Boutcha : neuf soldats russes condamnés et d'autres procès à venir

Fin août, le tribunal de la ville d'Irpin a reconnu neuf soldats russes coupables de crimes de guerre commis à Boutcha, dans la région de Kyiv, en mars 2022. Ce procès par contumace est une première après les enquêtes menées en Ukraine sur les crimes perpétrés à Boutcha, qui ont choqué le monde. Plusieurs autres procédures sont en cours et bientôt un autre procès est attendu (lire encadré), cette fois en présence de militaires russes.

Soldats russes jugés en Ukraine pour leurs crimes de guerre commis à Boutcha – Le mémorial de Boutcha consacré aux victimes.
Mémorial inauguré en juillet dernier, comprenant 501 plaques portant les noms de victimes civiles identifiées, tuées par les troupes russes pendant leur occupation de Boutcha, au nord de Kyiv (Ukraine) , entre le 27 février et le 31 mars 2022.
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Un groupe de neuf militaires de la Fédération de Russie qui ont commis des violences à l'encontre d'un civil résidant à Boutcha (au nord de Kyiv, la capitale de l'Ukraine) – qu’ils ont séquestré, les mains attachées, les yeux bandés avec du ruban adhésif et qu’ils ont battu – ont été condamnés par contumace lors d'une audience organisée fin août, dans la ville voisine d'Irpin.

Après deux mois d'enquête et de procédures préliminaires, il a été établi que les neuf soldats russes - Vasily Knyazev, Mikhail Kashin, Vyacheslav Lavrentiev, Semyon Maltsev, Grigory Naryshkin, Sergey Peskarev, Albert Radnayev, Dmitry Sergienko et Andrey Bizyaev -, qui ont franchi la frontière ukrainienne après le 24 février 2022, ont détenu et interrogé à plusieurs reprises un civil de Boutcha, qui travaillait comme réparateur de matériel électronique, pour lui extorquer des informations sur les positions de l'armée ukrainienne.

« Les militaires russes ont à plusieurs reprises pris la victime (...) et l'ont retenue contre son gré dans l'un des appartements du complexe résidentiel Parkova Oselya à Lisova Boutcha, l'ont affamée et l'ont battue. Plus tard, il a été libéré, mais il a été emmené pour interrogatoire à deux autres reprises, chaque fois par des soldats russes différents. Selon la victime, ils le soupçonnaient d'aider les forces armées ukrainiennes en tant qu'électronicien », explique Serhiy Shubchyk, du bureau du procureur d'Irpin.

Selon le procureur, la victime [dont l'identité a été protégée] a reconnu les militaires russes qui l'ont torturé sur une photo. Leurs contacts, numéros de téléphone, noms et prénoms, lieux de service et comptes de réseaux sociaux ont été identifiés, a-t-il expliqué. Les suspects ont été informés de la procédure par le Journal officiel et par le bureau du procureur général, mais aucun d'entre eux ne s'est présenté au tribunal. Des avocats commis d'office les ont représentés au procès. Selon l'un des avocats, Yuriy Myshko, ils ne sont pas parvenus à contacter les militaires russes et leurs proches pour présenter correctement leur défense.

« Après avoir tenté de contacter les accusés via les réseaux sociaux, leurs comptes disparaissaient, non seulement les leurs mais aussi ceux de leurs proches. La défense a fait tout son possible pour représenter correctement les accusés. Pendant l'audience, j'ai déposé un appel à la discrétion de la cour, car je ne connaissais pas la position de mes clients », a déclaré Myshko, l'un des avocats des accusés.

Selon le registre public des décisions de justice, le tribunal d’Irpin a déclaré les neuf militaires de la Fédération de Russie coupables d'avoir commis une infraction pénale au titre de l'article 438 (« violation des lois et coutumes de la guerre »). Il a condamné à 12 ans de prison le commandant de l'armée russe Andrey Bizyaev, qui a donné des ordres criminels, à 11 ans et 6 mois de prison Dmitry Sergienko, Semyon Maltsev, Mikhail Kashin et Vasily Knyazev, et à 11 ans de prison les autres soldats russes.

La seule source directe de preuves dans cette affaire étant le témoignage de la victime, celui-ci a été examiné de manière approfondie au cours du procès et reconnu comme cohérent et logique. Aucune différence significative entre son témoignage et la thèse de l'accusation n'a été constatée au cours de l'audience, a conclu la cour à l'issue d'une procédure qui s'est déroulée sur une période de six mois.

Comment faire exécuter la peine ?

Les condamnés doivent purger leur peine à compter du jour de leur arrestation. Mais tant qu’ils sont en Russie, il existe des mécanismes pour traduire les criminels en justice, explique le procureur : "Tout d'abord, il est nécessaire de divulguer correctement le verdict et, avec l'aide de la coopération internationale, s'ils quittent leur pays, il sera possible de les détenir et de les transférer dans le pays où ils ont été condamnés. C'est le moyen le plus efficace et le plus efficient, mais il ne fonctionne que s'ils franchissent la frontière", explique Shubchyk.

À la suite des blessures infligées par les militaires russes, la victime a partiellement perdu la vue et a été blessée à la jambe. Le bureau du procureur lui a conseillé d'intenter une action civile et de demander une indemnisation pour préjudice moral et matériel, sur la base du verdict du tribunal.

EXÉCUTION DES ‘HOMMES EN NOIR’ A BOUTCHA : UN SUSPECT RUSSE PARLE

Le service de sécurité ukrainien soupçonne des militaires russes de la 76e division d'assaut aérien d'avoir commis des crimes de guerre, aggravés de préméditation, dans la ville de Boutcha (au nord de Kyiv, capitale de l'Ukraine). Les premiers suspects sont le commandant d'artillerie Dmytro Antonnikov, né en 1996, le spécialiste du renseignement Ruslan Gorshkov, né en 2003, le commandant de peloton adjoint Denis Monakhov, né en 1997, et Artem Derkach, né en 2003, originaire de Donetsk, qui occupe le poste d'artilleur principal. Selon l'enquête, ils étaient présents à Boutcha, dans la région de Kyiv, du 27 février au 30 mars 2022.

Le 27 février, des soldats à bord d'un canon d'artillerie automoteur 2S9 Nona-S descendaient la rue Vokzalna en direction de l'intersection avec la rue Nove Shosse. Selon le procureur, alors que le convoi se trouvait sur la route, l'officier supérieur de la batterie, Vadim Tsvetkov, a ordonné à ses subordonnés de considérer tous les civils vêtus de noir comme des ennemis.

Quelques minutes plus tard, près d'une supérette Novus, les Russes ont repéré un civil non armé qui travaillait comme agent de sécurité et portait un uniforme noir. Ils ont ouvert le feu. L'homme a reçu une balle perforante à la poitrine, causant des dommages au poumon droit, ce qui a entraîné une perte de sang importante. Les soldats ont continué à rouler dans la ville et la victime est décédée dans le sous-sol du magasin deux heures plus tard.

En janvier de cette année, les médias russes ont rapporté que Tsvetkov, un officier de la région de Tver, "est mort dans la zone de l'opération spéciale en Ukraine". Mais en février, un autre participant à la fusillade contre l'agent de sécurité, Nikolai Kartashov, a été capturé par les forces armées ukrainiennes dans la région de Kharkiv. En août, le ministère de l'Intérieur a fait part à Kartashov de ses soupçons. Le communiqué de presse indique que le prisonnier a témoigné de crimes de guerre commis par des soldats de son unité.

Selon la presse russe, Kartashov avait été condamné à une peine probatoire pour désertion en Russie en décembre dernier. Il a ensuite été renvoyé pour combattre en Ukraine et a été capturé. Pour ce crime de guerre, Kartashov de 15 ans de prison à la perpétuité.

Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur les sites d'information « Sudovyi Reporter » et « Kotsyubynske ».

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