Deux ans presque jour pour jour après qu’une cour finlandaise au complet ait foulé le sol du Liberia pour y juger un ancien rebelle sierra léonais pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, juges, procureurs et avocats de la défense finlandais sont de retour à Monrovia, la capitale libérienne. Après l’acquittement de Gibril Massaquoi en première instance, une formation d’appel doit y atterrir le 31 janvier. Pour certains parmi eux, comme les procureurs Tom Laitinen et Matias Londen ou l’avocat de la défense Kaarle Gummerus, les lieux sont familiers : ils y ont déjà passé de longs mois en 2021. Pour le nouveau panel de juges, en revanche, c’est une aventure judiciaire inhabituelle qui commence.
Ce procès d’appel, qui a commencé début janvier à Turku, sur la côte sud-ouest de la Finlande, devrait beaucoup ressembler à celui de 2021. Dès l’arrivée, toute la cour se déplacera dans le nord du pays, dans la province du Lofa, où se situent plusieurs scènes des crimes allégués. Puis elle visitera le lieu des crimes présumés commis à Monrovia, dans le quartier de Waterside, au centre-ville. Le 6 février, l’ouverture des audiences aura lieu dans le même hôtel de la banlieue de Monrovia qu’il y a deux ans. La cour a prévu d’y rester environ deux mois, avant de retourner siéger à Turku en avril, et de repartir pour deux semaines en Sierra Leone, en mai. Si le calendrier ne bouge pas d’ici là et si les autorités sierra léonaises acceptent bien la venue de la justice finlandaise dans le cadre d’une assistance judiciaire bilatérale.
Pas de nouvelle preuve
Entre ces deux procès, il n’y a eu aucune nouvelle enquête. Selon le procureur Laitinen, interrogé par Justice Info, ce sont exactement les mêmes témoins à charge qui sont attendus pour déposer à Monrovia. Il n’y a pas de nouvelle preuve. Certains témoins, en revanche, ne sont plus. Les déclarations de 2021 de deux d’entre eux, décédés depuis, ont été écoutées à Kurtu avant le départ en Afrique de l’Ouest. D’autres n’ont pas encore confirmé leur accord pour témoigner à nouveau. Le seul témoignage nouveau apporté par l’accusation sera celui d’une experte en criminologie, dont la déposition est prévue le 14 avril à Turku.
La défense, de son côté, annonce quelques témoins nouveaux, dont d’anciens gardiens de la résidence sécurisée d’un tribunal de l’Onu où Massaquoi se trouvait officiellement à partir de 2003, à Freetown, la capitale sierra léonaise. L’ancien chef de l’unité de protection des témoins de ce tribunal qui a siégé en Sierra Leone entre 2002 et 2013, Saleem Vahidy, dont le témoignage n’avait pu être entendu lors du procès en première instance, se trouve à nouveau sur la liste des témoins prévus en avril.
Paula Sallinen, la seconde avocate de Massaquoi, annonce avec prudence qu’ils attaqueront le dossier « pièce par pièce ». « Nous avons confiance », dit-elle à Justice Info, « le jugement de première instance est très méticuleux, c’est un peu plus facile de se préparer car la dernière fois nous n’avions que des résumés de la police » des déclarations des témoins.
Entre 2021 et 2023, l’impression de bis repetita est donc inévitable. Il existe pourtant quelques différences notables. La première, bien sûr, est que ce procès s’ouvre sur fond d’un acquittement unanime de l’accusé en première instance. Ainsi, Massaquoi assistera à ce second procès en homme libre. Cela permet à ses deux avocats d’être présents à Monrovia tandis que l’accusé suivra seul les audiences depuis une salle du tribunal de Turku, en contact électronique avec ses conseils. Une absence de poids sera aussi notée : Thomas Elfgren, le policier qui a mené toutes les enquêtes dans ce dossier et qui, en 2021, agissait pendant le procès comme un maître d’œuvre omniprésent de l’organisation logistique des audiences, de l’accès aux témoins et de la relation avec les médias, est désormais à la retraite. Cette figure à la fois chaleureuse et intrigante, ouvertement partisane de la culpabilité de Massaquoi, avait déployé tout son charisme pour influencer le sens à donner aux témoignages entendus à la cour.
Théorie de l’accusation
Le style de la justice finlandaise est toujours marqué par la modération des déclarations et le rejet des propos tonitruants. Le procureur Laitinen pèse donc chaque mot avec prudence : « Nous pensons que les événements se sont probablement déroulés à Monrovia pendant l’été 2003. Nous pensons que les événements dans le Lofa se sont probablement passés en juillet-août 2001. » Mais la cour peut choisir une autre date, dit-il. « Nous ne pouvons pas dire que nous allons gagner. Nous sommes simplement en désaccord avec les conclusions de la chambre de première instance. Il s’agit davantage de savoir comment on interprète les déclarations de témoins. La chambre de première instance déclare que tous les témoins sont fiables, qu’ils n’ont pas menti, mais que la preuve est insuffisante. C’est là-dessus que nous ne sommes pas d’accord. C’est la raison pour laquelle nous avons une nouvelle experte. Que peut-on exiger d’un témoin si l’on prend en compte l’expérience qu’il a traversée ? C’est le principal point pour lequel nous avons porté l’affaire en appel. »
Il n’en demeure pas moins que le procureur revient devant la cour avec une théorie historique et logistique jugée extravagante – du moins sur les crimes de Monrovia – par les experts des conflits sierra léonais et libérien d’il y a vingt ans et du parcours singulier de Massaquoi, un ancien commandant rebelle devenu un informateur protégé d’un tribunal de l’Onu (ce qui lui avait fait bénéficier d’un asile en Finlande où il résidait quand une plainte avait été déposée par des ONGs, menant à son arrestation en 2020). Mais il peut encore espérer des juges moins alertes sur certaines réalités historiques ou plus sensibles au rapport qu’il veut faire prévaloir entre traumatisme et crédibilité des témoignages.