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Bénin : le souffle faible des restitutions

Pillé par les Français, rendu par la Finlande, le Kataklè, un tabouret royal à trois pieds utilisé pour le sacre des rois béninois, a été restitué la semaine passée de façon discrète au Bénin, où l’on s’interroge sur la politique de l’État en matière de retour et de mise en valeur des objets d’art.

Restitution d'un objet culturel (tabouret royal) de la Finlande au Bénin. Photo : Mari-Leena Talvitie, ministre de la Science et de la Culture finlandaise, remet un tabouret royal anciennement pillé par la France au ministre béninois du Tourisme et de la Culture, Jean-Michel Abimbola.
Mari-Leena Talvitie, ministre de la Science et de la Culture finlandaise, remet un tabouret royal anciennement pillé par la France au ministre béninois du Tourisme et de la Culture, Jean-Michel Abimbola, le 13 mai 2025 à Cotonou (Bénin). Photo : © Présidence du Bénin
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Près de quatre ans après l’accueil solennel des 26 trésors royaux restitués par la France, le Bénin a reçu, ce 13 mai 2025, une 27e œuvre pillée du temps de la colonisation. Il s’agit d’un tabouret royal dénommé « Kataklè ». Initialement conservé au Musée de l’homme à Paris, l’objet avait été transféré en Finlande à la suite d’un échange entre institutions muséales. Cette restitution s’ajoute à la précédente et relance le débat sur le devenir des biens culturels récupérés ainsi que sur la politique de restitution menée par le Bénin. 

Le Kataklè, tabouret royal à trois pieds utilisé pour le sacre du roi, a parcouru plus de 6.000 km pour rejoindre discrètement Cotonou le 11 mai 2025, transporté dans une caisse grise par une délégation finlandaise. À la différence des 26 trésors rapatriés en 2021, accueillis avec une parade à travers la capitale économique, Cotonou, et exposés à la présidence, l’arrivée à l’aéroport de Cotonou s’est faite cette fois dans la sobriété la plus totale, de nuit, sans public ni couverture médiatique.

Mardi 13 mai en matinée, au Palais de la Marina (présidence de la République), la cérémonie officielle de réception était elle aussi réduite à l’essentiel. Peu d’invités, très peu de journalistes. Notre correspondante, initialement invitée, a été désinvitée par message quelques heures auparavant.

Les mains gantées, la ministre finlandaise de la Culture, Mari-Leena Talvitie, remet le siège symbolique à son homologue béninois Jean-Michel Abimbola, devant les objectifs de quelques caméras de médias du service public et de médias internationaux. Le ministre béninois saisit l’occasion pour évoquer la symbolique de la star de la cérémonie « modeste par son apparence mais d’une signification lourde et très profonde, ce Kataklè, utilisé lors des rituels princiers de la cour royale incarne à la fois l’élégance, la sobriété et la modernité des expressions artistiques traditionnelles ».

Entreposés dans une réserve à la présidence

Le Kataklè, haut de 20 centimètres, est le tout premier attribut du pouvoir selon l’historien béninois Gabin Djimasse. Ce tripode en bois sculpté dans une seule pièce est le symbole de la bonne gouvernance à l’ancienne ajoute Alain Godonou, historien et muséologue. « L’intronisation du futur roi commence par le bas de l’échelle, il est intronisé en commençant quasiment par s’asseoir par terre, pour lui rappeler d’où il vient, son lien intime avec le peuple », souligne-t-il.

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Le lendemain, le compte rendu du conseil des ministres mentionne que ce 27ème bien culturel est classé au patrimoine culturel national. Le Kataklè rejoint ainsi les 26 portes, trônes, tuniques ou calebasses en réserve depuis 2023 dans un espace non accessible au public à la présidence de la République, faute de musées prêts à les accueillir, selon les autorités. Les artefacts sont gardés dans un espace de 80 à 100 m² aménagé, « réglé pour maintenir toutes les conditions micro climatiques requises » pour leur conservation, rassure Godonou, chargé de mission au Patrimoine et aux Musées à la présidence. Il estime que c’est « une réserve présidentielle sans égal ».

Des musées toujours pas prêts

Pourtant, pour certains observateurs, cette situation reflète les limites logistiques de la politique patrimoniale. Des trésors retrouvés, mais invisibles aux yeux du public après les premières expositions. Les 27 biens culturels restitués devraient in fine être conservés et exposés au Musée des rois et des amazones du Dahomey (MuRAD). Mais le chantier connaît du retard. Initialement prévu pour 2025, sa livraison a été repoussée de deux ans. Godonou fait savoir que ce retard est lié à la complexité des études techniques et aux questions architecturales. « Le musée d’Abomey est en trois parties… Des morceaux sont en place. Il reste la partie exposition qui a besoin de précisions dans les études techniques. C’est celle-là qui prendra plus de temps, encore deux ans. »

D’autres projets sont en cours : le Musée international de la mémoire et de l’esclavage à Ouidah, le Musée d’art contemporain et le Musée international du Vodoun à Porto-Novo, attendu fin 2025. Mais pour l’instant, les œuvres sont là, les musées, non.

« À observer de loin, on a l’impression que le Bénin n’était pas prêt mais s’est empressé de réceptionner les trésors royaux. La preuve est que depuis deux ans, la construction du musée devant les accueillir à Abomey, pour la gloire nationale et l’intensification du tourisme, peine toujours à se dresser majestueusement. Selon moi, ce sont des devises que le Bénin perd avec le retard dans la finalisation de la construction du musée », commente Fortuné Sossa, président de l’Association panafricaine des journalistes culturels d’Afrique en réseau.

Une politique entre ambition et prudence

Aucune donnée officielle ne précise le nombre exact d’objets pillés par les colons sous le royaume du Dahomey, mais le gouvernement affirme vouloir récupérer les pièces significatives liées à l’identité béninoise et aux espaces de royauté.

Des demandes ont été adressées à la France pour la restitution du mobilier du Fa (actuellement au musée du Quai Branly à Paris) et de la statue du dieu Gou. Cotonou souhaite également la restitution des parties des portes du palais de Kétou et d’autres trônes retrouvés en Allemagne et dans d’autres pays. « On n’a pas l’intention de rapatrier tout ce qui nous appartient à l’extérieur. C’est refuser qu’on nous regarde à l’extérieur. Ça n’a pas de sens ! », explique Godonou. La politique muséale du Bénin ne consiste pas à aller chercher en bloc une série de collections, cependant ce n’est pas du goutte à goutte non plus indique le spécialiste des musées. Mais le pays a choisi pour le moment, dit-il, de ne pas se porter acheteur du patrimoine béninois : il entend procéder par négociation.

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