Violences sexuelles sur mineurs: la prescription en débat dans l'UE

Faut-il rendre imprescriptibles les violences sexuelles sur mineurs ? Diverses législations existent dans les pays de l'Union européenne qui se penche sur la question.

Quel est le contexte ?

Les règles en matière de prescription, soit la durée au-delà de laquelle une action en justice n'est plus recevable, varient considérablement d'un Etat européen à l'autre pour les infractions sexuelles sur mineurs.

L'UE, qui travaille à la révision d'une directive, envisage de rendre ces violences imprescriptibles.

Des négociations entre le Parlement européen, la Commission européenne et les Etats membres sont prévues. Une réunion d'étape se tient notamment jeudi.

Quels arguments pour l'imprescriptibilité ?

La prescription "empêche les survivants de violences sexuelles d'accéder à la justice", estime auprès de l'AFP Miguel Hurtado Calvo, membre du mouvement Brave, réseau de lutte contre ces violences, qui publie mercredi un rapport sur le sujet.

Les victimes, fragilisées par le traumatisme lié aux actes subis à un jeune âge, mettent parfois des années à parvenir à les dénoncer. Certaines souffrent aussi d'amnésie traumatique.

En cas d'inceste, "il faut du temps pour que l'enfant prenne conscience que ce qu'il vit est anormal et trouve le courage de s'opposer à l'équilibre familial", souligne auprès de l'AFP Solène Podevin Favre, présidente de Face a l'inceste. "Souvent la famille ne dénonce pas et impose le silence".

L'imprescriptibilité garantirait aux victimes un accès à la justice et permettrait de lutter contre l'impunité des agresseurs, soulignent ainsi de nombreuses associations. D'autant que certains dossiers "sont prouvables même des années plus tard", avec par exemple des messages, anciens ou récents, qui évoquent les faits, explique à l'AFP l'avocate Carine Durrieu-Diebolt.

Quels arguments contre ?

L'existence d'une date butoir encourage les victimes à agir avant son expiration, affirme l'association Colosse aux pieds d'argile.

L'imprescriptibilité pourrait générer de nouvelles "souffrances pour les victimes", prévient de son côté la fédération France Victimes. "Avec le temps, les preuves sont plus difficiles à obtenir: les témoignages deviennent moins fiables, les éléments matériels disparaissent", ce qui peut conduire à des classements sans suite, une relaxe ou un acquittement.

Et en cas de condamnation dans une affaire ancienne, la peine risquerait d'être difficilement exécutable en raison de l'âge avancé de l'agresseur.

En France, la justice ne serait pas en mesure de faire face à l'augmentation du volume d'affaires à traiter, engendrée par l'imprescriptibilité. "Malheureusement, on n'a pas le luxe de se dire qu'on peut enquêter sur des affaires vieilles de 30 ans", déplore Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l'Union Syndicale des Magistrats.

Cela remettrait en question aussi l'exception de l'imprescriptibilité, réservée en droit pénal français aux crimes contre l'humanité.

Quelle est la situation en France ?

En justice pénale, le délai de prescription pour un viol sur mineur est de 30 ans à compter de la majorité de la victime. Les délais sont plus courts pour les différents cas d'agressions sexuelles sur mineurs.

Au civil, le délai pour viol sur mineur est de 20 ans, à partir de la "consolidation" - le moment où la victime est psychiquement stabilisée, établi par des médecins.

"L'abolition des délais de prescription est la demande la plus formulée" par les victimes, avait constaté la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) dans un rapport de 2023. Sur 27.000 témoignages collectés, 75% concernait des faits prescrits.

Des affaires, comme celle de Bétharram, ont également relancé le débat.

Quelle est la situation ailleurs dans l'UE ?

La Belgique, Chypre, le Danemark, la Hongrie, l'Irlande et les Pays-Bas ont rendu imprescriptibles la plupart ou la totalité des infractions sexuelles sur les enfants, selon Brave Movement.

D'autres pays (Autriche, Croatie, Estonie, Lettonie, Luxembourg, Pologne, Roumanie, Slovénie et Suède) ont seulement rendu imprescriptibles les infractions "les plus graves", comme le viol sur mineur.

Une douzaine d'Etats-membres imposent des délais de prescription variables.

Dans la plupart, le point de départ du délai est repoussé à la majorité de la victime ou à plus tard. Mais dans certains (Bulgarie, Finlande, Lituanie, Slovaquie), il commence à courir à partir de la date de l'infraction.

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