSR "symbolise l'enfer pour les civils", affirme Mohaned el Nour, chercheur soudanais et avocat pour les droits humains. "Et l'enfer a déjà commencé".
Vingt ans après les violences au Darfour, objet d'accusations de génocide, beaucoup craignent de voir l'histoire se répéter.
"C'est dans leur ADN: ils ont été formés pour tuer, violer et piller", accuse l'expert soudanais.
Les FSR sont issues des milices arabes Janjawid, initialement créées pour combattre les groupes rebelles.
Leurs attaques passées --massacres, viols, incendies de villages-- ont fait environ 300.000 morts au Darfour et quelque 2,5 millions de déplacés, selon l'ONU, provoquant l'indignation et des accusations de crimes de guerre contre le président déchu Omar el-Béchir.
Début octobre, la Cour pénale internationale (CPI) a reconnu Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, chef milicien soudanais et ancien membre des Janjawid, coupable de crimes contre l'humanité après avoir participé à de "multiples crimes de guerre" entre 2003 et 2004. L'ONU a souligné que ce verdict devrait servir "d'avertissement" aux acteurs actuels du conflit.
L'an dernier, la prise par les FSR d'el-Geneina, dans le Darfour Occidental, avait tué jusqu'à 15.000 civils, principalement issus de communautés non arabes.
- Puissance étrangère -
Pour Mohaned el Nour, la chute d'el-Facher place les FSR "dans une position favorable pour négocier et revendiquer un Etat indépendant" dans l'ouest du Soudan, déjà amputé du Sud en 2011.
Mais pour Cameron Hudson, expert au Centre d'études stratégiques et internationales, leur absence de gouvernance pourrait rendre cette revendication "assez fragile".
La situation est d'autant plus complexe que les belligérants bénéficient chacun de soutiens étrangers cherchant à peser sur un pays riche en or, traversé par le Nil et bordé par la mer Rouge. Les FSR ont reçu armes et drones des Emirats arabes unis, d'après des rapports de l'ONU, tandis que l'armée a bénéficié de l'appui de l'Egypte, de l'Arabie saoudite, de l'Iran et de la Turquie, selon des observateurs. Tous nient toute implication.
Vendredi, de nouveaux pourparlers de paix à Washington entre les Etats-Unis, l'Arabie saoudite, l'Egypte et les Emirats arabes unis --un groupe de médiateurs connu sous le nom de "Quad"-- n'ont abouti à aucun accord.
Pour Alan Boswell, la chute d'el-Facher marquerait "la fin d'une bataille longue et coûteuse pour les FSR" et leur donnerait "un levier supplémentaire dans les négociations de paix."

