27.01.12 - RWANDA/GENOCIDE - CE QUE DIT LE DISCOURS DE LEON MUGESERA A KABAYA

Washington, 27 janvier 2012 (FH) - Le 22 novembre 1992, Léon Mugesera, représentant du parti présidentiel pour la région de Gisenyi, prononce un discours devant un millier de militants du MRND réunis à Kabaya, une bourgade du Nord-Ouest du pays.

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Près de vingt ans plus tard et après 16 années de combat judiciaire, il vient d'être extradé par le Canada et emprisonné à Kigali, essentiellement pour les mots prononcés ce jour- là.

En 2005, la Cour suprême canadienne a en effet jugé que ce discours incitait à la haine, à la violence et au meurtre, estimant que Léon Mugesera avait « commis un crime contre l'humanité ».

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s'est basée sur la traduction française du discours - enregistré et filmé, faite par Thomas Kamanzi, un universitaire rwandais travaillant dans un institut de recherche à Butare.

Décrit par le sociologue et spécialiste du Rwanda André Guichaoua comme un « parfait représentant des intérêts des caciques nordistes », figure montante de la tendance dure du MRND, Mugesera avait l'habitude d'enflammer les foules lors de harangues populistes en kinyarwanda.

Ce 22 novembre 1992, un foulard du parti noué autour du cou, en costume-cravate, les yeux dissimulés par des lunettes aux verres fumés, il improvise pendant trente minutes  avec véhémence, le doigt levé, devant trois micros et une caméra.

L'essentiel de son intervention vise à expliquer à la foule comment « ne pas se laisser envahir » et comment « chasser les traîtres » des autres partis politiques, coupables selon lui de connivence avec les « inyenzi », les « cancrelats » du mouvement rebelle du Front patriotique rwandais « (FPR).

« Si quelqu'un vient un jour s'installer dans ton enclos et y défèque, accepteras-tu encore réellement qu'il y revienne ? Cela est tout à fait interdit », explique l'orateur, suggérant que les militants devraient chasser de leur région les sympathisants de toutes les autres formations politiques. « Si on te donne une gifle sur une joue, tu leur en donneras deux sur une joue et ils s'effondreront par terre pour ne plus reprendre leurs esprits ! », ajoute Mugesera pour faire bonne mesure.

Plus loin, il s'en prend violemment à la ministre de l'Education Agathe Uwilingiyimana, puis au premier ministre de l'opposition Dismas Nsengiyaremye, dont il suggère qu'il soit traduit en justice pour être condamné à mort. « Pourquoi ne tuerait-on pas cet individu ? », coupable selon lui de démoraliser les forces armées.

Le passage qui a été interprété comme une incitation directe au massacre de Tutsis est prononcé vers la fin du discours. « Dernièrement, j'ai dit à quelqu'un qui venait de se vanter devant moi d'appartenir au P.L. Je lui ai dit : L'erreur que nous avons commise en 1959 est que, j'étais encore un enfant, nous vous avons laissés sortir. Je lui ai demandé s'il n'a pas entendu raconter l'histoire des Falashas qui sont retournés chez eux en Israël en provenance de l'Ethiopie ? Il m'a répondu qu'il n'en savait rien ! Je lui ai dit : « Ne sais-tu pas donc ni écouter ni lire ? Moi, je te fais savoir que chez toi c'est en Ethiopie, que nous vous y ferons passer par la Nyabarongo pour que vous parveniez vite là-bas ».

En 1994, des Tutsis furent jetés, vivants ou morts, dans la rivière Nyabarongo, un des affluents du Nil.

Résumant sa pensée, Mugesera conclue « Sachez que celui à qui vous ne couperez pas le cou, c'est celui- lè même qui vous le coupera ».

Trois jours après cette intervention, le ministre de la Justice - poste alors occupé par un membre de l'opposition - délivre un mandat d'amener contre Léon Mugesera, qui s'enfuit au Zaïre. Il gagnera finalement le Québec où il obtiendra un statut de réfugié puis de résident permanent, qui sera contesté dès 1995.

GF/ER  

© Agence Hirondelle