L'ex-Première ministre du Bangladesh en exil, Sheikh Hasina, a estimé mercredi dans un entretien avec l'AFP que la tenue d'un scrutin, le premier depuis sa destitution, sans son parti, risque d'accentuer les fractures politiques du pays.
Dans une réponse écrite adressée à l'AFP, Mme Hasina a qualifié de "farce juridique" son procès par contumace, pour avoir ordonné la répression des émeutes étudiantes au cours de l'été 2024 - au terme duquel la peine de mort a été requise.
L'ex-dirigeante autocrate de 78 ans, qui vit en exil en Inde depuis sa chute, a estimé que son procès pour cinq chefs d'accusation relevant dans le droit bangladais du crime contre l'humanité, était motivé par des considérations politiques.
Surnommée la "bégum de fer", Mme Hasina, qui a régné sans partage sur le pays pendant 15 ans (2009-2024) s'est dit convaincue qu'un verdict de culpabilité avait été "préétabli".
Selon un bilan de l'ONU, au moins 1.400 personnes ont été tuées pendant ces troubles, la plupart par les forces de sécurité.
Mais l'ancienne cheffe du gouvernement ne plie pas. Au risque de susciter la colère de ses nombreux détracteurs, qui affirment qu'elle s'est montrée impitoyable pour conserver le pouvoir, elle déclare "pleurer toutes les vies perdues pendant les jours terribles" lorsque les forces de l'ordre ont tiré sur les manifestants.
Mme Hasina, qui a refusé de comparaître, a dit rejeter "les accusations (...) en totalité", estimant qu'elles ne "sont soutenues par aucune preuve".
"Elles ont été formulées par un gouvernement non élu, composé de mes opposants politiques, pour me juger par contumace pour des crimes passibles de la peine de mort".
- "Procédure à motivation politique" -
La semaine dernière, le procureur général Tajul Islam, qui a requis la peine de mort à son encontre, a accusé l'ex-dirigeante d'avoir été "le centre névralgique autour duquel tous les crimes ont été perpétrés" lors de la révolte étudiante.
Un verdict est attendu le 13 novembre.
"Un verdict de culpabilité est préétabli, malheureusement, et je ne serai pas surprise lorsqu'il sera rendu", a-t-elle lancé.
Elle estime que le tribunal visait les membres de son parti aujourd'hui interdit, la Ligue Awami.
"Il s'agit clairement d'une procédure à motivation politique", a-t-elle ajouté.
Mme Hasina, qui a été défendue par un avocat commis d'office, affirme qu'elle ne reconnaîtra qu'une procédure "impartiale", comme celles menées par la Cour pénale internationale (CPI).
"L'accusation selon laquelle j'aurais personnellement ordonné aux forces de sécurité d'ouvrir le feu sur la foule est infondée".
Elle admet cependant que "des erreurs ont certainement été commises au sein de la chaîne de commandement".
"Mais dans l'ensemble, les décisions prises par les hauts responsables du gouvernement étaient de nature proportionnée, prises de bonne foi et destinées à minimiser les pertes en vies humaines".
L'accusation a diffusé des enregistrements audio laissant penser que l'ancienne chef du gouvernement avait directement ordonné aux forces de sécurité d'"utiliser des armes létales" contre les manifestants.
Mme Hasina les estime "sortis de leur contexte".
Au sujet des élections générales, promises par le gouvernement provisoire, en février 2026, elle estime que la non participation de son parti, la Ligue Awami, interdite en mai par les autorités, va aggraver la crise politique actuelle.
"Des élections sans la participation directe de tous les principaux partis, y compris la Ligue Awami, ne peuvent pas être crédibles", a-t-elle estimé dans sa réponse aux questions de l'AFP.
- Sa priorité: "la stabilité" -
Si elle a continué à adresser des messages à ses partisans sur les réseaux sociaux, il s'agit de son premier entretien avec des journalistes depuis qu'elle a quitté en hélicoptère son palais menacé par les émeutiers.
"Sans la participation de la Ligue Awami, cela sème les graines de futures divisions dans le pays", soutient-elle.
Le chef du gouvernement provisoire du Bangladesh, le Prix nobel de la Paix, Muhammad "Yunus doit rétablir la Ligue Awami pour donner aux Bangladais le choix qu'ils méritent".
Son gouvernement était accusé par des organisations de défense des droits de graves violations des droits humains et d'avoir mené une répression impitoyable contre l'opposition.
La Ligue Awami a été déclarée illégale en vertu d'une loi réprimant les activités "terroristes", une mesure que Human Rights Watch a qualifiée de "draconienne".
"Des élections libres et équitables nécessitent une véritable compétition (électorale), la possibilité pour tous les partis de faire campagne, ainsi que le droit pour les électeurs de choisir entre différentes alternatives", a martelé l'ex-dirigeante.
"Les élections sont une compétition d'idées. Vous ne pouvez pas ostraciser un parti parce que vous n'aimez pas ses politiques".
Ses adversaires, longtemps réprimés, sont aujourd'hui en pleine résurgence.
Le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) est considéré comme un favori du prochain scrutin, tandis que le Jamaat-e-Islami, le principal parti islamiste de ce pays à majorité musulmane, connait un regain de popularité.
Elle a également dénoncé la répression actuelle contre ses partisans, notamment lorsque la police a arrêté, en février, 1.300 personnes lors d'une vaste opération baptisée "Chasse aux Démons" visant des gangs soupçonnés d'être liés à l'ex-dirigeante.
Début octobre, des avocats de la Ligue Awami ont demandé à la CPI d'enquêter sur ces "violentes représailles".
Interrogée sur son avenir par l'AFP, et notamment sur un éventuel retour en politique, elle a répondu : "ma priorité est le bien-être et la stabilité du Bangladesh".

