27.02.12 - HABRE/BELGIQUE - LE DIFFEREND ENTRE BRUXELLES ET DAKAR SUR LE CAS HABRE DEVANT LA CIJ

Bruxelles, 27 février 2012 (FH) - A partir du 12 mars, la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye va examiner le différend opposant la Belgique et le Sénégal, après que ce dernier a rejeté en janvier pour la troisième fois une demande d'extradition du Royaume visant Hissène Habré, qui vit en exil à Dakar.

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L'ex-dictateur tchadien, au Sénégal depuis plus de vingt ans, est recherché par la justice belge - en vertu du principe de la compétence universelle - pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et tortures commis sous son régime entre 1982 et 1990. 

Depuis 2000 et l'inculpation de Habré au Sénégal, il n'y a eu  dans ce dossier que « reports successifs et déceptions », déplore Jacqueline Moudeïna,  avocate des victimes et présidente de l'Association tchadienne pour la protection des droits de l'homme.

Une plainte avait été déposée par des victimes en 2000, à Bruxelles. « Les Belges ont instruit plusieurs années, et ils sont prêts. C'est la meilleure solution », estime Jacqueline Moudeïna. Un mandat d'arrêt issu par la justice belge court depuis 2005.

Or, la cour d'appel de Dakar a déclaré pour la troisième fois, le 11 janvier, que la demande d'extradition de la Belgique était irrecevable.  Elle a exigé que la Belgique produise des pièces « en original ou en expédition authentique ». Seules des copies lui seraient parvenues.

Le gouvernement belge assure au contraire avoir respecté les formes requises. Une quatrième demande d'extradition a été déposée le même jour à l'ambassade du Sénégal à Bruxelles.

En août 2011, la justice sénégalaise avait déjà rejeté une demande similaire de la Belgique, après s'être déclarée incompétente en 2005, sans se prononcer sur le fond.

« C'est un sabotage, assure Me Demba Ciré Bathily, un avocat des victimes. L'État met les juges dans une situation où ils ne peuvent apprécier le bien-fondé de la demande. » Selon lui, les dossiers sont tronqués avant de parvenir aux juges sénégalais. « J'ai parlé avec les magistrats, confie-t-il. Ils me disent : on ne peut pas faire autrement, avec ce qui nous parvient.»  Fatou Kama, directrice exécutive de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme(RADDHO), abonde : « Nous savons de source sûre que les juges n'ont pas reçu les bonnes pièces.» Comme Me Ciré Bathily, elle pointe la responsabilité des ministères des Affaires étrangères et de la Justice, par qui les pièces doivent transiter.

« Normal, Madické Niang et Cheikh Tidjane ont été des  avocats de Habré! », s'insurge Clément Abaïfouta, président de l'Association des victimes des crimes et de la répression politique au Tchad.

« Il est possible que cela bloque là, nuance Reed Brody, porte-parole de Human Rights Watch. Ces autorités doivent vérifier les formalités de la demande d'extradition. En cas de problème, ils auraient dû contacter leurs homologues belges. » 

Ce ping-pong qui se joue autour de la demande d'extradition souligne la profondeur des réseaux d'influence de Habré au Sénégal: « C'est un fait : le ministre des Affaires étrangères était le coordinateur de sa défense. D'autres au gouvernement sont réputés proches de lui. Habré a quitté son pays en ayant vidé le Trésor public. Il a certainement investi cet argent pour se protéger », selon Reed Brody. Des rapporteurs des Nations unies ont déjà condamné, en 2000, des immixtions du pouvoir dans ce dossier. 

Le président Abdoulaye Wade, en pleine campagne électorale, a déclaré le 5 janvier à France 24 et RFI que « Habré serait renvoyé en Belgique (...) si les formes sont respectées ». Le prenant au mot, le Comité international pour le jugement équitable de Hissène Habré, dans une lettre ouverte du 8 février, enjoint le président, qui a multiplié au fil des ans les déclarations contradictoires, de « veiller à l'intégrité de la quatrième demande d'extradition ».

Pour Me Ciré Bathily, le Sénégal « n'a jamais eu la volonté de juger ou de faire juger Habré. La Belgique a saisi en février 2009 la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye de ces atermoiements, Dakar devant légalement « extrader ou juger ».

Plus de 22 ans après les faits, Jacqueline Moudeïna souligne « l'urgence » de juger Habré, qui vit librement à Dakar, alors que les victimes survivantes vieillissent et meurent. Clément Abaïfouta, lui-même torturé dans les geôles du régime tchadien, appelle au « respect des victimes » :« Nous avons assez attendu. »

BF/GF

© Agence Hirondelle