La Suisse reconnaît un "crime contre l'humanité" à l'encontre de Roms

La Suisse a pour la première fois reconnu jeudi sa responsabilité dans "un crime contre l'humanité", qui a visé pendant des décennies certaines communautés Roms, estimant qu'environ 2.000 d'entre eux dont des centaines d'enfants ont été placés de force.

C'est "une page très sombre de notre histoire", a déclaré la ministre de l'Intérieur, Elisabeth Baume-Schneider, présentant à la presse le rapport chargé d'établir si la persécution par la Suisse des Yéniches et des Manouches (également appelés Sintés) peut être reconnue comme un crime contre l'humanité ou comme un génocide.

Yéniches et Manouches sont considérés par l'Union romani internationale, tout comme par l'ONU, comme appartenant à la communauté des Roms.

"C'est la première fois que je suis aussi émue mais aussi fière d'être à une conférence de presse", a-t-elle ajouté.

"Cette étape est merveilleuse et ouvre des portes longtemps fermées", s'est exclamé Isabella Huser, écrivaine yéniche membre de la Commission fédérale contre le racisme citée par l'agence Keystone-ATS.

Jusqu'en 1981, une série de mesures de coercition à des fins d'assistance et de placements extra-familiaux ont frappé plus d'une centaine de milliers d'enfants et d'adultes sur le territoire suisse, selon le gouvernement.

Les victimes étaient des personnes dont le mode de vie ne correspondait pas aux normes sociales de l'époque -comme les "gens du voyage"- ou défavorisées.

S'il écarte l'accusation de génocide demandée par des associations, "le gouvernement reconnaît que les actes perpétrés dans le cadre du programme +OEuvre des enfants de la grand-route+ doivent être qualifiés de crimes contre l'humanité selon les critères du droit international public actuel", selon un communiqué.

"On entend par crimes contre l'humanité une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile", a expliqué la ministre.

C'est la première fois que la Suisse reconnaît sa responsabilité dans un "crime contre l'humanité", a indiqué l'auteur du rapport, Oliver Diggelmann, professeur de droit international public à l'Université de Zurich.

L'association de défense des gens du voyage suisses (DGDVS) salue aussi une avancée. "C'est un point important", déclare son président Stève Gerzner. Mais la Suisse doit faire davantage pour préserver la culture des gens du voyage suisses.

"Beaucoup a été fait pour les communautés étrangères, mais très peu pour les Yéniches et les Manouches", précise M. Gerzner.

Le représentant de l'association appelle la Suisse à créer des places d'accueil pour ces communautés en guise de réparation.

- "enlèvements d'enfants" -

Le principal artisan de ces "enlèvements d'enfants" est l'OEuvre des enfants de la grand-route, un programme de la fondation Pro Juventute.

Cette opération "d'une extrême brutalité" recevait des subventions fédérales et des ministres siégeaient à la fondation ou la présidaient, a indiqué Mme Baume-Schneider.

Entre 1926 et 1973, les responsables de cette opération, avec l'aide des autorités, retirent à leurs parents environ 600 enfants yéniches pour les placer de force dans des foyers, des maisons de correction et des familles d'accueil. Des Manouches font également partie des victimes.

Des adultes ayant été placés pendant leur minorité sont mis sous tutelle ou placés dans des institutions, frappés d'une interdiction de mariage et, dans certains cas, stérilisés de force.

Outre Pro Juventute, des organisations caritatives religieuses et des autorités ont également été actives.

"La persécution systématique des Yéniches et des Manouches n'a été possible qu'avec le soutien" et "la collaboration des autorités", a assuré la ministre.

- Travail de mémoire -

Dans le courant des années 1970 et 1980, ces pratiques de placements forcés se sont heurtées de plus en plus souvent aux critiques de l'opinion publique.

Par la suite, le Parlement, sur proposition du gouvernement, a accordé un total de onze millions de francs suisses (plus de 11,6 millions d'euros) pour la constitution d'un fonds de réparation destiné aux "enfants de la grand-route".

En 2013, le gouvernement suisse a présenté ses excuses à toutes les victimes. Depuis, la Confédération a lancé et mis en oeuvre différentes mesures visant à poursuivre le travail de mémoire et à dédommager les personnes lésées.

La Suisse a réitéré jeudi "les excuses formulées en 2013 à l'égard des personnes et des communautés touchées pour les injustices commises". Et la ministre a expliqué que les autorités vont examiner comment élargir le travail de mémoire, notamment au niveau scolaire.

Justice Info est sur Bluesky
Comme nous, vous étiez fan de Twitter mais vous êtes déçus par X ? Alors rejoignez-nous sur Bluesky et remettons les compteurs à zéro, de façon plus saine.
Poursuivez la lecture...